Le journalisme en temps de guerre joue un rôle crucial de par sa capacité à témoigner, informer et contextualiser les événements pour le public international. En temps de guerre, les journalistes de terrain deviennent les yeux et les oreilles du monde, transmettant au mieux de leur capacité des récits complexes qui transcendent les frontières géographiques. La récente situation en Palestine aurait dû en être gage, et bien que la manipulation des médias fasse souvent partie intégrante des stratégies militaires (coupure de réseau, limitation de l’accès à Internet dans les zones attaquées…) ; les choix de publications des journaux occidentaux n’offre une perspective que très limitée du conflit. En privant le public d’un point de vue, on limite sa capacité à prendre conscience des réalités vécues par les Palestiniens.
Ainsi, en réponse à la couverture médiatique défaillante reçue par la cause palestinienne, plusieurs journalistes palestiniens se sont tournés vers des plateformes alternatives aux médias traditionnels afin d’exposer la réalité vécue par leur peuple. En soulignant l’importance du journalisme dans de telles circonstances, nous reconnaissons son pouvoir de façonner les perceptions, d’inspirer le dialogue, et de donner lieu à la pluralité des perspectives hors des médias traditionnels. Nous vous présentons donc trois profils de journalistes palestiniens qui ont su apporter une perspective complémentaire, mais pas moins vraie, durant les derniers mois.
« En temps de guerre, les journalistes de terrain deviennent les yeux et les oreilles du monde, transmettant au mieux de leur capacité des récits complexes qui transcendent les frontières géographiques »
Bisan Owda
Bisan Owda est une cinéaste palestinienne qui publie également du contenu sur les réseaux sociaux depuis quelques années. Elle travaillait également auprès des Nations Unies pour l’égalité des sexes. Avant le début des bombardements et des opérations terrestres israéliennes dans la bande de Gaza, le profil Instagram de Bisan était essentiellement composé de vidéos d’elle parlant de ses projets ou de ses engagements. Ses vidéos étaient divertissantes ou informatives : elle partageait sur sa vie mais aussi sur son statut de femme, sur la situation à Gaza, et plus généralement sur la cause palestinienne. Les couleurs, le montage et les lumières de ses vidéos étaient travaillées, celles-ci étaient mêmes souvent écrites. Bisan a alors progressivement gagné en popularité, mais sa notoriété a réellement explosé à partir du moment où Israël a entamé ses interventions. Elle publie alors tous les jours – parfois même plusieurs fois par jour – des vidéos sur les conditions dans lesquelles les gazaouis et elle-même évoluent. Elle parle souvent de son expérience personnelle, du manque d’eau, de nourriture, des conditions sanitaires dans lesquelles elle vit, de la mort et de la souffrance qui l’entoure, mais réalise aussi des entrevues avec d’autres palestiniens de la bande de Gaza. Le 14 octobre, elle publie notamment une vidéo d’une jeune palestinienne porteuse de trisomie, dont la maison a été détruite, dans le but de faire valoir les enjeux spécifiques que représentent des bombardements pour les personnes atteintes d’un handicap. Ses vidéos sont une source d’information précieuse qui est depuis peu compromise par la coupure d’Internet dans la bande de Gaza. Elle appelle régulièrement le monde occidental à la grève générale, rappelant qu’il s’agit pour elle du seul espoir. Elle explique aussi souvent qu’elle ne sait pas combien de temps elle survivra. Sa maison et son lieu de travail ont été détruits lorsque la ville de Gaza a été bombardée, emportant son matériel, ses chats et une partie de sa vie.
Motaz Azaiza
Motaz est un photojournaliste qui avait pour sa part déjà une certaine notoriété avant les événements du 7 octobre dernier, étant employé par l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Il est reconnu pour ses images prises à l’aide de drones représentant les paysages dévastés de la Palestine, qu’il partage avec son auditoire comptant aujourd’hui plus de 18 millions d’abonnés sur Instagram. Il est actuellement l’un des journalistes les plus suivis du réseau social. Motaz a perdu le 11 octobre dernier plus de 15 membres de sa famille en raison d’une frappe aérienne israélienne sur le camp de réfugiés Deir el-Balah, situé dans la bande de Gaza. C’est également là où Motaz a grandi. Le 7 janvier dernier, Motaz commémorait aussi sur sa page le décès de deux de ses collègues, Hamza Wael Dahdouh et Mustafa Thraya, qui s’ajoutent à la longue liste de journalistes qui ont péri depuis le 7 octobre.
Plestia Alaqad
Plestia se démarque des autres journalistes puisqu’elle fait partie d’un grand mouvement émergent de journalisme citoyen. Cette forme particulière de journalisme consiste à véhiculer l’information uniquement par les plateformes numériques telles que les réseaux sociaux pour documenter, comme le font les médias plus traditionnels, les évènements de la vie quotidienne. Plestia a rapidement gagné en popularité sur Instagram lorsqu’elle a commencé à documenter sa vie à Gaza via des vidéos publiées quotidiennement sur sa page, comme une forme de journal personnel. Sa communauté Instagram compte aujourd’hui 4,7 millions d’abonnés, qui suivent son quotidien où elle souligne fréquemment ses inquiétudes quant à la perpétuation des attaques contre Gaza, et demande constamment un cessez-le-feu. Sa page sert également pour plusieurs de ressource éducative, vers laquelle tous peuvent se tourner lorsqu’ils ont des questions concernant les différentes façons de venir en aide à la Palestine. Son profil compte parmi ceux ayant eu une croissance des plus rapides, en raison de son format qui réussit à capturer la réalité palestinienne de façon authentique. Elle se trouve présentement en Australie, ayant dû fuir les attaques quotidiennes sur Gaza.
Pensées à celles et ceux qui ne sont plus
La guerre a causé la mort de plus de 100 journalistes palestiniens depuis son commencement, bien que ces derniers soient supposés bénéficier d’une protection particulière selon le droit international. Muhammad Abu Huwaidi, Hamza Wael Dahdouh, Mustafa Thraya, et bien d’autres encore, assassinés parfois même pendant qu’ils effectuaient leur travail, un travail essentiel et vital, celui du partage de l’information vraie. Ils sont les seuls yeux à travers lesquels nous pouvons voir ce qui se passe localement, les violences qui ébranlent douloureusement un peuple prisonnier de quelques kilomètres de terre.
En tant que journal, ces morts nous touchent nécessairement, car nous ne pouvons imaginer que la volonté d’informer le monde, d’utiliser les mots pour changer les choses, d’imprimer le présent pour que tous puissent le comprendre, puisse mener à la mort. En plus de tenter de survivre, ils persistent dans leur travail afin que le monde puisse savoir et se souvenir. Pour cela, nous nous souviendrons d’eux.