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Incertitude pour les libéraux

La fin de l’entente entre les libéraux et le NPD marque un retour à la normale.

Carissa Tran

Le 4 septembre dernier, Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), met fin à son entente de soutien sans participation avec le Parti libéral du Canada (PLC). Ceci marque, d’une part, un retour à la normale marqué par l’incertitude caractéristique d’un gouvernement minoritaire, et ouvre, d’autre part, la possibilité d’une élection prématurée. En mars 2022, le NPD accordait au PLC une entente de soutien sans participation. Cette entente représentait un accord de confiance entre le NPD et les libéraux, élus en gouvernement minoritaire. Grâce à ce soutien, le Parti libéral a pu agir comme un parti majoritaire en coalition avec le NPD. Cela signifie qu’au cours des deux dernières années, les libéraux ont pu obtenir aisément les votes de confiance des membres du Parlement, sans avoir à négocier chaque vote avec les partis d’opposition, tel qu’il est courant de le faire pour un gouvernement minoritaire.

« Il existait des tensions [entre le NPD et les libéraux], par exemple, autour de projets sur l’assurance médicament, dont la mise en œuvre tardait » 

Daniel Béland, professeur de sciences politiques à McGill

Fin de l’entente : Pourquoi ?

J’ai pu m’entretenir avec Daniel Béland, professeur au Département de sciences politiques de l’Université McGill, afin d’obtenir des réponses à la suite de la fin de l’entente entre le NPD et le PLC. Une première explication concerne des divergences sur des dossiers clés : « Il existait des tensions [entre le NPD et les libéraux, ndlr], par exemple, autour de projets sur l’assurance médicament, dont la mise en œuvre tardait. Je pense qu’un aspect important a été la décision du gouvernement libéral concernant la grève dans le secteur des chemins de fer, alors que les travailleurs en grève ont été forcés à retourner au travail », explique le professeur. Cependant, un autre enjeu plus stratégique a sans doute aussi influencé la rupture de l’entente entre les partis : « Je pense que sur le plan politique, le NPD est trop étroitement associé aux libéraux, et ces derniers sont en baisse dans les sondages depuis plus d’un an », constate Professeur Béland. « Le NPD est associé directement au gouvernement libéral, ce qui nuit à sa popularité. Certains députés du NPD sont insatisfaits de cette entente, et leur association directe à Justin Trudeau et à son gouvernement leur déplaît fortement. »

Cette mise à terme de l’entente de soutien sans participation survient une semaine après l’annonce de Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur, dans laquelle il encourageait le NPD à mettre fin à l’entente. Poilievre souhaite maintenant obtenir le soutien du NPD et du Bloc québécois lors d’un éventuel vote de confiance durant lequel il voterait en défaveur des libéraux. Dans l’éventualité où ces derniers n’obtiendraient pas de soutien d’un parti de l’opposition, une élection fédérale prématurée serait envisageable.

« Selon le Professeur Béland, […] les probabilités d’une élection générale prématurée sont maigres. En effet, dans le contexte d’un gouvernement minoritaire, le NPD et le Bloc québécois détiennent un certain pouvoir de négociation »

Élection fédérale : un risque réel ? 

Depuis l’annonce de la dissolution de l’entente entre le NPD et les libéraux, une question se pose : une élection prématurée serait-elle possible ? Certains affirment que oui, évoquant l’annonce de Poilievre durant laquelle il annonce que « Justin Trudeau ne va pas démissionner. Il faut le congédier ». Cependant, selon le professeur Béland, les probabilités d’une élection générale prématurée sont minces. En effet, dans le contexte d’un gouvernement minoritaire, le NPD et le Bloc québécois détiennent un certain pouvoir de négociation. Ceci dit, si une élection devait se tenir cet automne, les sondages prédisent une victoire majoritaire des conservateurs, retirant aux NPD et au Bloc une grande part de leur influence au Parlement. Le Professeur Béland affirme que : « Pour le Bloc et surtout pour le NPD, il serait préférable de maintenir les libéraux au pouvoir au moins jusqu’au printemps. Effectuer le vote de confiance après le prochain budget, ce serait peut-être une meilleure occasion de faire tomber le gouvernement pour déclencher des élections vers la fin du printemps 2025. Cela dit, si les libéraux réussissent à se négocier des ententes, ils pourraient survivre jusqu’à la fin de leur mandat, soit jusqu’à la fin de l’année 2025. »

Il faudra donc attendre une journée d’opposition [journée durant laquelle les partis d’opposition peuvent choisir la motion à débattre, ndlr] pour découvrir si une élection aura lieu.

Retour à la normale

Selon le Professeur Béland, ce qui est normal dans un contexte de minorité au sein d’un gouvernement, c’est l’incertitude du parti au pouvoir, qui le contraint donc à négocier et faire des concessions avec les autres membres du Parlement, comme dans le cas de l’entente entre les néo-démocrates et les libéraux.

La rupture entre le NPD et le PLC représente donc un retour aux négociations pour tout ce que le gouvernement souhaite entreprendre. Il est à noter que même en tant que gouvernement minoritaire, le Parti libéral reste relativement fort parce qu’il ne requiert le soutien que d’un seul autre parti d’opposition pour mener à bien ses projets. Comme note professeur Béland, les libéraux risquent donc de se tourner vers le Bloc québécois, ce qui pourrait leur garantir une certaine capacité d’action.

« Si on écoute le discours politique d’Yves-François Blanchet [chef du Bloc québécois, ndlr], et de d’autres députés du bloc, il est évident que le parti voit maintenant son influence grandir », affirme le Professeur Béland. « Ça ne veut pas nécessairement dire que le Bloc votera en faveur des libéraux et leur offrira un soutien inconditionnel, mais il est évident que les libéraux ont maintenant les yeux tournés vers le Bloc, et non le NPD. Par contre, c’est un jeu dangereux pour les libéraux étant donné que le Bloc québécois n’est pas actif ailleurs qu’au Québec, et que c’est un parti souverainiste : s’allier avec eux pourrait poser des risques politiques. » La seule certitude pour les libéraux semble donc être l’incertitude de leur avenir politique, au vu de leur retour à un statut minoritaire.


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