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Gare aux roses rouges !

L’industrie des fleurs : une menace pour l’environnement

Adèle Doat | Le Délit

Avec le retour du soleil et des températures positives, l’amour est dans l’air. Alors que la Saint-Valentin approche à grands pas, il faudrait vraiment avoir la tête ailleurs pour ne pas le constater. Il suffit d’aller faire ses courses au supermarché pour être assailli·e par la profusion de bouquets de fleurs colorés, éparpillés au milieu des denrées alimentaires du quotidien. À l’épicerie Metro, les magnifiques bouquets de roses rouges, jaunes et blanches sont signés Savoir Fleur. Ces fleurs semblent être le cadeau idéal pour célébrer la fête de l’amour. Néanmoins, leur histoire n’est pas toujours aussi rose qu’il n’y paraît et l’on se demande quelles sont leurs origines.

Discours discordants

Il est tout à fait légitime de se poser des questions et de douter de l’aspect écologique des fleurs que l’on trouve en grande distribution à l’avènement d’une nouvelle fête commerciale, dont l’enjeu principal est, il faut le rappeler, de faire un maximum de profit. Savoir Fleur est une entreprise de fleuristerie grossiste au Québec et en Ontario. Elle approvisionne les épiceries des deux provinces en bouquets depuis 1987. Sur son site, l’entreprise déclare : « Nous nous approvisionnons en fleurs fraîches auprès de 80 fermes dans plus de dix pays à travers le monde. […] Nos bouquets peuvent contenir des tiges de wax d’Australie, des gerberas de Hollande, des tournesols du Canada, des roses de l’Équateur, des chrysanthèmes de Colombie, du limonium du Pérou et des feuillages des États-Unis. » De telles affirmations peuvent sembler contradictoires avec un autre message délivré plus loin : « Nous nous associons avec des fermes qui offrent une garantie de qualité et qui pratiquent une culture saine pour l’environnement et responsable pour les gens qui y travaillent. » Nous pouvons relever une certaine incohérence dans ce discours. D’une part, il souligne l’importance d’une production écologiquement responsable, mais de l’autre, il ne prend pas en compte la pollution que le transport des fleurs entraîne. Le·a consommateur·trice peut facilement se retrouver dérouté·e dans sa quête d’adopter un comportement plus vertueux vis-à-vis de l’environnement, en se demandant s’il·elle devrait ou non acheter ces fleurs qui ont parcouru le monde entier.

L’exemple de Savoir Fleur n’est pas un cas isolé : 2/3 des fleurs vendues au Québec proviennent de l’étranger. Les roses importées majoritairement d’Équateur et de Colombie sont transportées en avions-cargos réfrigérés, ce qui émet de grandes quantités de gaz à effet de serre. De plus, pour conserver leur éclat d’ici la vente, les roses sont aspergées de substances toxiques. Souvent, les roses sont cultivées en monoculture et les horticulteur·trice·s des pays tropicaux ont recours à l’usage de pesticides, ce qui contribue à appauvrir considérablement les sols et à polluer les eaux, dont la culture est également très gourmande. D’ailleurs, ces bouquets que nous retrouvons en grande surface sont généralement emballés dans du plastique : une double peine pour l’environnement.

« 2/3 des fleurs vendues au Québec proviennent de l’étranger. Les roses importées majoritairement d’Équateur et de Colombie sont transportées en avions-cargos réfrigérés, ce qui émet de grandes quantités de gaz à effet de serre »

Un exemple typique d’écoblanchiment

Savoir Fleur fait partie d’une société plus large. L’entreprise est membre du Groupe de Compagnies Westbrook. Il s’agit d’un grand groupe réunissant plusieurs entreprises « produisant des fleurs en pot, des fleurs coupées, et gérant la conception et la construction de structures de serres commerciales et de production dans toute l’Amérique du Nord (tdlr) ». Sous le volet « Notre mission », ; le groupe affirme se « soucier des communautés que nous partageons, de la durabilité de nos produits et de l’avenir à long terme de la planète. » Et d’ajouter : « Grâce à la gouvernance, à l’intégrité et à l’accent mis sur la qualité, l’innovation et le développement durable, nous développons des entreprises et des personnes en vue d’une réussite à long terme. » Le terme de « croissance durable » pullule à travers ce discours aux sonorités vertueuses. C’est pourtant ce même groupe qui soutient les actions des entreprises comme Savoir Fleur. On peut parler d’écoblanchiment, dans la mesure où le discours véhiculé par le groupe lui donne une image écoresponsable, derrière laquelle sont dissimulées les actions polluantes des entreprises.

Les bouquets de fleurs que l’on retrouve en grande surface affichent des prix bien plus attirants pour le·la consommateur·trice que ceux que l’on peut retrouver chez les fleuristes. Les entreprises, parce qu’elles vendent en masse, peuvent fixer un prix réduit. Chez Metro, le « bouquet de luxe douze roses » de Savoir Fleur est vendu à 29,99$. À titre de comparaison, un bouquet du même genre coûte 120$ chez le fleuriste Marché Aux Fleurs MTL. Cette différence de prix, aussi dûe au contraste en termes de qualité, explique pourquoi le·la consommateur·trice sera plus enclin à acheter un bouquet au supermarché plutôt que chez le fleuriste, qui pourrait lui proposer des fleurs plus locales.

Le stéréotype de la Saint-Valentin

Cette différence de prix influence les fleuristes locaux, créant une forte compétition, qui les oblige eux aussi à passer outre certaines considérations écologiques. Ainsi, face à la concurrence des grandes entreprises, les fleuristes perpétuent, comme leurs rivaux, les stéréotypes de la Saint-Valentin, néfastes à l’environnement. « Nous entrons dans la période de la Saint-Valentin qui est encore stéréotypée par la rose rouge », admet une vendeuse. Les slogans chez les fleuristes, tels que « la rose est au centre de l’amour » sont nombreux. Il s’agit d’un problème plus largement ancré dans nos sociétés, qui se complaisent dans la consommation de produits de masse, négligeant ainsi l’aspect environnemental. Interrogé par Le Délit, *Martin, étudiant à McGill, a avoué que bien que son premier instinct fut d’offrir des roses à sa copine, il a désormais changé d’avis : « Je trouve important que le cadeau soit personnel et pas seulement une tradition obligatoire. »

Ce genre de choix reflète les propos d’une fleuriste, qui nous a confié observer un changement de tendance : « Il y a quand même un petit virement qui se fait. Les gens achètent de moins en moins de roses rouges. Notre clientèle veut un peu déroger de ce look classique. L’esthétique change beaucoup. Il y a un côté plus naturel qui revient en vogue avec le mouvement slowflower d’auto-cueillette : moins de production de masse, plus de fleurs sauvages. »

Quelles alternatives ?

Le mouvement slowflower remet en question notre mode de consommation et revendique une production de fleurs au rythme de la nature et des saisons, d’une manière plus respectueuse envers l’environnement et la biodiversité. En effet, comme les fruits et les légumes, les fleurs dépendent du rythme des saisons, et il est important d’en prendre compte. Il vaut mieux se rendre chez le fleuriste pour demander conseils plutôt que d’acheter un bouquet au supermarché, comme nous achetons nos pâtes et notre riz. À partir du mois de janvier, on retrouve dans les serres canadiennes lisianthus, mufliers, renoncules, rosettes, tulipes, etc.

Cette nouvelle tendance se manifeste également par l’achat de fleurs plus locales. Toutefois, il faut faire attention, car même cultivées dans des serres au Québec, en plein hiver, les roses nécessitent beaucoup d’énergie. En effet, elles ont besoin de beaucoup de chaleur et de lumière pour s’épanouir. Si vous souhaitez à tout prix offrir des fleurs à votre amant·e, privilégiez les fleurs en pot. Gabrielle, étudiante à McGill, raconte que
son copain l’année dernière lui avait dessiné une rose sur la main le jour de la Saint-Valentin : « C’est devenu notre tradition, dessiner une fleur, plutôt que d’en acheter. » Sinon, les cadeaux immatériels comme une soirée au restaurant entre amoureux·ses restent le choix le plus écologique, et tout aussi romantique. « Nous n’avons pas de plan précis pour la Saint-Valentin, mais nous nous sommes dit que l’on se réserverait du temps pour être ensemble », nous partage Gabrielle. Rien n’est plus précieux que du temps partagé avec ceux·celles que nous aimons.

*Nom fictif


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