Un narratif très particulier encadre la vie sociale à l’université : celui d’une promesse de liberté. Cette belle histoire, fruit de l’imagination collective, des souvenirs de nos anciens, des réseaux et des séries B, a tendance à définir les années universitaires comme les plus belles d’une vie, et ce surtout sur le plan social. Un environnement si riche et divers, regorgeant d’individus tous les plus intéressants les uns que les autres, ça ne peut être qu’un idéal relationnel, n’est-ce pas ? Les fêtards vont en boîte de nuit, les curieux participent aux nombreux événements organisés par les associations étudiantes, et les intellos peuvent prendre part au légendaire club de génie en herbe. Tant d’opportunités de tisser des liens et tant de souvenirs qui, selon la croyance populaire, dureront toute une vie.
Nous estimons que la réalité est bien plus complexe qu’elle n’y paraît. Le mythe de la vie sociale universitaire, cultivé par le tsunami médiatique dont nous faisons tous l’expérience au quotidien, est loin d’être l’idylle sociale au cœur de laquelle les amitiés se nouent et se renforcent sans effort. Des efforts, chacun se doit d’en faire pour s’accrocher au rêve d’une vie sociale universitaire épanouie. Attention, notre but n’est pas d’effrayer le lecteur et d’avoir l’air de grands-parents donneurs de leçons ! Des merveilles peuvent arriver au sein du monde universitaire, et des discussions très superficielles au coin de la cafétéria peuvent aboutir en relations magnifiques et durables. Néanmoins, la nuance doit être de mise. Si l’idylle populaire comporte du vrai, c’est également le cas pour son contraire : en tant qu’étudiants, il est important de reconnaître que nous sommes sous la pression constante de devoir faire des rencontres, toujours plus de rencontres, à une telle échelle que nous atteignons bien souvent le trop, le beaucoup trop. C’est alors que les discussions deviennent machinales, que l’intérêt authentique disparaît, que les prénoms s’effacent des mémoires. C’est alors que nous nous noyons.
Superficialité et popularité
C’est le début de l’année : on participe à Frosh, on enchaîne les bars et les soirées, on s’abonne à des dizaines de personnes sur Instagram, auxquelles on ne reparlera sûrement jamais, et on rencontre nos voisins de palier. Ça y est, nous y sommes : nous entrons dans le cycle infernal de la vie sociale à l’université. Au début ça peut être drôle. Beaucoup viennent de s’installer dans une nouvelle ville où ils ne connaissent personne. On est loin de chez soi, de ses amis, de sa famille, on a besoin de ces moments partagés. Cependant, on s’interroge sur la superficialité de ces soi-disant amitiés. En parlant d’expérience, j’ai rencontré des étudiants durant les diverses soirées d’intégration organisées par l’Université. De toutes ces personnes, seulement deux sont encore à mes côtés, après un an et demi. Je pense qu’il n’y a pas d’explication plus simple : ces soirées, c’est la course aux abonnés, une compétition silencieuse entre chaque personne présente pour parler à un maximum de monde. Bien sûr, ce n’est pas le cas de tous. Certains cherchent réellement à créer des amitiés fortes et solides. Mais, la plupart n’ont qu’un objectif : documenter leur popularité sur les réseaux. Difficile de créer de réelles connexions, profondes et humaines lorsque l’on a l’impression de se retrouver dans un océan d’influenceurs. J’entends souvent les gens autour de moi en parler : « Il faut que je me désabonne de certaines personnes pour avoir plus d’abonnés que d’abonnement » ; « Ce soir, je demande les comptes de tout le monde, il faut absolument que j’atteigne mille abonnés… »
« Le mythe de la vie sociale universitaire, cultivé par le tsunami médiatique dont nous faisons tous l’expérience au quotidien, est loin d’être l’idylle sociale au cœur de laquelle les amitiés se nouent et se renforcent sans effort »
Je me souviens être entrée en contact avec une personne qui semblait partager des intérêts communs avec moi. Pendant une dizaine de minutes, je lui ai parlé de livres et de poèmes et elle m’a raconté sa passion pour Sylvia Plath. Quelle surprise, c’est aussi mon autrice préférée ! Il me semblait que nous l’avions, cette réelle connexion, qu’il y avait là le début d’une amitié sincère, une flamme qu’il ne suffisait plus qu’à nourrir et faire grandir. Autant dire que j’avais bien rêvé. Après trois tentatives de planifier une discussion littérature autour d’un bon café, je finis par abandonner, acceptant la dure vérité qu’elle ne voulait tout simplement pas être mon amie. Cet événement est loin d’être isolé. J’ai eu par la suite de nombreuses conversations avec mes proches qui m’ont, eux aussi, partagé des expériences similaires durant leurs premières semaines à l’université.
Maintenir des relations
Les mois passent et d’autres difficultés surgissent. Si tu n’es parvenu qu’à créer des relations superficielles, tu te sens maintenant bloqué. Tu as cette sensation d’obligation de rester aux côtés de personnes avec lesquelles tu préfèrerais ne plus parler. Il est vrai que, après avoir passé plusieurs semaines à s’envoyer des messages et des reels sur Instagram, tu te vois mal annoncer de façon décontractée que tu ne veux plus de cette amitié. C’est une situation difficile à laquelle beaucoup sont confrontés. Tiraillé entre ton envie d’être sincère et celle de ne pas vouloir blesser la personne, tu continues à parler avec des gens qui – et ça tu ne peux que le réaliser maintenant– ne s’alignent pas avec tes valeurs, ta personnalité, ou tes centres d’intérêts.
Dans le cas où tu as malgré tout réussi à créer des amitiés sincères, félicitations, tu as passé le niveau 1. Qu’en est-il du niveau 2 ? Parviens à maintenir ces relations avec des emplois du temps différents, les semaines de relâche et les périodes d’examens. Bon courage ! Tu as beau avoir un groupe d’amis idéal, tu fais face
à un nouvel obstacle : organiser des sorties. Être étudiant, c’est un travail à temps plein. Peu importe ton programme d’étude, on est tous plus débordés les uns que les autres. S’il s’avère que tu n’as aucun cours en commun avec tes amis, tu vas vite réaliser qu’il est bien compliqué d’entretenir des relations. Les semaines de relâche sont aussi un moment où beaucoup signent la fin de leurs amitiés. À l’université, il est probable que les gens que tu rencontres habitent dans une province ou un pays différents. Entre le décalage horaire et le manque d’investissement de certains qui n’envoient jamais le premier message, ce n’est pas parce que tu rencontres la personne, que tu vas forcément continuer à la voir. Tu te sens alors coupable. Cette culpabilité te ronge de plus en plus et s’ajoute au stress des examens. Et voilà, c’est ça être étudiant…
Chemins parallèles
Le rêve de la vie sociale apparaît ainsi comme une vaste pièce de théâtre dans laquelle tout le monde doit jouer son rôle, ou du moins s’y résoudre de manière relativement imposée par le narratif dominant. Mais comme dans tout bon narratif, il existe des cas d’exceptions, que certains à l’université aiment qualifier d’intrus ou d’asociaux. Beaucoup peuvent trouver du bonheur et de la satisfaction personnelle dans le fait d’éviter la vie sociale, ou du moins de ne pas forcer la chose. Alors que certains préfèrent éviter une pression additionnelle en limitant leur nombre d’interactions, d’autres ne sont pas fermés à la vie sociale, au contraire, mais valorisent dans une plus grande mesure les amitiés réelles et authentiques, celles dont le sujet de discussion n’est pas seulement : « Et sinon, toi, c’est quoi ton programme à McGill ? » Beaucoup d’étudiants ont déjà des amis avant d’entrer à l’université, et priorisent l’entretien d’une amitié de longue date avec quelqu’un de confiance plutôt que d’essayer de transformer leur environnement relationnel de A à Z. Il est raisonnable d’estimer que le « rôle » que le narratif veut assigner à chacun ne nous correspond tout simplement pas.
Enfin, la pression sociale est cruciale, et a souvent tendance à être sous-estimée. Les évènements, les soirées, les obligations, les sorties ; autant de données qui s’additionnent au cœur de l’équation déjà bien remplie qu’est la charge mentale étudiante. Pour beaucoup, les cours suffisent déjà, et sont parfois même trop conséquents sans aucune autre activité parallèle. La passerelle vers la vie adulte que représente l’université présente de nombreux défis, et l’épanouissement personnel est souvent incompatible avec l’overdose relationnelle, un trop plein de superficialité et de manque d’authenticité.