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Oasis : entrée difficile dans l’adolescence

Retour sur le court-métrage de Justine Martin.

Clément Veysset | Le Délit

Le court métrage Oasis, réalisé par la cinéaste québécoise Justine Martin, a été classé parmi les 15 films de la courte liste des Oscars dans la catégorie « court métrages documentaires » le 21 décembre dernier, dont les cinq nominations finales seront annoncées le 23 janvier. Dans ce film documentaire de 14 minutes, la réalisatrice aborde le thème du handicap en se penchant sur la relation entre deux jumeaux, qui à l’aube de l’adolescence, voient leur relation se transformer, alors que l’un d’eux est atteint d’une déficience mentale et peine à sortir de l’enfance.

Oasis, deux mondes qui s’opposent

Dans un chalet des Laurentides et sur un skatepark, dans leur rapport avec la nature, et leur relation avec les autres : les plans oscillent entre plusieurs dimensions de la 3vie des deux adolescents, plongeant l’auditoire dans leur intimité sur les bords du lac de leur enfance, et dans l’effritement de leur relation. Le film s’ouvre sur une scène dans un skatepark où Raph, le frère jumeau atteint d’un handicap, est assis, seul, regardant son frère, Rémi, discuter, et jouer avec les autres. Lui joue avec un ballon, sous le regard moqueur des amis de son frère. « T’as emmené ton frère handicapé ! » Raph est tiraillé entre deux mondes, celui de l’adolescence, alors qu’il évolue dans un groupe, et celui de l’enfance, avec ce frère qu’il tente d’intégrer, à qui il essaie d’apprendre la trottinette malgré les moqueries de ses amis.

Qu’est-ce que l’oasis, ce titre choisi par la réalisatrice, projeté sur l’écran alors que s’ouvre une scène sur la nature des Laurentides ? Est-ce cette relation entre les deux jumeaux, leur rapport commun à la nature et cette intimité qui se tisse et s’exprime loin des regards extérieurs, à proximité de ce lac ? Ou est-ce plus simplement l’enfance, dans laquelle Rémi reste prisonnier ? Avec ce titre, et avec le procédé des entrevues séparées, où les deux jumeaux, assis aux abords du lac, se confient sur leur relations, la réalisatrice nous invite à pénétrer dans leur intimité, dans leurs questionnements.

Allongées dans une tente, seulement éclairées par une lampe torche, deux ombres discutent, entourées par le bruit de la nature environnante. Couchés dans leur sac de couchage, les deux jumeaux se regardent. « T’aimerais habiter avec moi un jour ? » demande Raph. Rémi sourit, mais ne répond pas, continuant de le regarder fixement. « Bonne nuit Raph » finit-il par lui dire. « Je t’aime », lui répond son frère. Dans l’intimité de la tente, la réalisatrice explore avec brio la question qui les préoccupe, celle de l’effritement de leur relation alors que les deux jumeaux sont à l’aube de l’adolescence. Raph, toujours dans le monde de l’enfance, témoigne à son frère une affection que ce dernier ne parvient pas à exprimer. La caméra oscille entre des entrevues avec les jumeaux. « Ton frère s’occupe bien de toi ? » « Bien, beaucoup. Il me protège », répond Raph. Dans un langage simple et direct, avec des plans épurés, les jumeaux se confient sur leur relation.

« Un gouffre les sépare, mais ce regard chargé d’affection semble dire : ‘‘je serai toujours là’’ »

L’accélération

Comme une métaphore de l’enfance qui disparaît, du monde autour d’eux qui accélère, les plans s’enchaînent plus rapidement sur le lac qu’ils affectionnent, sous toutes les saisons, accompagnés de leurs rires et de leurs jeux. Assis contre le mur tagué du skatepark, Raph regarde son frère assis sur son vélo, avec ses amis sur la plateforme de la rampe. Assis, Raph ne bouge pas, ne montre aucune impatience, aucun signe de tristesse, il regarde et attend. Par ces plans superposés, la réalisatrice nous livre un message : alors que Rémi pénètre dans le monde de l’adolescence et s’éloigne de l’intimité de la relation avec son frère, ce dernier ne semble pas comprendre et s’assoit, seul, comme à la frontière de l’enfance, pour attendre le retour de son jumeau, qui est tout pour lui. Dans un mouvement brusque, presque inquiet, Rémi tourne la tête, et regarde son frère d’un air soudain sérieux et mélancolique. Un gouffre les sépare, mais ce regard chargé d’affection semble dire : « Je serai toujours là. »


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