Le 1er février a marqué le début du Mois de l’histoire des Noir·e·s. Afin de souligner l’occasion, l’Université McGill, en coopération avec Le Bureau de l’équité de L’Université McGill, organise une série d’événements mettant de l’avant l’excellence des personnes noires au sein de l’Université. Cependant, sa longue histoire de discrimination et d’exclusion raciale, décrite par Suzanne Morton dans l’un de ses récents travaux, soulève plusieurs questions sur la manière dont l’Université McGill aborde ce mois.
Pour contextualiser la célébration du Mois de l’histoire des Noir·e·s en 2024, Le Délit s’est entretenu avec Rosemary Sadlier, ancienne présidente de l’Ontario Black History Society (OBHS), qui a joué un rôle fondamental dans sa mise en place.
Le Mois de l’histoire des Noir·e·s au Canada
Le mois de février est reconnu en 1995 au niveau fédéral comme le Mois de l’histoire des Noir·e·s, grâce aux efforts de Sadlier et de la députée parlementaire Jean Augustine. Ce mois est plus communément associé aux États-Unis, où il est officialisé 19 ans plus tôt. Ce retard, selon elle, est dû à la tendance canadienne à se considérer moins raciste que son voisin du sud, et même à ignorer sa propre histoire d’esclavage.
Sadlier explique avoir consacré 20 ans de sa carrière à l’instauration du 1er août comme Jour de l’émancipation, combat qui a finalement abouti en 2021 à la Chambre des communes. En effet, comme les discours soulignant l’inclusivité et la tolérance des Canadiens dominent, Sadlier explique qu’ils « rendent le travail de personnes comme moi très compliqué et difficile (tdlr) ». Elle identifie un manque d’éducation sur l’histoire des personnes noir·e·s dans le pays, ce qui « rend difficile la pensée critique chez les étudiants », et accorde donc aux institutions éducatives un rôle fondamental pendant le Mois de l’histoire des Noir·e·s.
Cette éducation commence par l’inventaire du contenu disponible au sujet de l’histoire des personnes noires au Canada. Sadlier explique que les manquements potentiels dans cette histoire posent problème aux étudiant·e·s de tous les niveaux. Bien que cette éducation soit cruciale pour tous·tes, plusieurs étudiant·e·s noir·e·s se voient sous-représenté·e·s dans le curriculum pendant leur scolarité. Mais le problème ne s’arrête pas là. Un·e étudiant·e noir·e qui arrive au niveau universitaire fait encore face à de nombreux obstacles : « Je connais un étudiant noir qui voulait faire son doctorat sur un chapitre de l’Histoire des personnes noires, qui a été rejeté sous prétexte qu’il n’y avait pas assez de contenu. »
McGill dans l’équation
Selon Sadlier, le Mois de l’histoire des Noir·e·s a pour mission de faire ressortir la vérité. Ceci requiert en première partie l’avancement des points de vue des personnes noires dans les milieux universitaires. Elle explique : « Si le rôle de l’université est d’élargir les horizons de ses étudiants, de promouvoir la diversité, d’enseigner la pensée critique, il est important de considérer la contribution des personnes noires. » Dans le contexte universitaire, comme elle le fait remarquer, ceci requiert aussi l’honnêteté de la direction et de l’administration de McGill par rapport à leur propre histoire de discrimination : « La plupart des universités au Canada ont une connexion à l’esclavage des personnes noires et autochtones. » Sadlier conclut que plusieurs d’entre elles ont tendance à filtrer et même omettre certains épisodes peu glorieux de leur passé colonial.
« Si le rôle de l’université est d’élargir les horizons de ses étudiants, de promouvoir la diversité, d’enseigner la pensée critique, il est important de considérer la contribution des personnes noires »
Rosemary Sadlier
McGill ne fait pas exception à la règle. En effet, le dernier projet ayant pour but de rapporter une histoire exhaustive de McGill a été publié en 1980, et omet entièrement le statut de propriétaire d’esclaves de son fondateur James McGill. D’après Sadlier, il est donc important de garder un esprit critique et de se questionner sur ce qui est pris pour acquis. Elle explique : « La vérité doit prendre le dessus sur les non-vérités. Elle fera éventuellement surface, et quand ce sera le cas, il sera difficile de l’aborder. Il est donc important pour les institutions universitaires d’être proactives dans leur approche. »
Cependant, l’Université McGill n’est pas restée entièrement inactive, et a publié un Plan de lutte contre le racisme anti-noir en 2020. Le document souligne les connexions historiques de l’Université avec la traite transatlantique d’esclaves, et établit un plan d’action et des cibles ancrées dans les expériences et les espaces étudiants, la recherche et l’action communautaire. Depuis, des rapports annuels ont été publiés par l’Université, décrivant ses progrès vers les cibles établies dans le plan, le dernier étant sorti en 2023.
Échapper à la responsabilité
Une ambiguïté persiste autour de la commémoration du Mois de l’histoire des Noir·e·s dans les universités en 2024. Sadlier elle-même éprouve une certaine ambivalence envers cet événement. « Est-ce un système parfait ? Non, évidemment pas. (…) Moi-même, j’en ai fait la promotion [du Mois de l’histoire des Noir·e·s, ndlr] en faisant des présentations dans 2000 écoles, mais c’était parce qu’il n’y avait rien. Il n’existait aucune base pour l’enseignement de l’histoire des Noir·e·s. » Le manque de ressources disponibles pour la promotion de l’histoire des Noir·e·s faisait des victoires autrement superficielles de bons points de départ.
Bien que la commémoration du Mois de l’histoire des Noir·e·s constitue une avancée de la part de l’Université, Sadlier clarifie que cette stratégie s’avère souvent performative. « Quand une université souligne le Mois de l’histoire des Noir·e·s, elle n’a pas à faire autre chose, à faire des changements substantiels. Ce n’est pas dans son intérêt de le faire. »
Il est donc d’autant plus important de situer le Mois de l’histoire des Noir·e·s dans un plus grand contexte de décolonisation, un mouvement qui favorise l’action concrète aux avancées symboliques. Sadlier affirme que les obstacles auxquels les personnes noires font face sont similaires à ceux des personnes autochtones, surtout au sein du milieu universitaire. « Les Premières Nations étaient “l’Autre”, comme les personnes noires, elles ont été traitées de la même manière ». « L’Autre » correspond à n’importe quelle personne perçue comme n’étant pas blanche. « La doctrine de la découverte a été appliquée sur les terres autochtones, comme sur les terres africaines. Ces deux groupes et leurs luttes sont donc unis », conclut-elle.
La reconnaissance attribuée à McGill pour sa commémoration du Mois de l’histoire des Noir·e·s et même son plan contre le racisme anti-noir est à relativiser, considérant son traitement des groupes autochtones. Le projet d’expansion du campus de McGill illustre cette ambiguïté. En effet, une entente conclue mettait les Mères Mohawk à la tête du projet, mais l’Université aurait ignoré plusieurs recommandations du panel indépendant d’archéologues mandaté par la Cour Supérieure du Québec. Conséquemment, plusieurs sont d’avis que McGill réduit intentionnellement au silence les voix autochtones.
Sadlier fait remarquer que « si une institution opprime un groupe et manque de respect à leur histoire et à leurs voix, cette même institution traitera n’importe quel autre groupe minoritaire de la même manière ». Il est donc important de garder un œil critique sur l’usage du Mois de l’histoire des Noir·e·s comme représentatif d’universités comme McGill, et de situer leurs actions dans un plus grand contexte.
« Si une institution opprime un groupe et manque de respect à leur histoire et à leurs voix, cette même institution traitera n’importe quel autre groupe minoritaire de la même manière »
Rosemary Sadlier