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Trudeau : un manque d’action pour l’environnement ?

Trois raisons qui freinent l’atteinte des objectifs nationaux.

Carissa Tran

En 2015, la victoire du gouvernement de Justin Trudeau a été marquée par une série de promesses et de propositions progressistes, notamment une politique environnementale assez ambitieuse. Toutefois, au cours des dernières années, le comportement du gouvernement libéral en matière d’initiatives environnementales laisse transparaître un semblant d’hypocrisie quant aux préoccupations internationales croissantes concernant le changement climatique. Un an après la saison des feux de forêts la plus dévastatrice que le pays ait connu, la question climatique s’avère être au centre des préoccupations pour beaucoup de Canadiens. Si Justin Trudeau a fait preuve d’un certain engagement dans la lutte contre le changement climatique – entre autres par la ratification de l’Accord de Paris en 2015 et la mise en place d’une tarification du carbone – ces efforts semblent inefficaces alors que le Canada fait face à des obstacles structurels de taille pour accomplir une véritable transition écologique. Quelles sont donc ces contraintes qui freinent la politique environnementale de Trudeau ?

Les sables bitumineux d’Alberta

Depuis les années 1990, l’économie canadienne repose massivement sur les énergies fossiles. Plus particulièrement, elle investit dans les gisements de sables bitumineux albertains, qui constituent le troisième plus grand gisement pétrolier de la planète, et en est l’un des derniers. Ces sites d’extraction représentent environ 97% des réserves de pétrole brut du pays, dont la quasi-totalité sont situées en Alberta. Si beaucoup considèrent l’exploitation de ces ressources comme un désastre écologique, Justin Trudeau la justifiait en 2017 en prétextant « qu’aucun pays ne trouverait 173 milliards de barils de pétrole dans le sol et les laisserait à leur place (tdlr) ». Leur extraction par les multinationales contribuent ainsi à la fois aux émissions de gaz à effet de serre et à la dépendance économique du pays aux énergies fossiles. En effet, l’exploitation des sables bitumineux en Alberta pose un défi structurel à la province pour toute tentative de transition vers une économie plus verte. L’industrie du pétrole et du gaz représente 21% du PIB albertain, ce qui constitue un poids important dans l’économie de la province. Une réduction de la production de pétrole suite à la mise en place de restrictions environnementales par le gouvernement fédéral impliquerait des coûts de grande ampleur. Elle signifierait également un ralentissement de la croissance du PIB, ainsi qu’une baisse d’emplois dans ce secteur, qui dénombre aujourd’hui des centaines de milliers de travailleurs et travailleuses.

De plus, ce désastre écologique affecte directement les populations autochtones. L’utilisation des sables bitumineux a été historiquement attribuée aux populations autochtones qui s’en servaient pour l’étanchéité des canoës. Aujourd’hui, celles-ci sont les premières à subir les impacts dévastateurs de l’avidité des géants du pétrole. En plus d’être souvent expropriées de leurs terres ancestrales, les Premières Nations de l’Alberta ont récemment fait la cible d’un nouveau projet par les firmes pétrolières. Ces dernières font recours à une nouvelle technologie dénommée CSS, visant à capter et à entreposer le carbone sous les terres habitées par ces populations pour limiter les rejets polluants.

L’expansion des oléoducs du Trans Mountain 

Parmi les décisions préjudiciables à l’environnement émises sous le gouvernement Trudeau, l’expansion des oléoducs du projet Trans Mountain occasionne elle aussi un impact écologique particulièrement néfaste. Racheté en 2018 à la compagnie américaine Kinder Morgan par le gouvernement fédéral, le projet Trans Mountain valait alors 4,5 milliards de dollars canadiens. Cette transaction signifiait alors tripler la capacité de l’oléoduc existant pour acheminer le pétrole brut de l’Alberta jusqu’à la côte de la Colombie-Britannique. La construction de l’extension de l’oléoduc Trans Mountain s’est achevée le premier mai dernier, permettant désormais le transport quotidien de près de 900 000 barils de pétrole brut.

« Le gouvernement fédéral est donc limité aux différentes volontés des gouvernements provinciaux et ne peut pas forcer unilatéralement les provinces à conclure un accord »

Ce projet, dont le coût s’élève aujourd’hui à plus de 34 milliards de dollars canadiens, suscite de nombreuses critiques de la part des écologistes, des communautés autochtones, ainsi que de certains gouvernements provinciaux. En effet, l’impact écologique de cette construction est désastreux. Le chemin de l’oléoduc passe sur des terres autochtones, détruisant les cours d’eau et écosystèmes dont dépendent ces populations. De plus, les risques de fuites de l’oléoduc sont de plus en plus élevés et ces communautés craignent des marées noires le long des côtes. Le gouvernement Trudeau justifie l’extension des oléoducs comme un moyen de soutenir l’économie albertaine et de sécuriser l’accès aux marchés internationaux. Or, malgré cette motivation économique, le projet Trans Mountain freine les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre énoncés lors de l’Accord de Paris, révélant les véritables priorités du gouvernement quant à l’investissement de ses fonds. Le stratège en matière d’énergie chez Greenpeace, Keith Stewart, avait d’ailleurs déclaré : « Avec cet argent, le Canada aurait pu mettre en oeuvre un programme d’énergies vertes massif. »

Discorde entre l’état fédéral et les provinces 

Si le Canada a déjà été qualifié par certains de « bombe à carbone », sa difficulté à allier l’état fédéral et ses provinces pour établir un plan de transition écologique national renforce d’autant plus cette faiblesse aux yeux de la communauté internationale.

Le Canada étant un état fédéral, la discorde entre Ottawa et les provinces représente la plupart du temps un frein contre une quelconque avancée du gouvernement Trudeau vers une transition écologique. En effet, la Constitution canadienne n’octroie à Ottawa aucune compétence directe sur les principales activités émettrices de GES, telles que l’extraction des ressources naturelles, la production d’électricité, les transports, l’agriculture ou l’urbanisme. Le gouvernement fédéral est donc limité aux différentes volontés des gouvernements provinciaux et ne peut pas forcer unilatéralement les provinces à conclure un accord environnemental. Dans ce cadre, toute tentative de réforme par le gouvernement fédéral est sujet aux tensions, en particulier lorsque les priorités des provinces divergent de celles du gouvernement fédéral. Ce fut le cas en 2019, avec l’introduction d’un plan de tarification du carbone par le gouvernement Trudeau, dans le but d’imposer aux commerçants une taxe sur les émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, les provinces qui n’avaient pas encore établi de mesures sur la taxation du carbone, telles que l’Ontario, la Saskatchewan, le Manitoba et le Nouveau-Brunswick, ont désormais l’obligation d’instaurer une taxe de vingt dollars par tonne de combustible, qui augmentera chaque année. Si certaines provinces telles que le Québec et la Colombie-Britannique soutiennent cette mesure et furent elles-même les premières à instaurer une taxe carbone sur leurs territoires, d’autres gouvernements provinciaux avaient alors exprimé leur désaccord, affirmant qu’elle constituait une ingérence et qu’elle nuirait à leurs économies locales. Malgré la décision de la Cour suprême en 2021, qui a confirmé la constitutionnalité de cette tarification, la résistance provinciale demeure forte et ralentit considérablement les avancées écologiques du gouvernement fédéral.

Neutralité carbone d’ici 2050 ?

Le Commissariat canadien à l’environnement et au développement durable déclarait dans un rapport en novembre 2023 que « les émissions de gaz à effet de serre du Canada étaient plus élevées en 2021 qu’elles ne l’étaient en 1990 », et ce, malgré plus de dix plans d’efforts d’atténuation des changements climatiques depuis 1990. Le plan fédéral de réduction des émissions de GES établi en 2022 avait prévu une réduction de 40% en dessous des niveaux de 2005 d’ici 2030, ainsi que zéro émission net à partir de 2050. Ces objectifs apparaissent toutefois instables sous l’engagement peu convaincant du gouvernement Trudeau dans la course climatique.

Le Canada s’avère donc être un bien mauvais élève face à la pression internationale pour réduire la dépendance aux combustibles fossiles. Bien que le gouvernement Trudeau se soit engagé à atteindre la carboneutralité d’ici 2050, il continue de soutenir l’exploitation des sables bitumineux et le transport du pétrole pour des raisons purement économiques. Ce manque d’alignement affaiblit la crédibilité du Canada sur la scène internationale en tant que meneur dans la lutte contre le changement climatique. 


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