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Quand on a 20 ans, on doute, on tombe et on apprend

Voyage au coeur de parcours d’étudiantes à McGill.

Jade Lê | Le Délit

Le 20 août 2024. Sous les nuages gris de fin d’été montréalais, le campus du centre-ville reprend l’accueil annuel des nouveaux arrivants. Chaque année, plus de 6 000 étudiants âgés pour la plupart de 17 à 20 ans entrent dans leur première année universitaire à McGill. Ces premiers pas dans la vie autonome sont accompagnés des premiers doutes. Est-ce qu’on se lance dans des études parce que c’est la suite logique du secondaire, cégep, lycée ? Est-ce que l’on vient y creuser une passion, une curiosité, y chercher un diplôme ou une éducation à la vie adulte ? Erik Erikson, psychanalyste germano-américain du 20e siècle, théorise l’entrée dans « l’âge adulte » comme un stade d’exploration et d’affirmation de l’identité, autant académique qu’idéologique. À McGill, la plupart des nouveaux étudiants ne doutent pas de leur capacité à poursuivre des études rigoureuses, dans un cadre académique prestigieux. La fin des années d’enseignement obligatoire annonce, cependant, le début de questions existentielles sur la place que ces jeunes souhaitent occuper dans le monde des adultes.

Le Délit a interrogé cinq étudiantes à McGill en sciences cognitives et sociales sur leur parcours universitaire, afin d’explorer leurs doutes et les remises en question qui en ont découlé.

Une entrée en matière motivée

Toutes les étudiantes interrogées ont choisi une majeure dans un domaine qui les intéresse. Aucune n’a entrepris des études que pour les débouchés qu’elles offrent ou pour satisfaire les attentes de leurs parents. Certaines, comme Samah, ont développé un intérêt pour leur majeure au cours de leur scolarité pré-universitaire : « Mes parents ne m’ont jamais mis de pression pour suivre un cheminement particulier, j’ai poursuivi mes études en psychologie car c’est une matière qui m’intéresse depuis mes premiers cours en secondaire cinq. » Gabriela et Kira, qui ont toutes deux choisi une majeure en linguistique, ont passé beaucoup de temps à apprendre des langues, à l’école et de façon autonome. « Pour moi, la suite logique du lycée était de continuer des études qui me permettent d’enrichir mes compétences linguistiques et d’apprendre de nouvelles langues » affirme Gabriela. Le choix de McGill a semblé évident pour certaines des étudiantes interrogées car l’Université offre des programmes qu’elles n’avaient trouvé nulle part ailleurs. Juliette a choisi les neurosciences parce qu’elle voulait un programme interdisciplinaire, qui lui permet d’explorer la psychologie de façon scientifique.

Quand les pistes se brouillent 

Les doutes ont nourri le parcours de toutes et chacune, que ce soit dans le choix des cours, des mineures, ou du choix de l’université. Samah n’a pas douté du métier de psychologue pour lequel elle fait des études, mais regrette son choix de parcours pour arriver au doctorat. « Je me suis demandée si je n’aurais pas mieux fait d’étudier les sciences naturelles et de passer par un programme en santé plutôt que par la Faculté d’arts. Si je ne suis pas prise au doctorat, j’aurais aimé avoir des options plus en santé comme l’ergothérapie. » Pour d’autres, les doutes naissent après avoir choisi des études par passion. Lorsque le domaine d’études n’a pas de débouchés prédéfinis, comme en sciences cognitives, l’avenir peut faire peur. « D’un autre côté, je pense que ça offre aussi plus de liberté, » s’enthousiasme Amélia.

La candidature en Honours lors de la deuxième année est un nouveau choix qui peut faire douter. Jeanne, qui entreprend une double majeure histoire et sciences politiques, n’avait pas les préalables pour postuler en Honours mais était consciente que graduer d’un tel programme était avantageux pour intégrer la maîtrise.

Pour Kira, les doutes se sont concentrés autour de son choix de faculté : baccalauréat d’arts uniquement ou baccalauréat d’arts et sciences ? « J’ai aimé qu’on puisse ajouter une deuxième majeure, que je puisse étudier deux sujets différents et complémentaires. J’aime mes cours, mais je ne connais pas d’étudiants sur la même voie que la mienne. J’ai senti peu de soutien de la part des conseillers académiques de la Faculté d’arts. Les conseillers de chacune de mes majeures se contredisent souvent. »

« Je pense que c’est la philosophie de cette université : c’est à toi d’aller chercher des opportunités, pas à elle de venir te les présenter ! »

Une mineure qui se forme et se transforme 

Toutes les étudiantes interrogées ont changé de mineure après leur première année. La plupart des étudiants se concentrent sur des cours de majeure en première année, et décident par la suite de leur mineure ou seconde majeure. Les combinaisons de programmes sont très flexibles, chacun étant libre de les modifier au cours de son baccalauréat tant qu’il en complète les 120 crédits. Certaines ont entrepris une mineure par complémentarité avec leur majeure, d’autres pour combler un intérêt adjacent. « Un de mes objectifs dans la vie était d’apprendre l’arabe, alors j’ai changé ma mineure en sociologie pour une mineure en études islamiques », raconte Samah. Pour Amélia, le choix des mineures a pris son sens en deuxième année : « J’avais eu le temps de m’habituer au système de sélection de cours et préalables, donc j’en avais une meilleure compréhension et j’ai pu aiguiller mon choix vers celle qui proposait le plus de cours que je trouvais intéressants : l’étude du genre. »

« Le manque de soutien et de conseil académique à McGill semble être un regret commun à plusieurs étudiants, qui ont chacun mené un parcours unique semé de doutes. »

Le clash de la réalité universitaire 

La façon dont un sujet est enseigné à l’université ne correspond pas nécessairement aux attentes des étudiants en première année. Juliette a senti un décalage avec le reste de sa cohorte en neurosciences, lorsqu’elle s’est rendu compte que la plupart avaient choisi neurosciences plus comme pont vers la médecine plutôt que par intérêt pour cette matière. Le manque d’intérêt pour certains des cours, la performance et la compétition ont aussi fait partie de sa réalité universitaire. « Je n’ai pas trouvé ma place dans la recherche, qui est selon moi disproportionnellement valorisée à McGill. » Juliette ajoute que ses doutes se sont propagés à son choix d’université, incertaine de sa place dans le monde anglophone de McGill et dans une cohorte internationale qui semblait déjà se connaître après U0 (« l’année 0 ») et la vie en résidence. « J’ai aussi eu le sentiment que la plupart des étudiants à McGill ne sont que de passage à Montréal. »

Pour Gabriela, l’enseignement de la linguistique n’était pas ce à quoi elle s’attendait. « J’avais envie d’étudier la langue comme outil de liaison entre les gens, et les cours à McGill m’ont enseigné l’étude scientifique de la structure de la langue. » Elle a senti un manque de place pour une réflexion culturelle. « J’ai commencé par une mineure en allemand puis en russe, mais je trouve que l’enseignement des langues à l’université donne trop d’importance à la grammaire au détriment de l’utilité communicationnelle. C’est comme ça que j’ai découvert que je préfère apprendre les langues par moi-même, à mon propre rythme. » C’est en tâtonnant dans les départements de langues qu’elle a finalement trouvé une mineure en études de l’Amérique latine, pour lesquelles elle s’est découverte une passion : « Si je l’avais découvert plus tôt, je l’aurais changé pour une majeure ! » Ce département multidisciplinaire lui a permis d’accéder à ce qu’elle cherchait dans l’étude des langues : développer des réflexions sur sa culture brésilienne, ses origines – par le biais de la littérature, l’anthropologie et les sciences politiques.

« Ce que j’aurais aimé savoir lors de ma première année » 

Tout parcours est semé de doutes et regrets, que les étudiants voient souvent comme des apprentissages qui s’avèrent fructueux pour la suite. La plupart des regrets sont liés au manque de connaissance du système de McGill. « J’aurais aimé savoir plus tôt que l’on peut prendre une mineure en Faculté de sciences, et que des bourses sont accessibles pour rémunérer la recherche que l’on fait avec des professeurs de McGill, comme l’ASEF [Art Student Employment Fund, Fond d’Emploi pour les Étudiants en Art, ndlr] par exemple. Ces deux informations ne sont pas assez communiquées par la Faculté des arts selon moi », regrette Samah. « Je pense que c’est la philosophie de cette université : c’est à toi d’aller chercher des opportunités, ce n’est pas elle qui va venir te les présenter ! » Amélia partage ce regret et ajoute avoir eu peur d’utiliser les ressources que propose la faculté pour les stages, les aides ou la vie étudiante. Kira offre comme conseil d’être prudent avec les avis d’autres étudiants et des conseillers académiques. « Chaque programme est différent et chaque parcours unique, alors ne t’inquiète pas si le tien ne ressemble pas à celui d’autres ! » Les doutes de Juliette ont été relativisés lors de son échange étudiant à Copenhague. Elle a pu découvrir une autre université qui ne partage pas le côté compétitif de McGill. « J’ai témoigné d’une jeunesse qui prend le temps de choisir et de vivre sa vingtaine, dans une culture où les années sabbatiques sont complètement normales. »

Le manque de soutien et de conseil académique à McGill semble être un regret commun à plusieurs étudiants, qui ont chacun mené un parcours unique semé de doutes. Écouter le témoignage d’autres qui ont déjà traversé des épreuves similaires peut se révéler clé dans le développement du parcours universitaire. Le podcast Nouvel Oeil, par exemple, tente de répondre aux questionnements du début de la vingtaine sur la confiance en soi, la liberté, l’amour, l’écologie, à travers le parcours inspirant de personnalités qui ont elles aussi traversé des doutes lors de leur parcours personnel et professionnel.


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