Panorama, paru en août 2023, est le troisième livre de l’écrivaine et
journaliste française Lilia Hassaine. Lauréat de deux des prestigieux prix littéraires français, le Prix Renaudot et le Prix des Lycéens, ce roman se situe à la frontière entre utopie et dystopie et plonge le lecteur dans une enquête policière dans une société française futuriste de 2049, à l’ère de la Transparence.
Rien à cacher
Le roman s’ouvre sur le procès de la justice française. En 2029, un influenceur célèbre victime d’inceste par
son oncle plusieurs dizaines d’années auparavant décide de faire justice lui-même face à l’irrecevabilité de sa plainte. Le meurtre est filmé et diffusé sur les réseaux sociaux, lançant la revenge week. Partout en France, les victimes se soulèvent et se vengent de leurs agresseurs. Le flic pourri, le patron d’une entreprise pétrolière, le voisin qui bat sa femme, tous y passent. Face à l’ampleur du mouvement et aux manifestations appelant à la réforme de la justice, le gouvernement tente de réprimer sans succès, plie et finit par s’effondrer. Après sept jours de terreur, c’est la révolution, le début de l’ère de la Transparence. Les institutions sont démantelées, les lois abolies et toute décision est désormais passée par référendum sur internet, et rendue publique. Mais la Transparence n’est pas seulement politique, elle est aussi individuelle et architecturale. Au nom de la paix civile, pour combattre les violences du passé commises dans la discrétion des espaces clos, les murs doivent tomber. L’intimité devient un luxe égoïste auquel la population renonce en réformant l’architecture. Les maisons, bureaux, lieux de culte sont abattus et remplacés par des édifices en verre. Exposés constamment à la vue de tous, les criminels entrent dans les rangs, les violences domestiques diminuent jusqu’à disparaître grâce à la surveillance constante des voisins suspicieux qui n’hésitent pas à appeler les gardiens de protection au moindre soupçon.
« À l’ère de la Transparence, l’exemplarité est de mise. L’intimité est égoïste puisque personne n’a rien à cacher, et pourtant, un couple et son enfant disparaissent »
Après avoir plongé le lecteur dans cette société utopique, Lilia Hassaine nous emmène dans une trame policière qui passionne la population de 2049. Au cœur d’un quartier huppé, dans un bloc de verre exposé à la vue de tous, une famille disparaît. L’enquête révèle quelques gouttes de sang, identifie des suspects potentiels, mais faute de pistes tangibles et sous la pression du chef de police, elle est classée sans suite, jusqu’à la découverte des corps un an plus tard. Avec cette enquête, l’autrice interroge les mécanismes dystopiques de cette société futuriste : son rapport à l’éducation avec l’abolition du risque transformant les enfants en clones idéaux pas si parfaits, la marchandisation de l’intimité, et la violence symbolique et réelle d’une population qui se veut assainie.
Au-delà de la fiction
Le style de prédilection de Lilia Hassaine n’est pas la science-fiction. Ses deux romans précédents, Soleil Amer, et L’Oeil du Paon traitent respectivement de l’intégration d’une famille d’immigrés dans la France des années 80 et de la dangereuse ivresse d’une jeune croate qui intègre la jeunesse aisée parisienne. Dans son dernier roman, Panorama, l’autrice dresse avec succès le portrait d’une société qui nous ressemble, où les murs transparents interdisent les secrets, où la pénétration dans l’intimité d’autrui ne se fait plus seulement par nos téléphones, mais par l’architecture même de la société. Reclues derrière des murs de verre, les personnes sont prisonnières du regard des voisins, des passants qui les scrutent en permanence et leur imposent une image. À l’ère de la Transparence, l’exemplarité est de mise. L’intimité est égoïste puisque personne n’a rien à cacher, et pourtant, un couple et son enfant disparaissent. Dans une société fictive qui nous invite à réfléchir sur notre rapport à la liberté, à la démocratie, Lilia Hassaine nous plonge dans une trame policière dont l’on peine à sortir.