Le 13 octobre dernier, le gouvernement du Québec a annoncé une augmentation de 33% des frais de scolarité pour les étudiants non québécois dès la rentrée d’automne 2024. Dans le but de protéger la langue française à Montréal, le gouvernement compte prélever par le biais de cette mesure, un montant forfaitaire pour chaque étudiant non québécois, et réinvestir ces fonds dans le réseau des universités francophones, telles que l’UQAM ou l’Université de Montréal. Rapidement après cette annonce, des manifestations étudiantes se sont organisées, et les recteurs des trois universités anglophones du Québec, c’est-à-dire l’Université Bishop’s, Concordia et McGill, ont exprimé conjointement leur mécontentement.
En décembre, le gouvernement du Québec est revenu sur sa décision initiale, et a proposé une augmentation plus modérée des frais d’études pour les étudiants canadiens non québécois. Alors qu’ils devaient initialement augmenter de 9 000$ à 17 000$, l’augmentation requise est désormais de 3 000$, soit 12 000$ par an. En revanche, les universités anglophones du Québec devront franciser 80% de leurs étudiants de premier cycle. Ces derniers devront suivre des cours de langue française et atteindre un niveau « intermédiaire » avant la fin de leur diplôme : une mesure excessive et irréalisable selon les recteurs des trois universités concernées. Alors que les étudiants avaient déjà mené une manifestation contre l’augmentation des frais de scolarité fin octobre 2023, ces derniers se sont une nouvelle fois mobilisés pour faire pression sur le gouvernement Legault. Du 31 janvier au 2 février, les étudiants de Concordia et de McGill ont fait la grève, empêchant ainsi la tenue de nombreux cours.
À Concordia : 3 jours de grève
Afin d’éclaircir la situation à Concordia, Le Délit s’est entretenu avec Oli Sinclare, étudiant·e en études interdisciplinaires de la sexualité à Concordia. Oli nous explique que ces grèves étaient bien organisées, et légalement encadrées. Avant le début de ces dernières, les étudiants des nombreux départements des facultés de Concordia ont voté démocratiquement pour tenir ces grèves. « Vous avez certains droits en tant que membre de votre association étudiante. Techniquement, parce que vous êtes reconnu comme un syndicat, si vous faites la grève, c’est comme une grève officielle du syndicat. Vous ne pouvez pas être pénalisé. (tdlr) » Au total, ce sont 11 000 étudiants de Concordia qui ont fait la grève au cours de la semaine.
Bloquer les classes
Au 7ème étage de l’édifice Henry F. Hall de Concordia – l’espace dédié aux actions et associations étudiantes de la faculté des arts et des sciences de Concordia – des blocages de salles de classes ont été organisés pendant ces trois jours. Dans les couloirs, à voix haute, à peine pouvait-on entendre : « Qui veut bloquer une classe de science politique ? », ou « Qui veut bloquer l’entrée d’une classe qui commence dans 20 minutes ? », que de nombreuses mains se levaient, motivées et assoiffées d’engagement. Par groupes de trois, les étudiants grévistes, appartenant à une grande variété d’associations et de syndicats, se dirigaient alors vers leurs classes attribuées.
Nous avons suivit le groupe d’Oli, afin de mieux comprendre le fonctionnement des blocages. Arrivé devant la salle de classe, le petit groupe s’organise pour réaliser ce qu’ils appellent du « picketing », du « piquetage » en français. Le groupe, équipé de dépliants et de bannières, se positionne devant l’entrée de l’auditorium pour bloquer le passage, et dissuader les étudiants et le ou la professeur d’y entrer. Le but : empêcher la tenue du cours. Oli nous explique : « Nous n’empêcherons pas physiquement les gens d’aller en classe. Si un étudiant est vraiment déterminé à entrer, nous ne le retiendrons pas. Mais nous lui expliquerons qu’il s’agit d’une mesure qui a été votée démocratiquement, et qu’aller en classe revient à ne pas respecter cette décision. »
Un support impressionnant…
La mobilisation étudiante à Concordia a eu un effet très important : pour beaucoup, les cours furent annulés du mercredi au vendredi. Oli nous explique qu’il y a eu un engouement important en faveur de la grève, que ce soit du côté des étudiants, autant que celui des professeurs.
« Les gens veulent vraiment en parler. Beaucoup de gens s’accordent pour dire que c’est [la hausse des frais de scolarité, ndlr] une décision terrible qui va affecter tout le monde. Je pense que les gens sont ravis de voir qu’il y a une mobilisation, que les gens font quelque chose. » Oli ajoute que lorsque les étudiants sont bloqués en dehors de leur salle de classe, « neuf fois sur dix, les gens se disent : “cool, je vais rentrer chez moi” , mais parfois ils restent et discutent avec nous ». Iel nous a aussi fait part des réactions des professeurs, et précise que, même si ceux-ci ont la responsabilité d’au moins de tenter de tenir classe, ils jouent le jeu la majorité du temps, et acceptent d’annuler leur cours lorsque les étudiants grévistes bloquent le passage.
… et contesté
Cela n’a pas été facile de bloquer toutes les classes, certains étudiants et professeurs ont fait part de leur mécontentement à plusieurs reprises. Certains professeurs ont tenu à donner leur cours coûte que coûte, en les remplaçant par davantage d’heures de bureau, ou encore en réalisant leurs cours à distance, via la plateforme Zoom. Si les étudiants grévistes n’ont pas pu bloquer les heures de bureau, ils ont tout de même trouvé le moyen d’empêcher les cours à distance par le biais de « Zoom-bombing », qui consiste à s’introduire dans une conférence Zoom et de gêner la tenue du cours en faisant beaucoup de bruit, en écrivant des messages, ou encore en incitant les étudiants à quitter la conférence.
Si les grèves étudiantes ont eu une ampleur moins importante à McGill, plusieurs cours ont tout de même été bloqués par des étudiants grévistes. Maxime*, étudiant en géographie à McGill, qui a souhaité garder l’anonymat, nous a fait part de ses observations au cours de la semaine : « Ils [les étudiants grévistes, ndlr] ont bloqué l’entrée et ont essayé de nous limiter l’accès à la salle. Ils ne m’ont pas empêché d’y entrer, mais j’ai dû forcer le passage, et me faufiler entre eux. […] Je soutiens la cause, mais je ne peux pas manquer mes cours pour autant. Je pense que c’est un des seuls moyens qu’ils [les grévistes, ndlr] ont pour avoir un impact significatif et je pense que ça a fonctionné, parce que vendredi, il y avait nettement moins de personnes en classe. Alors que d’habitude nous sommes 200, nous n’étions que 50. »
À Concordia, certains étudiants et professeurs se sont également opposés au blocage des cours. Face à cela, Oli répond qu’« en tant qu’étudiants, l’une de nos principales sources de pouvoir est de cesser d’aller en classe. Arrêter de travailler dans le domaine de l’éducation, c’est comme arrêter de travailler pour les travailleurs qui sont en grève. C’est comme si nous pouvions arrêter de contribuer à l’école. »
« En tant qu’étudiants, l’une de nos principales sources de pouvoir est de cesser d’aller en classe. Arrêter de travailler dans le domaine de l’éducation, c’est comme arrêter de travailler pour les travailleurs qui sont en grève. C’est comme si nous pouvions arrêter de contribuer à l’école. »
Oli Sinclare – Étudiant·e de Concordia
Après ces trois jours de grève, les étudiants grévistes sont désormais dans l’attente d’une réponse du gouvernement caquiste. « Après la première mobilisation en décembre, il y a eu des modifications, ils ont donc réduit le montant de l’augmentation des frais de scolarité, et j’espère que cela se reproduira. » Finalement, Oli Sinclare conclut que tant qu’il n’y aura pas davantage de modifications de cette mesure gouvernementale, les étudiants continueront de se mobiliser pour faire entendre leurs voix.
*Nom fictif