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Napoléon : ombre et lumière

Critique du dernier film de Ridley Scott.

Rose Chedid

Avec Napoléon, sorti en novembre dernier, le réalisateur britannique Ridley Scott se donne 158 minutes pour mettre en scène l’ascension et la chute de l’empereur des Français, incarné par Joaquin Phoenix. Bien que Scott et ses acteurs parviennent à captiver l’audience,davantage de rigueur dans les faits historiques aurait permis de donner une image plus complète de Napoléon.

Un homme au cœur de l’histoire française

Scott opte pour une approche chronologique en retraçant, malgré certaines omissions, les grands événements de la Révolution française et de l’Empire. Le film s’ouvre en pleine révolution : en 1793, la reine Marie-Antoinette monte à l’échafaud, la foule gronde dans les rues de Paris. Après l’instabilité politique de la Terreur et du Directoire, Napoléon Bonaparte s’empare du pouvoir en 1799 par un coup d’État. Il rétablit l’ordre et redonne à la nation française son unité. Devenu empereur en 1804, Napoléon accumule les conquêtes.

Puis, affaibli par la campagne de la Russie, les défaites s’enchaînent jusqu’à l’effondrement définitif de la Grande Armée et de son chef en 1815. Les reconstitutions de batailles, dont Austerlitz et Waterloo, occupent une place importante dans le film. Scott parvient à rendre compte de la violence extrême qui caractérise les guerres napoléoniennes. Ces scènes sont parfois empreintes de symbolisme. Ainsi, dans la mise en scène de la bataille d’Austerlitz, un cavalier de la coalition anti-française tente de battre en retraite, sans lâcher l’étendard
à l’aigle bicéphale qu’il porte à la main. Le cavalier tombe à l’eau et se noie, laissant sombrer avec lui l’étendard du Saint-Empire romain germanique. Avec cette scène, Scott parvient à représenter symboliquement la fin du Saint-Empire, qui survient à l’issue de la bataille d’Austerlitz. Si Scott s’intéresse au chef de guerre, il s’efforce également de dépeindre un Napoléon humain. Une attention particulière est accordée à sa vie affective, dans laquelle Joséphine de Beauharnais, sa femme, incarnée par Vanessa Kirby, occupe une place prépondérante. Scott tente également de dépeindre les traits de caractère de l’Empereur. Il en ressort le portrait d’un homme rustre, ayant une piètre opinion de la femme. Le Napoléon de Scott est aussi un personnage qui appréhende les grands moments, et qui se bouche les oreilles d’une manière caricaturale pour ne pas entendre le feu de ses canons. Cet aspect comique du personnage fait redescendre la légende parmi le commun des mortels.

Un portrait incomplet

On notera cependant des omissions et inexactitudes de taille dans ce film. Premièrement, il est à regretter qu’aucune mention ne soit faite du rétablissement de l’esclavage en 1802. Cette trahison des acquis de la Révolution figure pourtant parmi les principaux reproches adressés à Bonaparte aujourd’hui. L’impasse faite sur cet événement souligne un décalage majeur par rapport aux enjeux sociétaux actuels. Le réalisateur fait également le choix de taire les réformes instaurées par Bonaparte. C’est lui qui fait rédiger le Code Civil qui uniformise le droit français et réduit le pouvoir interprétatif des juges. Cet ouvrage aura une influence internationale. Notons cependant que le Code Civil consacre l’inégalité hommes-femmes, et ne revient pas sur l’esclavage. Par ailleurs, Bonaparte crée les lycées, la Banque de France, ou encore le Conseil d’État, qui existent toujours. Finalement, le film contient une scène dans laquelle Bonaparte fait feu sur les pyramides de Gizeh durant la campagne d’Égypte… Il s’agit là d’un fait non avéré.

« L’impasse faite sur cet événement souligne un décalage majeur par rapport aux enjeux sociétaux actuels »

La figure de Napoléon est un sujet hautement politique. Au vu des controverses actuelles sur certains personnages historiques, notamment la polémique en France autour de la commémoration de l’Empereur à l’occasion du bicentenaire de sa mort en 2021, on ne saurait surestimer l’importance de la rigueur dans la représentation historique. Ces maladresses sont navrantes, mais aussi surprenantes, car en revanche, une grande attention est accordée au détail des costumes et dans la reconstitution de tableaux, dont Le Sacre de Napoléon de Jacques-Louis David. Lors d’une entrevue accordée à Letterboxd, Scott affirme ne pas avoir eu l’ambition de donner une « leçon d’histoire », mais plutôt de décrire le personnage de Napoléon. Or, entre raconter Napoléon et raconter l’Histoire, l’écart est-il si grand ? Une version longue du film devrait bientôt sortir, laissant au cinéaste l’opportunité de rectifier le tir.


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