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Nouvelle saison, mêmes enjeux : la représentativité culturelle à Occupation Double

Des ex-participantes de la téléréalité dévoilent l’envers du décor.

Noah Alec-Mina

La nouvelle saison d’Occupation Double (OD) a débuté ce dimanche, dévoilant son tapis rouge emblématique sous la douceur d’une soirée mexicaine. Cependant, ce moment n’est pas seulement marqué par la fébrilité des rencontres et des premiers rapprochements, mais par un enjeu récurrent : la diversité culturelle dans le casting.

À la suite du dévoilement de la distribution d’OD Mexique au mois d’août dernier, les réseaux sociaux se sont enflammés, notamment Tiktok, où les discussions autour de la représentation des minorités visibles sont montées en flèches. Jugée homogène et non représentative de la diversité culturelle du Québec, la sélection des candidats a essuyé de nombreuses critiques — mais ce n’est pas la première fois que l’émission est confrontée à de telles reproches.

« Comment Occupation Double peut-elle évoluer pour véritablement refléter la société québécoise dans toute sa pluralité ? »

Pour ceux qui ne seraient pas des adeptes de cette émission, Occupation Double, lancée en 2003 et aujourd’hui diffusée sur la chaîne Noovo, est une télé-réalité québécoise où des célibataires se côtoient durant 10 semaines dans une destination paradisiaque, au fil desquelles ils doivent former des couples et multiplier les stratégies pour éviter l’élimination. Depuis son retour à l’antenne en 2017, ce « phénomène culturel » est devenu le point de mire des débats sur l’inclusion, où beaucoup jugent les efforts en faveur de la représentativité culturelle insuffisants. Sept ans plus tard, les réactions des téléspectateurs donnent l’impression d’un retour à la case départ : pourquoi cet enjeu subsiste-t-il, et comment Occupation Double peut-elle évoluer pour véritablement refléter la société québécoise dans toute sa pluralité ?

Des critiques justifiées ? 

Cette année, avec ledit lancement d’OD Mexique, c’est une vidéo publiée sur la plateforme TikTok qui a été à l’origine d’une cascade de réactions : une utilisatrice déplore le manque de « vraies » femmes noires à OD. Jugée « timide » et pas assez « baddie » (séduisante et sûre d’elle-même), c’est la présence de Shaïna, l’unique femme afro-descendante de la sélection de participantes, qui déclenche un tollé. Les internautes se sont vite divisés sur ce que signifie réellement la « représentation » à Occupation Double. Plusieurs ont exprimé une frustration face à ce qu’ils perçoivent comme une représentation de façade (token representation) ou une inclusivité forcée, dénonçant notamment l’absence de candidats aux teints plus foncés et aux traits afro-centrés. « Chaque année, vous faites la même affaire », affirme une internaute. « Vous croyez vraiment qu’ils [la production, ndlr] vont mettre une majorité d’entre nous [personnes racisées] dans l’émission ? », renchérit-t-elle. D’autres utilisateurs évoquent que les candidats choisis pour participer à l’émission seraient davantage en proximité avec leur « côté blanc », afin de rendre le contenu de l’émission plus « digeste » pour l’audience québécoise de souche.

« Quand je dis que je m’adapte, je ne m’adapte pas à la blancheur mais à l’environnement dominant »


- Racky Diop, ex-candidate OD Andalousie

La préoccupation des internautes peut sembler futile lorsqu’on se penche sur les saisons précédentes de la téléréalité : on ne peut nier les efforts de la production en contemplant les récentes victoires de personnes issues de la diversité (Stevens Dorcelus et Inès Lalouad dans OD dans l’Ouest (2021), par exemple). Or, malgré l’inclusion de candidats issus de minorités visibles à l’écran, bien trop souvent, leur élimination survient promptement dans l’aventure, où ils reçoivent une attention moindre par rapport à leurs homologues blancs.

Entre plaintes et opinions tranchées, nous avons échangé avec deux anciennes participantes d’Occupation Double pour en savoir davantage sur la réalité derrière les caméras : Racky Diop, candidate lors de la saison d’OD Andalousie (2023) et Rym Nebbak, participante à OD Afrique du Sud (2019). Leurs témoignages nous offrent une perspective unique, révélant l’expérience vécue par des femmes racisées dans une émission où l’apparence et la représentativité sont scrutées à la loupe.

Rym et Racky se confient 

« Dans la vie, je ne suis pas quelqu’un qui a du mal à attirer les gars, et pourtant, à OD, ils me regardaient à peine. » Ce témoignage de Racky, jeune femme québécoise d’origine sénégalaise, illustre une réalité partagée par plusieurs femmes noires dans l’émission. Son expérience a suscité beaucoup de déception chez les téléspectateurs, exacerbée par son élimination dès la première semaine.

C’est seulement l’année dernière que Mia Bleu Voua devient la première femme afro-descendante à remporter Occupation Double. Cependant, cette même saison, l’enjeu de la représentation et la situation toute aussi pertinente de Racky n’a pas été diffusée : « Quand j’ai été éliminée et que j’étais dans la maison des exclus, l’un des premiers sujets que j’ai évoqué dans mon entrevue était le fait d’être une femme noire à OD et la frustration de partir en premier. Mais la production n’a pas diffusé ces images. » De même, l’ancienne candidate souligne également que certaines de ses interactions, notamment lorsqu’elles touchaient à des sujets culturels ou personnels, n’étaient pas montrées dans le montage final : « J’aurais vraiment aimé que [la production, ndlr] montre davantage ma relation avec Mia. On a eu beaucoup de conversations sur ces sujets-là ; on mettait nos bonnets [pour les cheveux] et on racontait aux autres filles leurs bienfaits… Je pense que s’ils avaient montré ça, le public m’aurait perçue différemment, surtout la communauté noire [qui pense que je “blanchis“ ma personnalité]. Mais c’est ça le truc lorsque que la production est majoritairement blanche ; il ne voient pas l’importance de ces moments là. »

« Mon espoir est que, lorsqu’on voit une femme noire, on la voit hors du groupe dont elle fait partie, et qu’elle puisse exister comme elle l’entend. Ce serait mon utopie »


- Racky Diop, ex-candidate OD Andalousie

En effet, plusieurs internautes considèrent que les participants racisés tentent de répondre aux attentes de l’industrie du spectacle québécois, faisant face à une pression implicite de correspondre au stéréotype de la personne racisée « assimilée ». Cette critique se reflète notamment dans le reproche selon lequel certains participants adoptent des accents québécois de souche, au lieu de leurs « accents d’origine ». Racky, confrontée à ces jugements, offre une perspective nuancée sur la question :

« Je suis quelqu’un qui s’adapte en fonction des gens qui m’entourent ; si j’avais commencé à dire du slang, j’aurais parlé en slang avec qui ? Les autres participants ne parlaient pas comme ça. » En grandissant dans un milieu de banlieue majoritairement blanc, elle explique avoir appris à code-switch, c’est-à-dire à adapter son langage en fonction de son interlocuteur. Selon elle, il s’agit d’une stratégie d’adaptation et non de dénaturation : « Quand je dis que je m’adapte, je ne m’adapte pas à la blancheur mais à l’environnement dominant. Je ne considère pas cela comme “me blanchir” ». 

D’un autre côté, Rym Nebbak, ancienne participante québécoise d’origine algérienne, perçoit cette dynamique différemment. Selon elle, l’émission ne l’a pas changée, mais elle reconnaît l’influence du showbiz québécois sur son parcours : « J’ai été choisie pour une raison et la production nous a toujours encouragé à rester fidèles à nous-mêmes puisqu’ils nous ont choisis pour qui nous sommes », explique-telle. « Évidemment, à ma sortie, il était clair que je commençais à baigner dans le monde du showbiz québécois. Mon auditoire est principalement de souche québécoise. Par contre, OD n’a jamais changé ma personnalité, mon identité, ni mes valeurs. Je reste exactement la même personne, sauf que maintenant j’ai un accent québécois plus prononcé, que j’assume totalement d’ailleurs. »

La perspective de Rym met en lumière une autre facette du débat sur l’identité culturelle dans le contexte de la télé-réalité québécoise, où celle-ci peut amener une pression de représenter leur communauté. Certaines, comme Racky, ressentent un poids lié à cette représentation : « Une partie de moi se disait que [ j’allais participer à OD seulement] pour moi, mais en sachant que tu seras sûrement l’une des seules Noires, il y a une partie de toi qui se dit “merde, il faut que je nous représente bien”, parce que si je fais quelque chose qui paraît mal, ça ne sera pas seulement “Racky a mal agi”, ce sera “les Noirs agissent mal.” »

Elle ajoute : « Mais comment pourrais-je représenter toutes les femmes noires ? C’est irréaliste. Je ne veux pas être la seule Noire à OD, je veux que toutes les femmes noires soient représentées. Mon espoir est que, lorsqu’on voit une femme noire, on la voit hors du groupe dont elle fait partie, et qu’elle puisse exister comme elle l’entend. Ce serait mon utopie. »

Cependant, cette utopie, elle semble accessible. Rym, en se concentrant sur l’expression de son individualité, se détache du devoir d’incarner une représentation collective : « Personnellement, lorsque j’ai participé à OD, j’avais 23 ans, je venais de quitter une relation toxique de six ans. Mon seul but et objectif était de m’amuser, de rencontrer des gens formidables et de vivre l’aventure d’une vie. Je n’avais évidemment pas l’intention de venir représenter une communauté. Je suis venue représenter Rym. Et Rym est plus que juste son origine. » L’influenceuse poursuit en expliquant qu’elle comprend que certains participants issus de la diversité peuvent ressentir cette pression de représenter leur communauté, mais que cela n’a jamais été son cas. « Je suis fière d’être algérienne, mais Rym ne peut pas assumer la pression de représenter l’Algérie au grand complet. […] C’est de vivre dans une illusion que de croire qu’une seule personne peut représenter une communauté entière. Je ne crois pas avoir bien représenté les Algériens mais j’ai représenté ma propre personne, avec mes qualités et mes gros défauts, et cela me suffit. » 

Il est important de noter que Rym a eu l’opportunité de rester plus longtemps dans l’émission, ce qui lui a permis de vivre plus largement l’expérience. Ce contraste souligne l’impact qu’une distribution diversifiée peut avoir non seulement sur les candidats eux-mêmes, mais sur le succès global de l’émission également : « L’édition d’OD Afrique du Sud comptait le plus grand nombre de candidats issus de la diversité et l’émission a connu un succès pour cette raison ! C’était de loin l’une des meilleures saisons produites par Production J puisque les côtes d’écoutes étaient plus élevées qu’à l’habitude. OD a réussi à conquérir un nouvel auditoire multiculturel et c’est dans leur intérêt de continuer d’augmenter le nombre de candidats issus de la diversité », explique Rym.

Vers une approche plus nuancée de la représentation

Ce à quoi les spectateurs s’attendent, c’est une inclusion authentique qui permet à ces candidats de se sentir à l’aise et de ne pas être réduits à des rôles secondaires. Pour progresser, la production doit veiller à ce les participants ne soient plus confrontés à des barrières invisibles qui limitent leur parcours : « La production doit sélectionner des hommes qui sont ouverts à l’idée de sortir avec des femmes de couleur afin de favoriser la formation de véritables couples », affirme Racky. « On ne veut plus voir des femmes issues de la diversité quitter dès la première semaine. Cela implique que les personnes qui s’occupent de sélectionner les candidats doivent être également issues de la diversité puisqu’ils comprennent mieux les enjeux sociaux-culturels et l’impact positif que pourrait avoir la représentativité audio-visuelle dans le showbiz québécois », conclut Rym.

Ainsi, si le tapis rouge d’OD promet une diversité de visages, il ne garantit pas toujours une diversité d’expériences authentiquement vécues et représentées. Il reste à voir si les émissions futures sauront aller au-delà de l’apparence pour embrasser la complexité des identités qu’elles souhaitent mettre en lumière.


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