Le sport est souvent présenté comme quelque chose d’essentiellement positif. Non seulement, il est bénéfique pour la santé, physique comme mentale, mais il fait également vibrer les communautés toutes entières au cours de compétitions internationales en particulier. Si l’on questionne parfois les compétitions sportives quant à leur impact sur les droits humains des populations locales – la dernière Coupe du monde de soccer au Qatar avait notamment suscité la controverse –, on se pose moins, ou du moins pas assez, de questions sur leur impact sur l’environnement. On est tous à peu près d’accord pour dire que le sport est bon pour la santé mentale et physique, mais l’est-il pour la planète ?
Aujourd’hui, Le Délit souhaite soulever et discuter ce point négatif qui peut accompagner les pratiques sportives : la dégradation de l’environnement. Mais, plus que de critiquer, nous avons aussi souhaité réfléchir aux potentielles alternatives pour rendre le sport un peu plus vert, en rappelant qu’il peut être une source de bonheur en harmonie avec l’environnement lorsqu’il s’affranchit d’une logique de performance et de profit.
Les infrastructures sportives
Les sports prennent souvent place dans des milieux naturels, comme les forêts, les mers et océans, ou encore les montagnes. La création de gigantesques infrastructures sportives comme des terrains de golf, des stations de ski ou des stades pouvant accueillir des milliers de spectateurs détruit des écosystèmes naturels et met en péril la biodiversité. À titre d’exemple, une nouvelle tour des juges en aluminium a été construite pour l’épreuve de surf des Jeux olympiques de 2024, qui se déroulera sur l’île polynésienne de Teahupo’o, connue pour sa vague mythique. Cette tour, qui remplace l’ancienne, construite en bois, menace les coraux du lagon.
« La plupart du temps ce ne sont pas les sports en eux-mêmes qui dégradent l’environnement, mais plutôt leur organisation, les infrastructures qu’ils nécessitent, ainsi que les déplacements des joueurs »
Un autre exemple assez simple sont les stations de ski. Si on y réfléchit bien, pour construire une station de ski, il faut prendre une montagne, y raser les forêts, bétonner, et construire des immeubles, installer des remontées mécaniques et produire de la neige artificielle pour ensuite attirer des touristes et des sportifs qui effectuent des voyages (parfois depuis l’autre bout du monde), pour venir dévaler les pentes enneigées. Les stations de
ski françaises émettent 800 000 tonnes de CO2 par année, selon l’étude réalisée en 2009 par l’Association Nationale des Maires des Stations de Montagne (ANMSM) et l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME). Par ailleurs, l’empreinte carbone individuelle d’une journée de ski s’élève à 48,9 kg de CO2, ce qui équivaut à un trajet de 250 km en voiture.
Les déplacements des sportifs
D’immenses quantités de gaz à effet de serre sont émises lors des déplacements des sportifs. Dans un monde ou les compétitions et championnats de sport sont mondialisés, les sportifs doivent se déplacer sur de très longues distances de manière très fréquente. Si déjà en 2022, l’empreinte carbone de la Coupe du monde de soccer au Qatar s’élevait à six millions de tonnes de CO2, le soccer semble aujourd’hui s’obstiner à poursuivre une direction diamétralement opposée à la protection de l’environnement.
Alors que les Coupes du monde ont toujours été organisées par un unique pays, permettant parfois aux équipes de se déplacer en train ou en bus, elles seront désormais organisées sur des distances beaucoup plus grandes. Par exemple, la Coupe du monde 2026 se déroulera au Canada, aux États-Unis et au Mexique, et la coupe du monde 2030 sur d’encore plus grandes distances, entre l’Afrique, l’Amérique du Sud et l’Europe… Difficile de traverser les océans en bus.
En revanche, si nous pouvons dénoncer ces grands événements sportifs comme les Jeux Olympiques ou les Coupes du monde, il est aussi intéressant de s’intéresser à l’impact environnemental des compétitions dites « de tous les jours ». Par exemple, à la NBA (National Basketball Association), les équipes jouent 82 matchs par saison, dont 41 à domicile et 41 à l’extérieur. Chaque saison, pour une durée d’environ six mois, une seule équipe parcourt en moyenne une distance de 80 000 kilomètres en avion à travers les Étas-Unis.
Les sports en eux-mêmes
Comme nous avons pu le montrer, la plupart du temps ce ne sont pas les sports en eux-mêmes qui dégradent l’environnement, mais plutôt leur organisation, les infrastructures qu’ils nécessitent, ainsi que les déplacements des joueurs. Toutefois, certains sports sont automatiquement et nécessairement accompagnés d’une dégradation de l’environnement. Nous pouvons entre autres penser à la Formule 1, qui correspond, dans l’absolu, à voir des voitures tourner en rond pendant deux heures à chaque semaine, et ce, sur différents pays et continents. Chaque saison, ce serait 250 000 tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions carbones du Burundi sur une année, qui seraient générées par les courses, surtout émises par l’organisation de ces dernières (déplacements, visiteurs, installations, etc.).
Bien souvent, le sport s’inscrit dans la course à la croissance, se traduisant par la recherche de toujours plus de performance et de matériel à la pointe de la technologie. Cet état d’esprit reflète le sentiment de domination que l’humain a longtemps porté sur la nature, voulant à tout prix maîtriser son environnement. Pourtant le sport en lui-même ne semble pas causer du tort à la planète. Au contraire, sa pratique nous détourne de la consommation matérielle, tout en nous procurant un bonheur plus authentique. Le sport peut-il avoir un rôle positif dans la transition écologique ?
« Il y a beaucoup de choses très belles dans le sport qu’on pourrait préserver, mais hors monde industriel et hors professionnalisation, hors marchandisation »
Yves-Marie Abraham, professeur à HEC Montréal
Le sport sans industrie
« Dès que vous sortez d’une logique industrielle, vous avez résolu une grande partie des problèmes », explique Yves-Marie Abraham interrogé par Le Délit. Professeur à HEC Montréal, il mène des recherches sur le thème de la décroissance. « Il y a beaucoup de choses très belles dans le sport qu’on pourrait préserver, mais hors monde industriel et hors professionnalisation, hors marchandisation », ajoute-t-il. « C’est faux de dire qu’on a besoin d’un grand stade de soccer pour y jouer. Tout ce dont on a besoin, c’est d’un terrain à peu près plat, où il n’y a pas trop de trous. On est tous capable de trouver des endroits comme ça. »
Selon Yves-Marie Abraham, il faudrait « intégrer davantage dans notre vie quotidienne un usage du corps qui fasse qu’on ait moins besoin de faire du sport pour préserver sa santé ». Aujourd’hui, nous passons nos journées à travailler dans des bureaux devant des ordinateurs, pour essayer d’être toujours plus productifs. En fin de journée, exténués, le sport devient un mode de défoulement nécessaire à notre survie, permettant d’évacuer le stress accumulé. Pour lui, « il faut une vie active, dans laquelle on sollicite le corps ». C’est donc notre quotidien qu’il faudrait repenser. « Si on sort de la logique de croissance, on va toujours devoir travailler, mais plus avec notre corps. C’est-à-dire produire une partie de notre nourriture, entre autre choses. Cela va supposer de passer du temps dans des champs, par exemple. […] L’idée, c’est de dépenser de l’énergie intelligemment, parce qu’aujourd’hui, nos machines en dépensent beaucoup, mais nos corps pas suffisamment, ce qui nous force le soir à aller courir sur un tapis dans une salle de sport pour brûler nos calories en trop. » Ainsi, le sport ne pourrait-il pas nous aider à réinventer nos sociétés et nos modes de vie en nous orientant vers des activités qui nous procurent du bonheur de manière plus sobre et moins destructrice de l’environnement ?
« Dans une future société n’étant plus à la poursuite d’une croissance illimitée et de toujours plus d’accumulation matérielle, le sport pourrait occuper une place plus centrale dans nos vies »
Le sport comme source de bonheur
Plutôt que de regarder le sport à la télévision, il faut le pratiquer pour en ressentir les bénéfices sur notre santé mentale et physique. Dans une future société n’étant plus à la poursuite d’une croissance illimitée et de toujours plus d’accumulation matérielle, le sport pourrait occuper une place plus centrale dans nos vies. La pratique du sport est une source de bonheur authentique, produisant des sensations de dépassement de soi et d’adrénaline uniques. « Cela m’a permis de prendre plus confiance en moi », nous confie Gabrielle, étudiante à McGill, avant d’ajouter : « Quand je finis de faire du sport, je suis vraiment heureuse. » Le sport nous permet de nous concentrer sur le moment présent, ce qui n’est pas toujours facile quand on est soumis aux stimulations perpétuelles de la société.
Le sport peut également permettre une meilleure connexion à la nature. Favorisant le temps passé à l’extérieur et en nature, il peut participer à nous inciter à vouloir mieux la protéger. D’ailleurs, le sport peut aussi transmettre des valeurs pouvant nous rendre plus sensibles à l’environnement et à la lutte pour sa protection. Selon Nathan, étudiant à l’UdeM, le sport lui a transmis « le goût de l’effort, l’humilité, le respect d’autrui et la simplicité dans [sa] façon de vivre en cherchant à utiliser [son] corps pour faire une activité, comme le vélo ou la marche. » Dans nos sociétés très individualisées, le sport est aussi le moyen de créer un lien social. C’est l’occasion de se réunir et de passer du temps ensemble. Ainsi, dédier plus de temps au sport dans notre quotidien, sans chercher à s’équiper de manière exagérée et en s’affranchissant des infrastructures polluantes peut être une première étape dans la création de nouvelles habitudes de vie plus simples et plus respectueuses de l’environnement. L’unique descente de ski de randonnée est d’autant plus belle qu’elle récompense les nombreuses heures de montée passées à gravir la montagne plutôt que d’avoir utilisé une remontée mécanique.