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« Arrêtez l’esclavage ouïghour ! »

Manifestation contre le génocide des Ouïghours devant le consulat chinois.

Vincent Maraval | Le Délit

Le dimanche 4 février, environ 50 personnes se sont retrouvées à 13 heures devant le Consulat général de la république populaire de Chine pour commémorer les victimes du massacre de Ghulja (ville aujourd’hui nommée Yining Xian par les autorités chinoises), survenu le 5 février 1997 et ayant fait 167 morts et plusieurs centaines de blessés. Plus généralement, la manifestation avait pour but de protester contre le génocide du peuple ouïghour, qui prend place depuis 2015 dans la province du Turkestan oriental [officiellement appelé Xinjiang, ndlr], fief historique de la culture ouïghoure en Chine.

Afin d’approfondir notre analyse de la situation, Le Délit s’est entretenu avec Michel Tessier, sinologue retraité ayant enseigné à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) et dans le secteur public.

Le génocide

Dans un pays d’un milliard et quatre cent millions d’habitants, la population ouïghoure est une minorité musulmane de près de 25 millions d’individus, dont 12 millions vivant dans le Turkestan oriental. Comme le montre le massacre de Ghulja, durant lequel plusieurs Ouïghours ont été tués par les forces chinoises après avoir manifesté pour l’indépendance du Turkestan oriental, la répression du peuple ouïghour date de plusieurs décennies. Néanmoins, cette dernière s’est accélérée et aggravée depuis 2015. Au début des années 2010, le gouvernement chinois a annoncé se lancer dans une campagne de « lutte contre le terrorisme (tdlr) » dans cette région. Selon plusieurs organismes défenseurs des droits humains dont Human Rights Watch, cette « lutte contre le terrorisme » s’est surtout exprimée à travers une oppression croissante du peuple ouïghour, qui représente 45% de la population de la région. De nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) comme Human Rights Watch ou Amnistie internationale accusent la Chine de crimes contre l’humanité à l’encontre du peuple ouïghour. Elles dénoncent notamment les arrestations et détentions arbitraires, ainsi que les tortures et la surveillance de masse perpétrées par la Chine contre cette minorité depuis 2010. Aujourd’hui, plus d’un million de Ouïghours sont emprisonnés dans plusieurs camps dans la région du Turkestan oriental.

La manifestation

Devant le consulat, les manifestants – majoritairement des membres de la communauté ouïghoure – ont affronté le froid. Accompagnés de leurs bannières, pancartes et dépliants, ils ont scandé des slogans et dénoncé les actions du régime chinois pendant plus d’une heure. Plusieurs personnes ont pu prendre la parole pour exprimer l’importance de se mobiliser afin de sensibiliser les gens aux actions perpétrées par le gouvernement chinois. Pendant cette période de discussion, Le Délit s’est entretenu avec Kayum Masimov, chef de projet au sein du Projet de défense des droits des Ouïghours. Au cours de notre discussion, Kayum nous a interpellé et nous a posé une question simple mais pertinente relative au message général de la manifestation : « Chaque fois que vous entrez au centre d’achat Costco ou Walmart ; Vous achetez du café ou des chandails qui proviennent de Chine. Ce n’est pas cher n’est ce pas ? Il est temps de se poser la question : Pourquoi ça ne coûte pas cher ? »

« Chaque fois que vous entrez au centre d’achat Costco ou Walmart ; vous achetez du café ou des chandails qui proviennent de Chine, ce n’est pas cher, n’est ce pas ? Il est temps de se poser la question : Pourquoi ça ne coûte pas cher ? »

Le groupe de manifestants a par la suite entrepris une marche sur la rue St-Catherine, vers l’arrêt de métro Guy-Concordia, en scandant divers slogans tels que : « Liberté pour le Turkestan oriental ! » ; « Fermez les camps de concentration ! » ; « Arrêtez l’esclavage ouïghour ! » ; « Boycottez la Chine » ; ou encore, « Canada, agis maintenant ! Défends les Ouïghours ! ». Pour conclure l’événement, le groupe est revenu devant le consulat général. À nouveau, certains ont pu prendre la parole pour s’exprimer.

Une action limitée

Aujourd’hui, l’action internationale pour mettre un terme au génocide des Ouïghours est souvent perçue comme trop limitée. Michel Tessier suppose que ce manque de prise de position radicale s’explique par la place prépondérante de la Chine dans l’économie mondiale. En 2023 par exemple, la Chine comptait pour 30% de la production manufacturière mondiale. Malgré la volonté de boycotter la Chine et les biens qui y sont fabriqués – comme les slogans l’ont d’ailleurs mentionné pendant la manifestation –, agir concrètement contre la Chine et l’exploitation des Ouïghours n’est pas une mince affaire. « La Chine est une des premières économies mondiales, très importante, et aujourd’hui indispensable. Ne plus acheter de produits chinois semble donc difficilement réalisable. »

Le sinologue ajoute néanmoins que si la Chine est aujourd’hui devenue intouchable, c’est en partie parce que les puissances mondiales comme les États-Unis, le Royaume-Uni et d’autres puissances européennes ont délocalisé leurs chaines de production dans les années 1990–2000. Selon lui, en délocalisant leurs chaînes de production, « les pays ont limité leurs possibilités d’action [à l’égard de la Chine, ndlr] ».

À l’échelle canadienne, la mobilisation contre le génocide est aussi limitée selon Kayum Masimov. Ce dernier note néanmoins de réelles mesures prises par le Canada depuis 2015 : « En 2022, le Parlement canadien a fait du Canada le premier pays au monde à reconnaître officiellement le génocide des Ouïghours en Chine, et l’année dernière, on [le Canada, ndlr] a adopté la résolution de rapatrier les réfugiés ouïghours, ce qui est vraiment très positif. » En effet, en janvier 2023, la Chambre des communes du Canada a pris la décision de recevoir 10 000 réfugiés ouïghours par année à compter de 2024. Michel Tessier souligne aussi que « quand on rencontre une motion comme celle votée au Parlement, c’est qu’une bureaucratie se met en place pour les accueillir [les réfugiés, ndlr], pour leur donner un logement, une éducation pour les enfants, un accès à la santé, etc. C’est une vraie avancée ».

Le sinologue nuance néanmoins son propos : « En dehors de ça, qu’est ce que vous voulez que le Canada fasse ? Le Canada est un pays de seconde catégorie. Ce n’est pas un pays important sur la scène internationale. Il ne faut pas se faire d’illusions. Une fois qu’on a dénoncé la situation au Turkestan oriental et le génocide qui s’y passe, il n’y a plus rien. Et ce, parce qu’on ne peut pas faire grand chose. »

Une solution : le boycott ciblé

Pour Michel Tessier, « il faut que nous revoyons nos tactiques parce que c’est bien beau de vouloir boycotter les produits chinois, mais il faut être réaliste. Dressons la liste des produits faits par les esclaves ouïghours ; ce sont ceux-là qu’il faut boycotter ». En effet, s’il est difficile de boycotter l’ensemble des produits qui proviennent de Chine, Michel Teissier et Kayum Masimov appuient tous deux la possibilité de boycotter les produits directement liés au génocide, qui sont le fruit de l’exploitation de la minorité ouïghoure.

Cibler l’ensemble de ces produits et ne plus les acheter reviendrait à faire halte au processus génocidaire de production. Une telle mesure a d’ailleurs déjà été mise en place par l’Union Européenne et les États-Unis. Kayum Masimov souligne que « depuis l’introduction de la Force Labor Prevention Act il y 25 mois, elles [les autorités américaines, ndlr] ont interdit [la vente de produits issus de l’esclavage ouïghour, ndlr] et saisi des marchandises totalisant une valeur d’environ cinq milliards de dollars ».

Et à McGill ?

Le 19 janvier 2023, L’AÉUM a adopté une motion qui demande à l’Université McGill de désinvestir des entreprises ayant des activités ou des liens directs et indirects avec l’exploitation du peuple ouïghour en Chine. Depuis, l’Université n’a pas entrepris d’action concrète pour répondre à la requête des étudiants.

Afin de sensibiliser à la répression que subit le peuple ouïghour, Sabiha Tursun, étudiante ouïghoure de deuxième année à McGill, a fondé le tout nouveau club étudiant Mcgill Students for Uyghur Solidarity (Étudiants de McGill pour la solidarité avec les Ouïghours, tdlr). Dans une entrevue pour Le Délit, Sabiha explique plus précisément son initiative : « L’un de nos objectifs est de faire pression sur McGill pour que l’Université prenne des mesures de désinvestissement, car certaines des entreprises auxquelles notre fond de dotation est destiné sont complices de l’utilisation de produits issus du travail forcé, de la fourniture et du soutien d’infrastructures de camps d’internement et de camps de travail forcé (tdlr). »

Si l’Université est pour le moment restée muette, la création de cette nouvelle association montre que les étudiants ne sont pas insensibles au sort de la population ouïghoure. Sabiha conclut : « Il est de la responsabilité de McGill d’offrir un environnement éthique à ses étudiants et c’est le moindre qu’elle puisse faire pour le bien de l’humanité. »


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