Mardi 13 février, l’ensemble des professeur·e·s de droit de McGill, uni·e·s au sein de l’Association mcgilloise des professeur·e·s de droit (AMPD), ont fait grève, provoquant l’annulation de tous les cours de la faculté pour l’entièreté de la journée.
Officiellement créée en 2021 et accréditée en 2022, l’AMPD est le premier syndicat de professeur·e·s de l’Université McGill. Ses mandats sont pluriels, et comprennent notamment un engagement à « être une voix indépendante et collective du corps enseignant [de la faculté de droit, ndlr] » à « promouvoir un environnement de travail positif et encourageant », et, de manière plus particulière à « obtenir la certification en tant qu’unité de négociation exclusive de nos professeur·e·s et négocier la toute première convention collective entre les professeur·e·s et McGill ». Ce dernier objectif a été central aux actions de l’association depuis sa création. Les difficultés rencontrées dans ce processus de négociation avec McGill ont suscité la consternation chez les membres de l’AMPD, les poussant finalement à réaliser une grève comme dernier appel. Le Délit a rencontré Evan Fox-Decent, professeur de droit à McGill depuis 2005, et actuellement président de l’AMPD.
Des négociations difficiles
« Depuis novembre 2022, nous tentons de négocier une convention collective avec McGill pour le bénéfice de nos membres ; et dans l’intérêt, bien sûr, de l’ensemble de la communauté mcgilloise (tdlr). » Concrètement, cette convention collective aurait pour but de mieux protéger les professeur·e·s de la Faculté de droit, en les unissant au sein d’une convention commune entre ces dernier·ère·s et l’Université. En effet, le professeur Fox-Decent explique qu’aujourd’hui « presque aucun·e professeur·e [d’autres universités, ndlr] ne travaille dans le cadre d’une convention collective. Nous travaillons sur la base d’un contrat individualisé avec McGill, qui stipule que nous sommes soumis·e·s aux règlements de l’Université, qui peuvent changer de temps à autre. »
Les revendications de l’AMPD dans ces négociations se rapportent plus spécifiquement aux conditions de travail, à la gouvernance de la faculté et aux propositions monétaires. Le syndicat demande notamment des améliorations sur les conditions d’emploi et d’enseignement, une hausse des salaires, des avantages sociaux et encore, une rémunération au mérite.
Néanmoins, ces négociations ne se déroulent pas comme le syndicat le souhaitait. Le professeur Fox-Decent nous explique : « Ces négociations ont débuté il y a plus d’un an. Malheureusement, au cours de cette année, nous avons été confronté·e·s à des retards systématiques. L’administration reporte ou annule des réunions, et nous donne très peu de dates pour nous asseoir à la table des négociations. Et lorsque nous nous rencontrons, McGill s’engage systématiquement dans ce que l’on appelle parfois des négociations de surface. Nous passons, par exemple, une journée entière avec eux, à nous demander ce que nous entendons par tel ou tel mot. » Le professeur explique que la grève a donc pour but premier de dénoncer ce manque de coopération de la part de l’Université dans les négociations, en particulier les retards constants, ainsi que la trop faible fréquence des discussions. « La prochaine date qu’ils nous ont proposée pour négocier est le 22 mars, ce qui est tout simplement scandaleux. La norme dans ce secteur, et la norme générale pour les négociations collectives, est de rencontrer les parties au moins une fois par semaine, afin de maintenir l’élan. En-deçà, il est très difficile de réaliser des progrès substantiels. »
Fox-Decent ajoute que la grève a aussi été motivée par un désaccord sur le contenu des négociations en elles-mêmes. « Nous sommes parvenu·e·s à un accord, pour l’essentiel, sur la substance de ces dispositions […] mais McGill refuse d’intégrer ces réglementations dans une convention collective qui les contraint [‘‘binding’’, en anglais, ndlr]. » En effet, la structure de la convention souhaitée par McGill pourrait s’avérer détrimentale pour les membres de l’AMPD : « Ils [l’administration, ndlr] insistent sur le fait que s’ils le souhaitent, au cours de la durée de la convention collective, ils pourraient en modifier les termes. Cela nous rend nerveux·euses, nous nous demandons, en quelque sorte, ce qu’ils ont en tête. » Le professeur ajoute que cet arrangement déséquilibré souhaité par McGill rend la signature de la convention légalement impossible pour l’AMPD. « Notre devoir de représenter nos membres nous interdit de signer une convention collective qui permettrait à l’autre partie d’en modifier les termes ou d’en imposer de nouveaux à sa seule discrétion. Même si nous voulions la signer, nous ne pourrions pas le faire légalement. »
La manifestation
Pour exprimer leur colère, l’ensemble des professeur·e·s de la Faculté de droit de l’Université ont donc fait grève pendant toute la journée de mardi, après avoir voté cette décision de mobilisation en décembre dernier. Les professeur·e·s ont piqueté, bloquant ainsi les deux entrées de la Faculté de droit. « Aucun cours n’a été donné pour autant que nous le sachions. Nos collègues, tous·tes les professeur·e·s à temps plein, sont resté·e·s à l’écart. Les étudiant·e·s ne voulaient pas franchir le piquet de grève. La Faculté de droit a donc bien été fermée ». Aux alentours de midi, les professeur·e·s regroupé·e·s se sont par la suite dirigé·e·s vers le bâtiment de l’administration, devant lequel ils·elles ont manifesté, et certain·e·s ont pris la parole. Le professeur Fox-Decent souligne l’ambiance positive ressentie au cours de la journée, et le soutient que d’autres professeur·e·s, n’appartenant pas à la faculté de droit, et les élèves leur ont apporté. « Un très grand nombre de personnes nous ont soutenu toute la journée. […] Nous avions des membres de MAUT [Association des professeur·e·s et bibliothécaires de McGill, ndlr], des membres de MCLIU, le syndicat des chargé·e·s de cours de McGill, et un important contingent d’au moins sept ou huit collègues de la Faculté d’éducation. De nombreux collègues d’autres facultés, dont celle des arts et celle d’ingénierie, ainsi que des représentants de la Fédération des professeur·e·s du Québec et de l’Association canadienne des professeur·e·s d’université sont venu·e·s rejoindre les piquets de grève afin de nous soutenir. […] C’était une atmosphère très festive, une sorte de carnaval. Tout le monde s’est beaucoup amusé. Nous avions des mégaphones, des cloches, des bruiteurs et un haut-parleur Bluetooth. Nous avons pu chanter des chansons syndicales amusantes toute la journée. De plus, nous avons eu la chance de bénéficier d’une belle journée ensoleillée et de ne pas avoir trop froid. »
La réaction de l’Université
Le professeur nous apprend la réaction atypique de l’université face à cette grève. « McGill a réagi sans nous prévenir. Ils nous ont coupé l’accès à nos courriers électroniques, Onedrive et MyCourses dès minuit, le jour de la grève. Nous avons donc été complètement bloqué·e·s. Nous n’avions pas accès à nos courriels, ni à quoi que ce soit d’autre, et il n’y avait aucun moyen pour les étudiant·e·s de communiquer avec nous pendant toute la journée. » Pour le professeur, l’administration a « en quelque sorte procédé à un verrouillage électronique assidu et minutieux » des membres de l’AMPD, sans même prévenir ces dernier·ère·s de la mise en place d’une telle mesure.
Et maintenant ?
Aujourd’hui, les négociations entre l’AMPD et l’administration de McGill sont toujours en cours. Le professeur Fox-Decent conclut : « Tout ce que nous voulons, c’est amener McGill à la table, pour négocier de bonne foi avec nous, afin d’obtenir une convention collective. Nous avons dit à McGill que si nous n’avons pas de convention collective d’ici le 15 avril, nous referons grève. » En décembre, les membres de l’AMPD ont voté pour cinq jours de grève pouvant être utilisés de manière consécutive ou individuelle. Le syndicat dispose donc encore de ce recours pour défendre leur cause. Les prochaines négociations entre l’AMPD et McGill auront lieu le 22 mars prochain. Malgré une demande du Délit, l’administration de McGill n’a pas souhaité faire de commentaire.