Présentée au Théâtre de La Licorne depuis le 9 septembre, la pièce de théâtre Cordes nous dépeint l’histoire de trois frères, qui s’embarquent dans un voyage des plus tumultueux. Avec l’insistance de leur père, voltigeur connu qu’ils n’ont plus revu depuis leur enfance, ils se rendent à son dernier numéro : une traversée sur un fil tendu entre deux tours.
On y retrouve Peter, l’aîné cherchant à se défaire du modèle paternel et à se construire une vie stable et Paul, bavard farfelu souffrant de son statut d’enfant du milieu. Enfin, Prince, le petit dernier à l’allure décontractée, est en couple avec la mystérieuse Andrea — au grand dam de son frère aîné. Leur périple s’annonce dès lors chaotique. C’est sans compter quelques secrets, une once de rancœur, une pointe de jalousie et une bonne dose de retenue.
Cordes. Un nom évocateur pour une pièce qui traite des liens familiaux, ces liens qui se tordent, se distendent, s’entremêlent, et parfois, se rompent. Ces liens dont nous sommes tous les détenteurs, à l’image de Peter, Paul et Prince. Des garçons qui ont grandi en l’absence de leur père, des hommes qui se sont forgés en l’absence de leurs frères. Des personnages hauts en couleurs, poignants, uniques, vulnérables.
Car derrière leur carapace, leurs tics et leurs mimiques se cachent des émotions profondes, des doutes, des regrets, des peurs. Des blessures qui demeurent et qu’ils croient nécessaire de dissimuler. Des blessures illustrées par des instants suspendus, où se croisent français et espagnol, souvenirs d’enfance et traumatismes, des monologues hors du temps dont la metteure en scène est à l’origine.
Cet ajout ingénieux nous plonge dans l’univers intérieur de chaque personnage, les dévoilant petit à petit et ; nous rapprochant d’eux. Car oui, cette pièce est à la fois une traduction et une adaptation, qui conserve certaines répliques en espagnol, nous permettant de mieux comprendre les origines des personnages, de rendre les émotions plus authentiques. Comme me l’a si bien témoigné la metteure en scène Margarita Herrera Dominguez, ce mélange linguistique nous permet de « sortir de l’exotisme de l’Amérique latine », en abordant des thèmes qui nous touchent tous et dont pourtant, il n’est pas simple de discuter. Des thèmes actuels, issus du « plus profond des quartiers », tel que me l’a confié Victor Cuéllar, l’acteur jouant Prince. Comment oser dire à son père qu’il ne nous « voit pas » ? Comment exprimer le manque, cette impression de ne pas être « assez » ? Comment supporter le poids, la certitude de ne jamais parvenir à ressembler à ceux qui sont nos modèles ? Comment se relever, sans toujours avoir un filet de sécurité ?
Avec un décor composé uniquement de blocs et de murs portatifs se dessine sous nos yeux une scène de vie, plus vraie que nature, où chaque détail a son importance. Chaque parole, quand bien même elle semble n’être présente que pour combler le vide, a un poids. Un sens. Cette profusion de détails peut cependant tendre à déstabiliser l’auditoire, à l’éloigner de l’essence même du texte, et des émotions qu’il cherche à traduire.
Parfois, la simplicité permet de mieux transmettre les sentiments, d’apporter une touche de profondeur supplémentaire. Certes, la pièce ne manque pas en émotions, mais les jeux de lumière, de voix et de sons ne doivent pas être au détriment du texte, ni du fil narratif. En effet, en discutant avec des membres de l’audience, certains m’ont avoué avoir perçu une perte de celui-ci à certains moments, ce qui ne fut toutefois pas mon cas.
Entre hilarité et sensibilité, Cordes nous plonge, l’espace d’une soirée, dans une réalité que l’on préfère parfois oublier. Car là réside toute la magie du théâtre : transmettre une vérité par la fiction. Si je peux me permettre de vous conseiller une seule chose : ne partez pas trop vite. Car c’est là que l’on fait les rencontres les plus intéressantes, que l’on s’interroge, que l’on apprend. Alors, prenez le temps et restez un peu plus longtemps dans cette atmosphère chaleureuse et familiale avant de retrouver votre quotidien.
La pièce Cordes sera représentée au Théâtre de La Licorne jusqu’au 2 octobre 2024.