Le WWOOFing (World Wide Opportunities on Organic Farms, Opportunités Mondiale Sur Fermes Biologiques, tdlr) est une plateforme de mise en relation de fermes biologiques avec des bénévoles dans 132 pays. Au Québec, en échange d’un couvert et d’un toit, les « WWOOFeurs » – nom donné aux utilisateurs du site – contribuent à diverses tâches dans des productions maraîchères, apicoles, d’élevage, ou de récolte de sirop d’érable. La plupart travaillent bénévolement dans les fermes pour découvrir les régions où elles sont établies. Il est également possible de faire du WWOOFing par curiosité d’en apprendre plus sur la culture biologique, pour comprendre la réalité des producteurs, ou pour couper avec le quotidien de la ville.
Le Délit est allé à la rencontre des propriétaires de la ferme des Jardins du Cheval blanc, situés à 50 minutes de Montréal, qui accueillent des bénévoles pour le temps d’une fin de semaine ou de plusieurs mois.
Donner et apprendre
Jean-François, qui a ouvert sa ferme biologique il y a quatre ans, raconte avoir pour projet de bâtir une entreprise éco-responsable, qui produirait de la nourriture de proximité pour la communauté du village de Saint-Antoine-de-Richelieu. Il a commencé à utiliser la plateforme de WWOOF par nécessité de main‑d’œuvre : « On en accueillait entre un et quatre [bénévoles, ndlr]. On s’est finalement plu à rencontrer des gens, à recevoir du monde, à avoir de l’aide, à partager, à échanger. C’est devenu à la fois le moteur des ressources humaines de la ferme et une façon d’offrir un lieu d’apprentissage pour les gens, de donner au suivant. » L’une des bénévoles, Amélia, étudiante à McGill au baccalauréat, s’y est rendue deux jours de fin de semaine au mois de septembre. Elle a offert de son temps à l’entretien de la ferme et à la récolte des légumes de saison. « J’ai eu envie de travailler ici parce que j’entreprends quelque chose de concret, qui fait changement des cours universitaires. J’aimerais bien avoir mon propre potager un jour, et c’est important de savoir comment mettre les mains dans la terre de la bonne façon, et comment faire pousser ses légumes dans un écosystème qui a du sens ! »
Découvrir la réalité d’un projet agricole
Faire du WWOOFing, c’est avant tout être curieux de la façon dont on produit nos fruits et légumes. « Je veux comprendre d’où vient la nourriture que l’on consomme et le travail nécessaire à sa production », explique Amélia. Les échanges lors des repas permettent aux bénévoles de comprendre la gestion d’une ferme. Le rêve de Jean-François est de trouver des fermiers motivés pour former une coopérative : « Il y aurait des gens qui s’occupent des animaux, des gens qui s’occupent des céréales, puis de la transformation des céréales. Nous, on s’occuperait des légumes et on aimerait avoir des arbres fruitiers. On aimerait que ça devienne une espèce d’écosystème avec un étang, des lacs, en suivant un modèle d’agriculture régénératrice. » Ce type de modèle agricole consiste à produire soi-même de quoi fertiliser et semer sa terre : le fumier, aujourd’hui acheté à l’élevage intensif, et l’engrais vert et semences, achetés à des fermes qui ne produisent que ça.
Jean-François évoque un problème auquel font face de nombreux petits agriculteurs : la différence de prix entre le moment où il a établi son plan d’affaires, il y a cinq ans, et le prix actuel des terres. « La location de nos terres, des équipements et les semences ont doublé de prix alors que le prix des légumes a augmenté seulement de 25% ou 30%. C’est en train de ne plus devenir rentable de faire pousser des légumes bio sur des petites surfaces. Il y a énormément de fermes sur notre modèle qui ferment ou qui sont menacées de fermeture en ce moment, dont certaines qui existaient depuis longtemps. » Il mentionne que la seule façon d’être rentable est d’accroître sa production, ou simplement d’en réduire la taille, pour que sa famille soit autosuffisante. « En ce moment, 50 paniers à notre kiosque du marché de Saint-Hilaire, ce n’est pas rentable. Il faut augmenter la production pour pouvoir être rentable parce qu’il y a des frais fixes auxquels on ne peut pas échapper », déplore-t-il.
« Pour moi, c’est vraiment une expérience humaine. C’est rencontrer des gens qui ont les mêmes valeurs que toi »
Julie, associée à la ferme Les Jardins du Cheval Blanc
Des valeurs en commun
L’aventure du WWOOFing a motivé Julie, immigrée de France, à s’engager dans la ferme en tant qu’associée. « Dès que je suis arrivée, je me suis sentie vraiment à ma place. C’est incroyable de se dire que là, j’ai préparé la terre, j’ai planté les semences, elles ont poussé, je les ai arrosées, je les ai plantées dans le sol, j’ai préparé les planches et elles deviennent des légumes. » Julie avait déjà eu une expérience de WWOOFing en France, proche de chez elle, avec un couple qui avait le projet de rebâtir une maison en ruine. « Pour moi, c’est vraiment une expérience humaine. C’est rencontrer des gens qui ont les mêmes valeurs que toi. » Arrivée depuis mars au Québec, elle a choisi de s’associer à cette ferme, car elle partage la vision de Jean-François : « J’aime l’idée de pouvoir nourrir son monde. Jean-François décide de rester à Saint-Antoine, parce qu’il a envie de nourrir Saint-Antoine. »
L’image du colibri
Julie continue de travailler à la ferme avant tout parce que c’est un travail gratifiant, non seulement dans le suivi des pousses de ses plants, mais aussi dans le contact humain au marché. « Je suis très adepte de l’image du colibri. Chaque petite action est nécessaire et une toute petite action peut avoir une grande conséquence. C’est une petite ferme, et c’est un travail énorme de faire pousser des légumes. Mais tu l’offres à des gens, tu leur donnes à manger, ils vont souper avec mes légumes le soir, tu leur donnes des idées de recettes. C’est un contact intime avec les gens, de les nourrir et d’y mettre du sien. C’est beaucoup de travail, mais pour la bonne cause. » Julie aime accueillir des « WWOOFeurs » à la ferme, parce qu’elle aime leur enseigner : « Je trouve que c’est vraiment important de savoir pourquoi tu fais les choses. Ce n’est pas simplement : « Je te donne une tâche de désherbage à faire. C’est “je t’explique pourquoi c’est important de désherber cette culture-là et qu’est-ce que ça va faire après.” » Elle ne sépare pas sa journée de travail du reste : pour elle, c’est un tout, un quotidien qu’ils partagent ensemble, dans le champ la journée, et en chantant le soir.
Hugo, présent en même temps qu’Amélia, est étudiant en horticulture. Il apprécie l’impact qu’il peut avoir en tant que main‑d’œuvre extérieure au projet. « J’adore que chacun apporte une aide précieuse à la ferme, et que la plupart des propriétaires soient à l’écoute de nos idées. Parfois cela peut se développer en projet ou plan pour plus tard. »
Bien que les valeurs puissent être communes à la plupart des utilisateurs de la plateforme, c’est la diversité des expériences possibles dans les fermes du Québec ainsi que leur proximité à de grandes villes comme Montréal qui fait leur richesse. Travailler chez un producteur de sa région permet de comprendre ce qui pousse au gré de nos saisons et les enjeux auxquels font face ceux qui remplissent nos assiettes.