Aller au contenu

Mettre la Saint-Valentin à la poubelle

Pourquoi s’agit-il d’une fête dépassée ?

Rose Chedid | Le Délit

Ce matin, en entrant à la pharmacie, j’ai été témoin de l’annuelle prise d’assaut des tablettes par les cœurs rouges et roses, les chocolats aux emballages thématiques, ainsi que les peluches tout aussi insignifiantes les unes que les autres. Dans l’esprit de cette effervescence éphémère et rituelle, j’ai constaté que cette année encore, la Saint-Valentin se trouvait à nos portes. Une journée teintée par le rouge de la passion pour certain·e·s, pour d’autres par l’horreur d’être encore seul·e·s cette année, la Saint-Valentin n’a plus de raison d’être en 2024. Certain·e·s diront que la fête de l’amour a encore un rôle important aujourd’hui, qu’elle nous permet de consacrer une journée à l’amour, mais il me semble plus que clair que sa période glorieuse est depuis longtemps révolue. Cette frénésie annuelle n’est en réalité que le fruit d’un travail méticuleusement orchestré par les doigts agiles du capitalisme et des normes sociales rigides : la Saint-Valentin n’est aujourd’hui rien de plus qu’un prétexte pour se dire « je t’aime ». Dans cet océan d’hétéronormativité et de consumérisme, il est grand temps de remettre en question la superficialité de cette célébration ponctuelle de l’amour, et de se questionner sur la nécessité d’une telle journée.

Célébration de l’hétéronormativité

Cupidon par ci, « veux-tu être mon·ma valentin·e » par là, la Saint-Valentin est une fête qui trouve sa pérennité dans le confort que représente le couple hétérosexuel. Cette fête est en réalité profondément enracinée dans des normes sociales étroites et rigides, limitant l’inclusivité d’une fête qui, au contraire, devrait être ancrée dans l’amour, peu importe qui cela unit. Cette célébration perpétue un récit romantique qui ne correspond plus toujours à la réalité des couples d’aujourd’hui : nombreux·euses sont ceux·celles qui disent ne plus s’identifier avec la célébration traditionnelle de cette fête. En se focalisant principalement sur les partenariats hétérosexuels et les expressions d’affection conformes aux normes sociétales, la Saint-Valentin exclut implicitement de nombreuses autres formes d’amour et de relations. De plus, pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’image hétérogenrée du couple, cette journée devient souvent un rappel malheureux de leur manque d’inclusion au sein de la société. Bien que plusieurs tentent de se réapproprier la Saint-Valentin afin d’en faire une fête à leur image, les couples non conventionnels, ceux qui sortent des normes de genre peuvent se sentir exclu·e·s ou invisibilisé·e·s par cette fête centrée sur des idéaux romantiques stéréotypés. En réalité, la Saint-Valentin, loin d’être une célébration universellement accueillante de l’amour, reflète plutôt les limites et les préjugés de nos normes sociales établies.

Appel au consumérisme capitaliste

Un aspect déjà longuement dénoncé de cette fête est son incitation à la consommation matérielle excessive. Escapade au spa, bouquets de fleurs qui finiront à la poubelle d’ici la semaine prochaine, cartes personnalisées ou encore bijoux aux prix exorbitants : la Saint-Valentin est une invitation à dépenser sans réfléchir aux potentiels impacts de notre consommation. La fête est reconnue par tous·tes les amoureux·euses comme l’occasion de faire plaisir à son·sa partenaire en lui offrant du chocolat, des fleurs ou encore toute sorte de cadeaux hors de prix. Effectivement, peu se questionnent sur le besoin réel d’offrir quelque chose de matériel au-delà de sa présence pour l’être aimé : plusieurs se contenteraient de passer une belle journée en compagnie de leurs êtres chers, sans pour autant céder à la pression commerciale inhérente à cette fête. En effet, l’industrie capitaliste profite largement de la Saint-Valentin en bombardant les consommateur·rice·s avec une multitude de produits soi-disant essentiels à l’expression de leur amour. L’industrie crée ainsi un climat de compétition sociale où l’expression de l’affection est mesurée en fonction de la valeur monétaire des cadeaux offerts. Pourtant, l’amour véritable est loin de se mesurer à une valeur monétaire, et devrait plutôt l’être en gestes sincères et en moments partagés. Cette commercialisation de la Saint-Valentin perpétue une culture de la consommation où l’amour est souvent réduit à une transaction financière. La véritable essence de l’amour réside dans les petites attentions quotidiennes, la présence attentive et le soutien mutuel, bien loin des artifices matérialistes imposés par la société de consommation.

« C’est triste de constater que nous avons besoin d’une célébration ponctuelle commune pour accorder du temps à l’amour, alors que chaque jour devrait être une opportunité de cultiver et de nourrir nos relations de manière spontanée et sincère »

Pour une vision plus authentique de l’amour

À mes yeux, la Saint-Valentin s’est développée à travers les années comme une fête vide de sens, j’irais même jusqu’à dire fake. Les œillères que la société s’est imposées quant à la célébration de la Saint-Valentin limitent l’infinité de formes que peut prendre l’amour. En effet, l’amour ne peut être canalisé en une unique journée : il s’agit d’un concept plus grand qui devrait transcender l’ensemble de nos actions et pensées. Qu’on ait envie de passer notre Saint-Valentin avec nos ami·e·s, avec notre famille, ou encore avec notre partenaire, on devrait mettre au placard le stigma qui existe autour de l’amour atypique. L’amour, platonique comme romantique, devrait avoir sa place au sein de la société et se doit de recevoir la même reconnaissance, peu importe sa forme. Il ne devrait pas y avoir de pression à célébrer cette journée avec quiconque en particulier, considérant que préférer être entre ami·e·s, en famille ou seul·e, est tout aussi légitime que passer la journée avec un·e partenaire romantique. Devoir s’entendre sur cette date, le 14 février, pour démontrer tous en cœur notre amour perpétue une vision étroite de l’affection, où l’expression des sentiments est dictée par les conventions sociales plutôt que par le désir organique de montrer notre amour. C’est triste de constater que nous avons besoin d’une célébration ponctuelle commune pour accorder du temps à l’amour, alors que chaque jour devrait être une opportunité de cultiver et de nourrir nos relations de manière spontanée et sincère.

Vers un futur plus amoureux

Dans un article satirique publié au Délit en 2018, l’autrice suggérait à McGill de faire de la Saint-Valentin un congé férié. Bien que cela puisse sembler loufoque, ce serait véritablement la manière de permettre une célébration de la fête de l’amour en bonne et due forme : on pourrait ainsi s’accorder une journée complète de célébration qualitative avec les gens qu’on aime. Bien qu’il y ait une part de bon à assigner une journée internationale à l’amour, je plaiderais en faveur d’une reconsidération de sa valeur, et proposerais de faire de nos vies une célébration continue de l’amour, incitant tous·tes à chérir les gens qui les entourent au quotidien. Ça peut paraître cynique, mais j’irais même jusqu’à dire qu’on devrait abolir la Saint-Valentin. Sachant que ce n’est pas près d’arriver, je suggère qu’en tant que communauté, nous nous contentions d’un effort conscient visant à faire de nos vies une célébration perpétuelle des gens qu’on aime, tout en accordant une attention particulière à la déconstruction des normes sociales qui sous-tendent la célébration de cette fête.


Dans la même édition