Le 15 avril dernier, un hébergement pour personnes sans-abris et un site de consommation supervisée, la Maison Benoît Labre, a ouvert ses portes à 260 mètres d’une école primaire. Après de nombreux incidents, la province du Québec envisage l’interdiction de centres de jours et de consommation supervisée près des écoles et des garderies. Bien que cette décision ait pour but premier de protéger les enfants, plusieurs personnes se questionnent sur les actions effectuées par le gouvernement pour protéger les personnes sans-abris et prévenir l’itinérance de ses citoyens.
La protection des enfants avant tout
Les semaines qui ont succédé l’ouverture du centre ont occasionné une série d’événements perturbateurs, recensés sur les terrains de l’école Victor-Rousselot. Parmi ces incidents, dont le nombre s’élève désormais à plus de 40, on dénombre des excréments humains retrouvés dans le parc-école, un feu allumé dans une ruelle adjacente, un parent ayant aperçu un homme nu près de l’entrée du service de garde, et la liste se poursuit. Par conséquent, le ministre Lionel Carmant, responsable des Services sociaux, a incité la Direction générale de la santé publique à « évaluer les options pour mieux encadrer l’établissement de ces ressources pour éviter que de telles situations se reproduisent à l’avenir ». Face à cette situation préoccupante, des questions se posent : comment cohabiter, mais d’abord, devrait-on cohabiter ? Comment concilier la réalité des personnes itinérantes avec celle de nos enfants ? Le gouvernement décide que sa priorité est de protéger les enfants de ces réalités difficiles. Pour ce faire, la province envisage l’interdiction des centres de jour et de consommation supervisée près des écoles.
Le Premier ministre François Legault partageait récemment son accord avec la récente décision de son homologue ontarien, Doug Ford, qui a mis en place des mesures d’interdiction semblables. À cet égard, Legault affirme que les centres de consommation supervisée ne devraient pas être situés près d’établissements scolaires : « Il ne devrait pas y en avoir. Il n’y aurait pas dû en avoir et il n’y en aura pas. » Le gouvernement caquiste avait d’ailleurs présenté une motion en 2017, qui avait pour but d’interdire les sites de consommation supervisée à une distance minimale d’écoles, mais le Parti québécois avait bloqué cette initiative. En juin de cette année, c’est le Parti québécois qui a proposé une motion presque identique à celle qu’il avait refusée en 2017. Cette fois-ci, c’est la CAQ qui s’y est opposée.
Non à la cohabitation ou à la normalisation ?
Dans le meilleur des cas, l’annonce de cette éventuelle décision du gouvernement démontre d’une part un désir incontestable de vouloir protéger les jeunes de la province, et d’une autre, un possible refus de reconnaître la crise de l’itinérance. En effet, dans les provinces du Canada qui sont plus sévèrement accablées par cette crise, la cohabitation est inévitable, mais rarement mise en cause parce que la crise d’itinérance est normalisée. En Colombie-Britannique, par exemple, il est difficile de se promener dans certaines villes sans voir le genre d’événements perturbateurs évoqués par l’école Victor-Rousselot ; les personnes qui fument du crack ou qui s’injectent du fentanyl sont omniprésentes, même à 100 mètres d’une école. Cela ne choque plus personne dans la province de l’Ouest. Peut-on supposer que les résidents en Colombie-Britannique soient plus ouverts à une cohabitation que les Québécois, ou bien est-ce simplement que la crise est d’une telle envergure qu’elle en devient banale ?
« La réaction du gouvernement québécois peut être interpretée comme un refus de reconnaître cette situation de crise »
« Je ne suis jamais surpris de voir des personnes consommer de la drogue en public. C’est sûr que, quand c’est près des écoles, c’est plus inquiétant, mais jamais surprenant (tdlr) », indique Andrew Nikodym, résident de la Colombie Britannique. « Depuis quelques années, l’ampleur de la situation est remarquable : maintenant, je suis presque surpris si je ne vois pas au moins une personne fumer du crack quand je sors, surtout si c’est au centre-ville. » Pour ce résident de Kelowna, cette cohabitation entre les personnes itinérantes en situation de dépendance à la drogue et les personnes qui n’en souffrent pas démontre une réelle normalisation de la crise. Dans ce contexte, la réaction du gouvernement québécois peut être interprétée comme un refus de reconnaître cette situation de crise.
Les actes sont-ils plus éloquents que la parole
Quand il est question d’itinérance, il est forcément question des crises du logement, de dépendance et de santé mentale. Pour croire que le gouvernement refuse de normaliser ces crises, il faut d’abord penser qu’il fait tout en son pouvoir pour protéger les itinérants et pallier cette situation de crise. En matière de crise du logement, la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, a présenté sa Stratégie québécoise en habitation le 22 août, qui propose une hausse dans la cible du nombre de logements. Parmi ceux annoncés, 4% seront des logements sociaux et abordables, contrairement au 10% actuel, déjà insuffisant selon la Fédération des locataires d’habitations à loyer modique du Québec, qui dénonce la stratégie.
Pour remédier à la crise des drogues, le ministre Carmant a annoncé, le 31 août, que 1,6 millions de dollars du Fonds de lutte contre la dépendance servirait à prévenir les surdoses de substances psychoactives. Cette somme sera investie dans des organismes communautaires qui offrent des services de consommation supervisée et vérification de substances illicites. La province a aussi facilité l’accès à la naloxone, une substance qui peut temporairement arrêter les effets d’une surdose, désormais gratuite dans toutes les pharmacies du Québec. Dre. Julie Bruneau, spécialiste en médecine de la toxicomanie, prétend toutefois que ces initiatives ne sont pas suffisantes : « On ne peut pas penser qu’en prévenant aujourd’hui ceux qui sont à risque de mourir à cause de leur drogue qu’on va être capable d’agir en amont sur la prévention, la détection et les soins centrés sur l’individu qui ne sont pas stigmatisants. » En ce qui concerne la santé mentale, rien n’est couvert par la province et les soins privés sont très dispendieux – on parle d’une moyenne de 150$ par rendez-vous. Par ailleurs, on recense plus d’un million de toxicomanes souffrant d’une dépendance à la drogue dure au Canada. « Le gouvernement québécois peut faire plus à ce chapitre », conclut une étude de l’Institut de recherche progressiste. « Il peut d’abord offrir une véritable couverture universelle des soins de psychothérapie, accompagnée d’un encadrement du marché privé afin d’orienter les ressources vers les besoins prioritaires. »
La protection de tous
Plusieurs experts s’accordent donc sur le fait que le gouvernement doit en faire davantage en matière d’itinérance, de logements abordables, de dépendances aux drogues et de santé mentale. La protection des enfants est importante, mais il est aussi nécéssaire d’aider et de protéger les toxicomanes, les sans-abris, les personnes souffrant de problèmes de santé mentale.