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Le luxe de se déconnecter

La tendance du minimalisme digital.

Stu Doré

Dès le début de l’été, ma petite sœur a pris la décision de supprimer tous ses réseaux sociaux, ne conservant que les applications essentielles pour écouter de la musique et passer des appels. Sans exagération, j’ai rapidement remarqué un changement dans son comportement : elle est devenue plus calme, plus attentive, et surtout, plus concentrée. En constatant cette nouvelle sérénité, j’ai tout de suite eu envie d’imiter sa démarche de désintoxication digitale, et je n’ai pas été la seule.

Présentement, sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui expriment le désir d’abandonner leurs téléphones. Une véritable fatigue des technologies se fait sentir chez les adolescents et les jeunes adultes. En effet, selon le département américain de la Santé et des Services humains, les jeunes qui passent plus de trois heures par jour sur les réseaux sociaux sont plus susceptibles de présenter des symptômes de dépression et d’anxiété. Beaucoup deviennent également plus sensibles aux questions de confidentialité, soupçonnant Internet d’être un outil de surveillance pour les marques, les gouvernements et les escrocs ; plutôt qu’un espace pour explorer des centres d’intérêts et de services. Ce mouvement vers une sobriété digitale se traduit par une diminution de l’utilisation des réseaux sociaux ou, dans des cas plus extrêmes, par un abandon complet du téléphone. Sammy Palazzolo, une créatrice de contenu sur TikTok âgée de 18 ans, explique qu’elle et ses amies ont opté pour des téléphones à clapet lorsqu’elles sortent, afin de profiter pleinement de leur soirée et éviter d’être absorbées par leurs téléphones. D’autres choisissent même de laisser leur téléphone de côté tous les jours, tentant de naviguer dans notre société hyper-connectée uniquement avec un téléphone à clapet. Récemment, Mattel a même lancé son propre téléphone, le Barbie Flip Phone, qui offre les fonctions essentielles d’appel, de messagerie et quelques jeux. Cette tendance séduit beaucoup de gens à travers sa promesse de libération et de bien-être.

« L’utilisation d’Internet est une action qui est désormais indissociable de la vie courante ; qu’elle soit professionnelle ou personnelle »

Une promesse coûteuse

Cette déconnexion est appréciée non seulement par les jeunes, mais aussi par les parents. Bien que les études de l’impact des technologies sur les performances académiques soient variées et parfois contradictoires, nombreux sont les parents qui préfèrent que leurs enfants limitent leur utilisation d’Internet. L’école Waldorf School of the Peninsula, située dans la Silicon Valley, incarne cette philosophie éducative qui privilégie une déconnexion complète des technologies.

Dans ces établissements, l’utilisation limitée des ordinateurs est justifiée par la volonté de favoriser les interactions humaines, le mouvement physique et la concentration. Selon l’administration, une exposition excessive aux écrans pourrait entraver ces aspects essentiels du développement des enfants. Cette approche, quoique séduisante pour de nombreux parents soucieux de la sur-utilisation des technologies, est loin d’être accessible à tout le monde. Les parents qui choisissent cette école sont souvent bien informés et financièrement aisés pour naviguer dans les complexités de l’éducation sans l’aide immédiate des technologies. En effet, les frais de scolarité dans l’école Waldorf de la Silicon Valley peuvent atteindre jusqu’à 24 400 USD par an pour le secondaire, un montant significatif qui limite l’accès à ces institutions uniquement aux familles avec des moyens financiers importants. Ces parents, qui peuvent se permettre d’investir dans une éducation sans technologie, ont souvent la capacité de fournir un soutien éducatif technologique à domicile lorsque le moment est venu.

Cependant, la question de l’efficacité de cette méthode reste complexe. Bien que les diplômés de l’école Waldorf de la Silicon Valley aient tendance à entrer dans des universités prestigieuses, il est difficile de déterminer si ce succès est directement lié à la faible utilisation de la technologie ou à d’autres facteurs, comme le milieu socio-économique des familles. Une étude du Journal of Youth and Adolescence suggère que ce ne sont pas les technologies en elles-mêmes qui nuisent aux performances académiques, mais plutôt des routines déséquilibrées qui peuvent influencer les développements sociaux et scolaires. Ainsi, l’accent mis par l’école Waldorf sur une éducation sans technologie, bien qu’appréciée par certains parents, n’est pas une solution universelle. Il reflète une philosophie qui, tout en ayant ses avantages, est également étroitement liée à des contextes socio-économiques spécifiques qui permettent à ces familles de faire ce choix.

Toujours 4,4 milliards sans Internet

L’accès à Internet est devenu indispensable dans notre monde contemporain, et ceux qui choisissent de se déconnecter le font souvent d’une position de privilège, car tous n’ont pas ce luxe. Il est crucial de noter que, bien que des individus comme ma sœur, Sammy ou les élèves de l’école Waldorf puissent se permettre une déconnexion partielle tout en conservant un accès à Internet et à des appareils électroniques si nécessaire ; une réalité très différente émerge pour les 4,4 milliards de personnes qui ne sont toujours pas connectées dans le monde. La plupart des familles à faibles ou moyens revenus disposent d’une forme de connexion Internet, mais beaucoup sont sous-connectées, se limitant à un accès mobile et une connexion instable. Le coût reste la principale raison pour laquelle certaines familles n’ont pas d’ordinateur à domicile ou d’accès Internet fixe. Pour les jeunes issus de ces familles, cette déconnexion forcée a des conséquences significatives. Par exemple, pendant la pandémie, de nombreux élèves ont pris du retard en raison du manque de ressources pour suivre le passage de l’éducation aux plateformes en ligne. L’utilisation d’Internet est une action qui est désormais indissociable de la vie courante ; qu’elle soit professionnelle ou personnelle.

Finalement, ma sœur utilise toujours son téléphone. Sammy et ses amies utilisent leurs téléphones pour se préparer avant de sortir. Les élèves de Waldorf auront éventuellement accès à un ordinateur et un téléphone portable. Ainsi, bien que la déconnexion partielle puisse offrir des avantages, il est essentiel de se rappeler qu’elle n’implique pas un abandon total d’Internet. L’accès aux services essentiels tels que l’éducation, la santé et les services bancaires se fait désormais largement en ligne. L’accès à Internet est donc devenu vital dans nos quotidiens et les défis rencontrés par ceux qui en sont privés soulignent l’importance de cette connexion dans notre société moderne. Ce mouvement vers la déconnexion met donc en lumière une inégalité persistante : une majorité de personnes a encore du mal à accéder à ce service essentiel qui semble être une nuisance envahissante pour d’autres.


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