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Le mythe de la rentrée

Réflexion sur une période qui influence bien plus que nos calendriers.

Eileen Davidson

Qui a dit que le Nouvel An commençait en janvier ? La rentrée scolaire, tout comme les célébrations du jour de l’an, est une période de résolutions, de festivités et de retrouvailles. Les étudiants regagnent les bancs de l’université en laissant derrière eux les échos de l’été : un « moi » voyageur, audacieux et épris de liberté, où l’ivresse des jours sans responsabilité règne en maître. Septembre, tout comme son aîné Janvier, nous force à repartir à zéro et à nous fixer des objectifs aussi ambitieux que naïfs qui, soyons honnêtes, échouent souvent dès la naissance de leur frère Octobre. Ce n’est pas entièrement de notre faute, nous suivons ce que nous consommons : l’esprit écolier, avec tout son attirail d’engagement et de fébrilité, est largement influencé par les représentations que nous avons de la rentrée dans les médias. Le back-to-school est devenu un véritable événement mythifié dans la culture populaire : un rite de passage idéalisé, souvent présenté comme une période de transformation personnelle, de « glow-up », et de socialisation intense. Cependant, cette image romancée n’est pas totalement fidèle à la réalité vécue par les étudiants, notamment ceux de McGill (oui, malgré la Frosh Week). Entre attentes démesurées et défis quotidiens, il est temps de dévoiler les leurres qui font de la rentrée un événement à part.

« La rentrée est-elle vraiment ce rite de passage que l’on nous promet, ou n’est-elle qu’un mythe perpétué par une culture populaire en quête de perfection ? »

Recontextualiser la rentrée

L’origine de la rentrée scolaire remonte aux traditions éducatives anciennes, où la rentrée était le moment à travers lequel la population estudiantine reprenait sa formation après un repos estival — jusqu’ici rien n’a changé. Anthropologiquement parlant, cet événement peut se faire analyser sous le concept d’un rite de passage, qui, selon Arnold Kurr, ethnologue se spécialisant sur les rites de passages, est un moment charnière marquant la transition « d’une situation à une autre ».

Donc, bien qu’elle soit moins « dramatique » en termes de changement social ou culturel, la rentrée est un rite comparable au mariage et aux fêtes d’anniversaires ; un moment décisif qui marque le début d’une nouvelle phase de vie. C’est un passage symbolisant une maturation intellectuelle et sociale, qui ajoute un pas supplémentaire vers l’indépendance adulte et la construction d’une carrière plus concrète. Mais ce qui fait d’elle une période particulière, c’est qu’elle est probablement l’un des seuls rites de passages où l’enthousiasme, même au sein d’un monde idéal, n’est pas forcément au rendez-vous.

Un chapitre où l’identité est en jeu

En laissant la chaleur réconfortante de l’été, les étudiants se retrouvent souvent plongés dans le spleen automnal né du retour à la routine ; la rentrée universitaire rappelle la pression académique et le rafraîchissement de l’air. Cela ne signifie pas qu’on ne peut pas être naturellement impatients de reprendre les cours, cependant, c’est précisément l’idée d’une rentrée exceptionnelle qui vient combler cette angoisse et ce vide émotionnel. Une illusion parfois trompeuse, véhiculée par les médias et la culture populaire, promet aux étudiants une version enjolivée de cette période.
Ce contenu les aide à naviguer cette transition avec un sentiment d’espoir et d’anticipation ; un peu à la manière de « I am just a girl/Je ne suis qu’une fille ». Cette nouvelle expression humoristique adoptée par de nombreuses jeunes femmes, permet de dédramatiser les moments difficiles ou embarrassants de leur vie en minimisant leur maux. Tout comme cette expression incite chez son locuteur un besoin d’atténuer sa réalité et de chercher l’approbation des autres, les étudiants, face à la pression de l’intégration sociale, se tournent, consciemment ou pas, vers des modèles médiatiques pour façonner leur image. Prenons l’exemple de Cady Heron, l’héroïne de Méchantes Ados (Mean Girls). En tant que nouvelle élève venant d’un enseignement à domicile, elle utilise la rentrée pour se réinventer et naviguer dans les hiérarchies sociales de son lycée. Cette démarche de réinvention n’est pas unique à ce personnage fictif ; elle est également vécue par de nombreux étudiants. En effet, une étudiante qui quitte sa petite ville pour entrer dans une grande université pourrait se retrouver dans une situation similaire, où les codes sociaux sont différents de ceux qu’elle a toujours connus. Inspirée par le film, elle pourrait ajuster son comportement et son style pour s’intégrer aux groupes qui lui semblent les plus influents afin de se créer un réseau. De la même manière, un étudiant qui entame sa troisième année à l’université après un an marqué par l’isolement pourrait se retrouver dans la situation de Cher Horowitz dans Les collégiennes de Beverley Hills (Clueless). Tout comme elle, il voit la rentrée comme la chance de prendre un nouveau départ : l’étudiant décidera de s’investir davantage dans sa vie sociale, cherchant à créer des liens avec des étudiants qui partagent ses intérêts, et à revoir ses priorités pour mieux équilibrer ses études et ses autres préoccupations. Ces scénarios, bien qu’ancrés dans des points de référence fictifs, révèlent un fil conducteur : la rentrée scolaire est vécue comme un chapitre où l’identité de soi est en jeu. Les étudiants, confrontés à ces changements, utilisent ce moment pour se redéfinir et ajuster leur place dans un nouvel environnement. Influencés par ces idoles cinématographiques, ils se tournent ensuite vers les réseaux sociaux pour adhérer à ce qu’ils perçoivent comme étant les critères de succès d’une rentrée réussie.

« […] les étudiants se concentrent excessivement sur leur apparence ex- térieure au détriment de ce qui les a en réalité permis d’être acceptés dans l’établissement : leur intelligence »

L’ère des GRWM : une rentrée médiatisée

D’abord perçue comme un moment de discipline et d’acquisition de savoir, la rentrée se pare d’un nouvel éclat sur les plateformes de réseaux sociaux. La glamourisation de celle-ci, en particulier à travers les vlogs et les vidéos de type Get Ready With Me (GRWM) (Prépare toi avec moi) (tdlr), se manifeste par la transformation d’un moment ordinaire en un événement quasi-rituel, empreint d’une élaboration minutieuse. Sur les plateformes YouTube et TikTok, les créateurs de contenu exploitent la popularité de la rentrée en produisant des vidéos qui capitalisent sur le désir des spectateurs de voir et reproduire les péripéties passionnantes d’un étudiant universitaire. Les vidéos GRWM suivent le parcours de rentrée des étudiants ou influenceurs se préparant pour leur premier jour de classe, détaillant leur routine matinale, leur maquillage, leur tenue, et même les objets qu’ils emportent dans leur sac. Cependant, les internautes peuvent oublier que ces vidéos, bien qu’elles semblent innocentes, sont minutieusement conçues comme les films et la télévision : avec l’intention de projeter une image de perfection pour attirer les spectateurs.

Les tendances telles que les hauls de la rentrée et les vidéos What’s in my bag (Qu’est-ce qu’il y a dans mon sac, tdlr) jouent également un rôle clé dans cette mythification. Les hauls consistent à montrer les vêtements et accessoires scolaires récemment achetés, souvent dans le cadre d’une « préparation » pour la rentrée. Ces vidéos contribuent à l’idée qu’une rentrée réussie nécessite un renouvellement matériel, presque comme un rite de purification pendant lequel l’ancien est remplacé par le nouveau.

Ce processus de préparation devient alors une performance où chaque détail compte, et où l’apparence extérieure est soigneusement calibrée pour répondre aux demandes d’un public en quête d’inspiration et de modèles à suivre. Ce contenu renforce l’idée que la possession des « bons » objets est essentielle pour réussir socialement et académiquement.

« Il serait regrettable pour les [McGillois] de découvrir que la réalité est loin de ce qui leur avait été promis : […] un rêve américain sur sol canadien »

De même, évoquant l’idée qu’un individu, après avoir suivi un processus de transformation, « rayonne » de manière méconnaissable, les vidéos de glow-up avant la rentrée sont elles aussi devenues une tendance omniprésente sur les réseaux sociaux. Ce phénomène consiste en une série de vidéos où les créateurs documentent leur métamorphose physique en préparation pour la rentrée scolaire, en passant par des changements de coupe de cheveux, de régimes alimentaires ou encore de séances d’entraînement intensives.

Ce mythe de la rentrée impose une image de ce à quoi elle « devrait » ressembler, et décuple ainsi le spleen automnal en ajoutant une pression supplémentaire aux jeunes adultes qui se comparent défavorablement aux influenceurs ou aux étudiants qu’ils voient. Pour ces étudiants, la rentrée représente une série de dépenses inévitables : les frais de scolarité, les fournitures scolaires, la carte mensuelle de la STM pour les déplacements, et plus encore. Face à ces dépenses, ils perçoivent leur rentrée comme un investissement dans leur avenir plutôt que comme une opportunité de se soumettre aux codes de la société ; une pratique davantage capitaliste à laquelle seuls les plus privilégiés peuvent souscrire.

Avec leurs tendances glorifiant la rentrée comme un événement socialement et économiquement surchargé d’attentes, les réseaux sociaux deviennent une vitrine où les étudiants sont à la fois les spectateurs et les acteurs d’une mise en scène de leur propre vie, cherchant à atteindre un idéal inspiré par les contenus qu’ils consomment. Ce type de contenu encourage une forme d’objectification de soi, où les étudiants se concentrent excessivement sur leur apparence extérieure au détriment de ce qui les a en réalité permis d’être acceptés dans l’établissement : leur intelligence.

Et les McGillois, dans tout ça ?

Il serait regrettable pour les étudiants qui arrivent à McGill de découvrir que la réalité est loin de ce qui leur avait été promis : une vie étudiante idyllique, un campus dynamique et animé et des fêtes incessantes. En effet, lorsque l’on tape « McGill » dans la barre de recherche sur TikTok, ce sont des images d’un campus éclatant, digne des clichés Pinterest, accompagnées de bandes-son évoquant la série télévisée Gossip Girl : L’Élite de New-York qui nous sont présentées.

McGill est dépeint comme une fusion entre l’univers prestigieux de Harvard et un rêve américain sur sol canadien ; ainsi, il est impératif que la Frosh Week, également appelée Semaine d’Accueil, réponde à ces attentes. La Frosh Week, ancrée dans la culture universitaire de McGill, se déroule chaque année à la fin de l’été, juste avant le début des cours. Les événements sont organisés autour d’une thématique : cette année, avec le thème 007 qu’a adopté à la Faculté d’Art.

Plus qu’un simple événement d’intégration, cette semaine iconique fait allusion à des moments tout droit sortis du genre cinématographique coming-of-age (récit d’apprentissage), surtout pour les étudiants qui franchissent les portes de l’université pour la première fois. Durant cette semaine, ils participent à une série d’activités organisées par les différentes facultés tel que associations étudiantes et comités, incluant des visites du campus et des événements sociaux tels que des soirées en boîtes, excursions et raves.

Cette semaine jouit d’une réputation enviable pour sa capacité à tisser des liens sociaux, essentiels pour affronter les défis de la vie universitaire. On a tendance à penser que sans la Frosh Week ou un groupe d’amis préalable, le sentiment d’isolement ressenti par des étudiants venus de régions ou de pays éloignés peut se renforcer — une solitude observable dans la série télévisée Normal People : Des gens normaux par exemple, où le personnage principal, Connell, en fait l’expérience. Mais quelles sont les réelles impressions des nouveaux étudiants face à ce moment soi-disant « fondateur » ? Pour certains, comme Reggie, étudiante de deuxième année en sciences politiques, la Frosh Week est un atout pour créer des liens sociaux. Elle affirme qu’elle ressentait « un décalage une fois les cours commencés, car les étudiants qui étaient allé à Frosh s’étaient déjà fait des amis lors des événements […] Frosh est un avantage et je crois que les gens devraient en profiter [malgré que je n’y sois pas allée] ».

Cependant, Reggie souligne le manque de diversité parmi les participants, ce qui peut rendre de nouveaux étudiants, notamment ceux issus de minorités, moins à l’aise dans ce cadre : « Je sais que certains de mes amis ont mentionné le fait qu’il y avait un manque de diversité dans le corps étudiant qui participait à Frosh », confie-t-elle. « Ils ont ressenti qu’ils ne se sentaient pas à leur place. » Kendra-Ann, une étudiante de deuxième année en développement international, exprime un enthousiasme pour la rentrée universitaire elle-même, décrivant cette période comme une chance de recommencer à zéro à chaque semestre, et de rencontrer de nouvelles personnes. Toutefois, elle partage son propre sentiment de décalage lors des premières semaines de cours, soulignant aussi une perception d’un manque de diversité sur le campus : « Dans mon premier semestre, je ne me sentais vraiment pas à ma place. Je trouvais que l’Université n’était pas aussi diversifiée que je le pensais », affirma-t-elle.

Ce sentiment de ne pas se sentir à sa place est commun chez plusieurs étudiants, et Kendra-Ann recommande de s’engager dans des clubs et événements pour surmonter ce défi : « Si j’ai une chose à recommander à tout le monde c’est de s’impliquer dans une chose, même si vous n’aimez pas ça. [En sortant de ma zone de confort], j’ai réussi à me trouver de très belles amitiés et à découvrir ce que j’aimais le plus faire dans la vie. » Son expérience montre une lumière au bout du tunnel et éclaire une réalité nuancée de la rentrée universitaire, qui va bien au-delà des festivités d’accueil ou de l’expérience dont on entend parler sur internet.

Pour Annecia, une étudiante de première année en sciences politiques qui a participé à Frosh, l’expérience a été positive : « J’ai eu la chance de rencontrer des personnes issues de partout dans le monde, aussi bien d’ici qued’Europe. Je trouve que [ma rentrée] a été une belle expérience. » Cependant, c’est l’ajustement académique qui s’est avéré difficile pour elle, venant directement de l’école secondaire : « Je dirais que l’introduction à McGill était très submergeante. Venir du système éducatif de la Colombie-Britannique m’a beaucoup effrayé, et ça a été très difficile. Je ne savais pas quels cours choisir et j’ai commis des erreurs à ce niveau. » Malgré des défis évidents, elle trouve tout de même son bonheur : « McGill a toujours été un rêve pour moi. Je trouve que c’est une belle opportunité pour moi de travailler sur mes compétences linguistiques » dit-elle, apprenant le français comme seconde langue.

Ces témoignages illustrent une panoplie d’expériences autour de la rentrée en général et de la Frosh Week, où les étudiants montréalais, comme l’indique Kendra-Ann, peuvent voir celle-ci comme une régression : « Si tu résides à Montréal, à mon avis, la Frosh Week est overrated. Après avoir terminé le cégep à 19 ans, tu as déjà vécu des expériences comme sortir au club, boire et participer à des moments excitants de ta jeunesse. Alors, c’est comme si on retournait en arrière ; ça devient enfantin. » Cette semaine est donc une occasion précieuse de s’intégrer dans la communauté universitaire, mais n’est pas une solution miracle aux obstacles que l’intégration sociale peut représenter pour certains.

Alors, la rentrée est-elle vraiment ce rite de passage que l’on nous promet, ou n’est-elle qu’un mythe perpétué par une culture populaire en quête de perfection ? Il semble qu’elle oscille entre deux pôles : un instant où se mêlent une richesse d’opportunités et de défis personnels, tout en étant empreint d’une idéalisation qui rend la réalité complexe à saisir. En fin de compte, la rentrée ne doit pas être perçue comme une simple formalité ou un conte de fées moderne ; elle représente une quête d’équilibre entre qui nous sommes et ce que nous souhaitons accomplir.

À vous, chers étudiants : bonne rentrée !


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