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Les professeurs de la Faculté de droit en grève

La position de McGill suscite l’indignation du corps enseignant.

Carissa Tran

Le 26 août dernier, les professeurs de la faculté de droit de McGill, rassemblés sous la bannière de l’Association McGilloise des Professeurs de Droit (AMPD), ont déclenché une grève importante, et ce pour une durée indéterminée. Seulement une infime proportion des cours de droit proposés par McGill pour ce semestre d’automne a été assurée. Le Délit s’est entretenu avec Kirsten Anker, professeure associée de la faculté de droit et vice-présidente de l’AMPD, pour mieux comprendre les causes, enjeux et conséquences de cette grève.

L’AMPD, créée en 2021 et accréditée en novembre 2022 par le Tribunal administratif du travail québécois, est le premier syndicat de professeurs à McGill. L’AMPD lutte pour différentes causes syndicales, au coeur desquelles figurent les conditions de travail, l’autonomie dans la gouvernance de la faculté, ou encore la juste rémunération. L’AMPD demande plus de transparence dans les décisions administratives et moins de centralisation au sein de l’exécutif, par exemple lors de l’allocation de mérites aux différents membres de la faculté. Depuis sa certification, l’AMPD négocie la signature d’une convention collective avec McGill afin de protéger les professeurs de droit et d’avoir une voix dans la gouvernance de la faculté. En entrevue, professeure Anker confirme que ce sont bien les préoccupations de gouvernance, et non monétaires, qui forment le coeur du combat de l’AMPD.

Obstacles aux négociations 

Cependant, selon Anker, l’administration de McGill s’est montrée très réticente à faire avancer les négociations de bonne foi pour la convention collective. La professeure estime que McGill a développé des techniques antisyndicales basées sur l’augmentation du délai des procédures administratives, le report ou l’annulation de réunions, et les négociations de surface, qui s’attardent souvent sur des détails de langage et rallongent le processus. Pour ces raisons, l’AMPD avait déjà déclenché plusieurs grèves. La première, en février 2024, était due à la colère des membres de l’AMPD après que McGill ait à nouveau essayé de repousser les négociations. La deuxième, qui était de durée indéterminée, et qui a finalement duré huit semaines entre avril et juin 2024, était également due au refus de McGill de négocier la convention collective. L’AMPD avait décidé de terminer la grève après que McGill ait accepté d’organiser quatre sessions de négociation fin août et début septembre. En effet, selon Anker, le syndicat a souhaité créer à nouveau un environnement favorable à la discussion et l’écoute entre les deux parties. Cependant, l’administration de McGill a décidé de violer l’accord qui avait été trouvé, en ne se présentant pas dans la salle de réunion face à la l’équipe de négociation de l’AMPD lors de la date fixée en juin. Cela est d’autant plus décevant pour l’AMPD car Anker explique que les deux parties étaient arrivées à un accord sur la majorité des points de la convention collective, mais que McGill avait insisté pour inclure une clause lui permettant de modifier le contenu du document à n’importe quel moment, et ce unilatéralement. Évidemment, l’AMPD était opposé à cette requête, qui allait à l’encontre d’un des principaux objectifs de la convention, soit l’autonomie dans la gouvernance de la faculté.

« En entrevue, Kirsten Anker confirme que ce sont bien les préoccupations de gouvernance, et non monétaires, qui forment le coeur du combat de l’AMPD »

De lourds enjeux 

Anker explique que les enjeux aujourd’hui sont énormes pour l’AMPD. En effet, McGill a lancé une procédure légale afin d’annuler la certification syndicale de l’AMPD, et le combat est ainsi devenu une question existentielle pour l’association. Les sessions judiciaires sont prévues pour le mois de décembre. La grève qui a lieu en ce moment, confie Anker, trouve son origine dans le refus de McGill de se consacrer à négocier de bonne foi la convention collective, mais est surtout une réaction à cette procédure légale engagée par McGill. 

Anker confie qu’elle a l’impression que McGill s’obstine à dépenser son énergie, son temps et son argent à lutter contre l’AMPD. Selon elle, l’administration pourrait utiliser ses ressources pour faire en sorte que la négociation de la convention collective se passe en respectant les intérêts des deux parties à travers des négociations menées avec honnêteté. La professeure raconte par ailleurs que les actions de McGill ont des conséquences sur la réputation de l’institution, expliquant qu’elle a l’impression que cette bataille légale entre l’AMPD et l’Université fait de cette dernière le « paria » de l’éducation supérieure au Québec et au Canada.

Par ailleurs, si McGill remportait son effort de retrait de la certification de l’AMPD, d’autres facultés seraient directement impactées. En effet, après la création de l’AMPD comme premier syndicat de professeurs à l’université, la Faculté des arts et la Faculté d’éducation ont elles aussi lancé leur projet de syndicalisation, et sont actuellement au coeur du processus de certification. Anker avertit que si McGill parvient à obtenir une victoire en décembre contre l’AMPD, cela impacterait très négativement les efforts menés par les deux facultés pour certifier leurs associations – mettant fin pour une période indéterminée à la vie syndicale professorale sur le campus.

Des pratiques malhonnêtes

Selon Anker, McGill présente des arguments fallacieux pour justifier ses actions. McGill aurait donné comme justification à son combat contre l’AMPD que la multiplication des syndicats à l’Université deviendrait rapidement laborieuse au niveau administratif. Pourtant, rappelle Anker, l’AMPD est l’unique syndicat de professeurs certifié à McGill. Par ailleurs, beaucoup d’autres syndicats non professoraux existent, comme celui des auxiliaires d’enseignement (AEEDEM), et selon Anker, McGill parvient déjà à les gérer sans problème.

Début septembre, le Tribunal administratif du travail a ordonné à McGill d’arrêter d’interférer avec les actions de l’AMPD, après que des courriels aient été envoyés à ses représentants, remettant en question la crédibilité du syndicat, juste avant la réunion cruciale pendant laquelle les membres de l’AMPD devaient voter le début de la grève. Ces courriels de McGill ont été interprétés comme de l’intimidation par l’AMPD. Cité dans un article de CBC/Radio-Canada publié le 2 septembre, Richard Janda, secrétaire et négociateur en chef de l’AMPD, qualifie la déclaration du tribunal comme un « retournement de situation remarquable (tdlr) », et comme la première décision officielle qui montre que « l’Université agit de manière antisyndicale et contre la loi ».

Quelles conséquences pour les élèves ? 

Il est important de comprendre que la grève de l’AMPD est totale et d’une durée indéterminée. Les professeurs, ainsi qu’une majorité d’auxiliaires d’enseignement, n’assureront pas leurs cours jusqu’à nouvel ordre. Anker confirme qu’il n’y a aucun moyen pour les élèves de suivre les cours de droit, et explique que l’AMPD estime que c’est la seule façon d’exercer une véritable pression sur McGill. Les professeurs s’engagent également dans des lignes de piquetage autour de la faculté de droit, rendant l’accès au bâtiment ardu. Les élèves sont obligés de suivre des cours dans d’autres matières, qui vérifient ou non les prérequis de leur diplôme. Certains élèves, relate Anker, se sont organisés pour différer le paiement de leurs frais de scolarité jusqu’à ce que les cours reprennent, refusant de payer pour des cours non offerts. La situation trouvera sa fin si McGill accepte les conditions de l’AMPD, souligne Anker, ou si la procédure d’arbitrage engagée par McGill se déroule bel et bien, faisant perdre à l’AMPD son droit de grève.


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