Le 3 juillet, le Ministère de la langue française adoptait une directive précisant les situations dans lesquelles le réseau de la santé et des services sociaux pouvait utiliser une autre langue que le français. Le 12 septembre, seulement quelques semaines plus tard, une motion a été votée à l’Assemblée nationale pour rendre explicite les conditions qui régulent l’accès aux soins de santé en anglais pour les anglophones du Québec. Cette motion, votée à l’unanimité, met fin à des mois de confusion concernant les prérequis nécessaires pour obtenir des soins de santé et des services sociaux en anglais.
« Cette motion, votée à l’unanimité, met fin à des mois de confusion concernant les prérequis nécessaires pour obtenir des soins de santé et des services sociaux en anglais »
Le français étant l’unique langue officielle du Québec, comme le dicte la Charte de la langue française (CLF), aucune autre langue n’est utilisée de manière systématique dans la province. Cependant, la directive du gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) détermine qu’une langue autre que le français peut être utilisée dans certaines situations, notamment lorsque la santé l’exige. Le texte réfère ici à des des situations exceptionnelles, c’est-à-dire si le patient démontre qu’il ne peut pas comprendre ou communiquer en français dans une situation d’urgence dans laquelle l’usager doit recevoir de l’assistance, donner son consentement, ou participer aux décisions affectant son bien-être, ou s’il détient la documentation nécessaire pour démontrer qu’il a le droit d’être servi en anglais.
Une directive ambiguë
C’est précisément cette directive, publiée en juillet, qui a généré des inquiétudes au sein de la communauté anglophone du Québec. Peu de temps après sa publication, Quebec Community Group Networks, un organisme à but non-lucratif réunissant des communautés anglophones à travers la province, publie sur son site un court commentaire dénonçant ce changement. La Montreal Gazette, un journal anglophone, conteste également ces nouvelles mesures, avertissant notamment ses lecteurs qu’un « certificat d’éligibilité, (tdlr) » pourrait maintenant être demandé aux anglophones cherchant à obtenir des soins dans leur langue. Le certificat en question est mentionné de manière ambiguë dans la directive. Celle-ci énonce : « Un organisme du RSSS [réseau de la santé et des services sociaux, ndlr] peut communiquer en anglais exclusivement avec une personne déclarée admissible à recevoir l’enseignement en anglais si celle-ci : s’est vue délivrer le document Déclaration d’admissibilité à recevoir l’enseignement en anglais du ministère de l’Éducation du Québec ; en fait expressément la demande. »
La confusion concernant la nature de ce certificat semble découler du fait qu’il n’est pas évident si ces deux points sont deux exemples de scénarios dans lesquels un organisme du RSSS peut communiquer en anglais exclusivement avec un patient, ou s’ils représentent une liste exhaustive des conditions à remplir. C’est pourquoi Gary Bernstein, un anglophone et résident de Montréal depuis plusieurs années ne détenant pas de certificat d’admissibilité à l’éducation en anglais, a tenté de mieux comprendre comment un tel certificat pouvait être obtenu. Celui-ci explique : « je n’ai jamais eu de grosses difficultés à obtenir des soins de santé en anglais à Montréal ». Toutefois, au vu de la directive annoncée au cours de l’été, celui-ci a tenté d’obtenir un certificat comme celui mentionné. Le certificat en question est, en temps normal, détenu par tous ceux étant éligibles à l’éducation en anglais, selon la loi 101. Cette loi, passée en 1977, dispense certaines personnes d’avoir à faire leur scolarité en français. Cependant, pour d’autres comme Gary, qui ont été éduqués en anglais avant la mise en place de cette loi, les directives sont moins claires. Un anglophone ayant reçu sa scolarité en anglais avant la mise en place de la loi 101, et ne détenant pas de certificat peut-il, avec cette nouvelle directive, recevoir des soins en anglais ? C’est donc pour répondre à cette question que Gary a tenté d’obtenir ce fameux certificat. « Dans la publication du ministère, il y avait une adresse courriel à laquelle on pouvait écrire pour avoir un certificat. J’ai écrit pour enquêter, et j’ai reçu un message poli qui disait : “merci de votre demande, mais vous n’êtes pas en ce moment à l’école, et n’êtes donc pas éligible à recevoir de certificat d’admissibilité” ». Gary poursuit : « Je savais que ce serait leur réponse, mais je me disais que je tâterais le terrain quand même. » Il semble que ce manque de clarté ait été pris en note par le gouvernement. En effet, la motion du 12 septembre, visant à éviter toute future confusion, souligne explicitement qu’elle « exige du gouvernement que toute directive donnée au réseau de la santé et des services sociaux soit claire et explicite à ce sujet ».
Une situation tendue
Malgré la confirmation qu’aucun changement ne serait apporté à l’accès aux soins de santé en anglais pour les anglophones, certaines inquiétudes règnent dans la communauté. Gary explique : « Quand il y avait des changements aux règles, j’anticipais qu’une partie du personnel médical serait hésitant à nous servir en anglais, de peur de se faire pénaliser. Plusieurs directives sous la loi 96 [la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, ndlr] ont été mal comprises. » Il conclut que « certains [membres du personnel médical] ont peur de défier des directives ministérielles qui n’existent pas vraiment ». L’adoption de la motion du 12 septembre vient seulement quelques jours avant la publication d’un article de Radio-Canada sur le suicide d’un homme de 66 ans à Val-des-monts. L’article explique que l’individu aurait souffert de dépression, et qu’après avoir insisté pour consulter un psychologue anglophone et avoir été mis sur une liste d’attente pour le faire, il aurait changé d’avis. Bien qu’il ne soit pas possible de déterminer de manière définitive si son suicide était lié au manque d’accès aux services de santé pour les minorités anglophones du Québec, il est évident que la question n’est pas résolue.
« Les enjeux auxquels font face les anglophones du Québec ne sont donc pas uniques en eux-mêmes, et révèlent en fait une tendance plus générale au Canada »
Un problème canadien
L’accès des minorités linguistiques à des services de santé dans leur langue n’est pas un enjeu isolé et propre au Québec. En effet, bien qu’il existe toujours des problèmes, le Québec est en réalité l’une de seulement quelques provinces où la législation encadre l’offre de services dans la langue minoritaire. La santé étant de compétence provinciale, c’est aux provinces individuelles de déterminer si et comment elles offrent des services de santé dans la langue minoritaire. La Colombie-Britannique, par exemple, n’offre pas de services en français, mais met à disposition des patients des services d’interprétation à ceux qui en ont besoin. Cette approche peut être contrastée à celle de l’Ontario qui est légalement obligée d’offrir des soins de santé en français dans des zones où sont concentrées les populations franco-ontariennes, conformément à une loi provinciale, la Loi sur les services en français. De plus, bien que la Loi sur les langues officielles légifère l’universalité d’accès aux services dans les deux langues partout au Canada, celle-ci s’applique uniquement aux institutions fédérales. La santé étant de compétence provinciale, et les démographies des minorités linguistiques n’étant pas les mêmes de province en province, il est difficile d’uniformiser le profil des langues officielles dans ce secteur à l’échelle canadienne. Les enjeux auxquels font face les anglophones du Québec ne sont donc pas uniques en eux-mêmes, et révèlent en fait une tendance plus générale au Canada.