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S’enrichir l’esprit à en oublier son privilège

Voyager dans la vingtaine, c’est une chance.

Jeanne Marengère | Le Délit

Cet été, j’ai eu la chance de pouvoir partir en voyage pendant un mois et demi. Pour tout vous dire, c’est un heureux concours de circonstances : les étoiles se sont alignées en ma faveur, ce qui m’a permis de prendre un mois de vacances que j’ai pu passer en Europe. À l’instant même, j’y suis toujours, et tous les jours, je me répète que c’est un privilège immense que de pouvoir se permettre de telles vacances, d’une part au niveau financier, et d’une autre en termes de temps.

Je vous rassure, ce n’est pas parce que j’oublie mon privilège que je choisis de réitérer de façon quotidienne ma gratitude de pouvoir voyager. C’est plutôt à cause des discours auxquels j’ai pu être confrontée durant ce voyage, qui m’ont forcée à constater que nombreux·euse sont les voyageur·euse·s de mon âge qui tiennent pour acquis ce privilège – celui-ci est d’ailleurs offert à une infime partie de la population – et qui ont tendance à minimiser la chance qu’ils·elles ont de pouvoir s’offrir de telles expériences à un si jeune âge. Je pense notamment à mes parents, qui ont grandi moins nantis que leurs enfants, et qui n’ont pu se permettre de voyager que passé la trentaine. 

Rome et Selma

Durant les quelques jours que j’ai passés à Rome, j’ai fait la rencontre de Selma*, jeune voyageuse égyptienne dans sa vingtaine, qui elle aussi voyageait en solo et se trouvait à passer quelques jours en Italie entre deux destinations européennes. C’est elle qui a initié ma réflexion sur le privilège, parce qu’en discutant avec elle, j’ai rapidement remarqué que le discours qu’elle tenait à l’égard des voyages entrait en contradiction directe avec les conceptions que j’avais rencontrées en ce qui a trait au voyage. Autour d’un café qui nous avait à peine coûté deux euros, elle se plaignait des prix en Italie qu’elle trouvait odieux, des touristes qui, selon elle, rendaient la ville invivable, ainsi que de la chaleur qui était – je lui accorde – accablante. La pauvre Selma, qui en était à sa sixième journée de voyage sur un total d’environ 10 jours, avait déjà hâte de rentrer. Elle avait hâte de rentrer en Égypte non parce qu’elle s’ennuyait de sa famille ou de ses ami·e·s, mais bien parce qu’elle ne reconnaissait pas la beauté ou la grandeur de ce qui se trouvait sous ses yeux et préférait s’attarder sur les quelques problèmes qu’elle avait pu vivre. Pour elle, les petits désagréments du voyage pesaient si lourd dans la balance qu’elle en oubliait de profiter, de saisir tous les petits moments et d’en garder des souvenirs mémorables. Parler avec elle a remis en perspective mon avis sur le voyage, et m’a poussée à vouloir encore plus découvrir tout et tout absorber, malgré les possibles dérangements qui font partie intégrante de l’expérience du·de la jeune voyageur·euse.

Voyager, c’est un privilège qu’on oublie trop souvent.

À Montréal, certain·e·s en ont marre du voyage 

En prenant des nouvelles de certain·e·s ami·e·s durant mes vacances, un sujet qui est revenu à plusieurs reprises lors de nos appels, c’est ce discours qui se propageait au sein de nos entourages qui soulignait qu’après un certain temps en vacances, il était normal d’avoir hâte de rentrer à Montréal, et ce pour retrouver son confort. C’est vrai que les longs voyages peuvent engendrer un certain sentiment de mal du pays, mais à mon avis, c’est extrêmement privilégié de se plaindre qu’on s’ennuie de son lit quand on vit le voyage dont certain·e·s ont possiblement rêvé toute leur vie.

Aujourd’hui, ça fait un mois tout juste que je suis en Europe. C’est vrai que j’ai parfois hâte de retrouver mes ami·e·s, ma mère, mon chat ; mon confort quoi. Mais à chaque fois que ces pensées font surface, je me rappelle à quel point j’ai travaillé fort pour m’offrir ces vacances. J’ai de la chance d’avoir un emploi étudiant qui paye assez bien, de ne pas avoir une famille qui dépend de ce salaire, de vivre chez mes parents de bénéficier de prêts qui payent mes études, et j’en passe. Tous ces facteurs réunis ont créé un scénario qui m’a permis de pouvoir prendre ce temps et m’offrir ce voyage. En parlant avec certain ·e·s de mes ami·e·s, on m’a dit à quel point j’étais chanceuse de pouvoir partir en vacances parce qu’eux·elles n’avaient pas de vacances, parce qu’eux·elles avaient un loyer à payer, ou encore parce qu’ils·elles ne pouvaient pas se permettre de partir aussi longtemps, car ils·elles devaient prendre soin d’un parent. Voyager, c’est un privilège qu’on oublie trop souvent.

Jeanne Marengère | Le Délit

Morale de l’histoire

Ce qu’il faut tirer de mon expérience, c’est que chaque voyage, quel que soit sa durée ou sa destination, est une opportunité d’apprentissage bien plus importante que les moments passagers qui nous font remettre en question ce qu’on gagne à voyager. C’est bien plus qu’une simple pause dans notre routine quotidienne, c’est un moment pour grandir, pour découvrir le monde, et surtout, pour mieux se comprendre soi-même. Lorsque je regarde en arrière, je réalise que le voyage n’est pas seulement un luxe matériel, mais aussi un luxe au niveau personnel. C’est une parenthèse dans le quotidien où l’on peut enfin sortir de sa routine, rencontrer de nouvelles personnes, découvrir des cultures, et se reconnecter avec le monde qui nous entoure.

Je ne dis pas que chaque instant du voyage est parfait. Comme Selma a su me le souligner, j’ai moi aussi eu des moments d’agacement, de fatigue et même de frustration face à des imprévus ou des aspects de mon voyage que je n’avais pas anticipés. Malgré tout, ce sont ces quelques complications, ces dérangements, qui donnent tout son relief, toute sa richesse, à l’aventure qu’est le voyage à notre âge. Ils nous rappellent que, même si tout ne se déroule pas toujours comme prévu, ce sont ces souvenirs qui marqueront nos esprits et qui sauront nous faire grandir.

À présent, avec quelques jours encore devant moi en Europe, je me sens pleine de gratitude pour chaque instant vécu, même ceux qui n’étaient pas toujours plaisants. Pour tout vous dire, je dirais même que ce sont ceux pour lesquels je suis la plus reconnaissante, parce que ce sont ces moments qui mettent en perspective toutes les belles choses que j’ai pu vivre et pour lesquelles je suis tant heureuse d’avoir pu faire ce voyage à mon âge. Si je pouvais donner un conseil à toute personne qui voyage, ce serait de toujours se rappeler que ce qu’on vit n’est pas donné à tout le monde, et que ce voyage qui nous a par moment semblé long est profondément formateur parce qu’il a su nous forcer à renoncer à notre confort auquel on est souvent bien trop attaché. 

*nom fictif


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