La 17e édition de l’exposition internationale du World Press Photo présente les 24 gagnants des photos et projets multimédias les plus marquants de l’année 2023. Sous les projecteurs du Marché Bonsecours, elle souligne la persévérance, le courage et l’empathie de photojournalistes originaires des cinq continents, qui ont su retranscrire un portrait douloureux et résilient de l’humanité. Les photos exposées immortalisent la persévérance en temps de guerre et de maladie, et célèbrent ceux qui se battent pour la démocratie et la biodiversité. Cette année, pour la première fois en 25 ans, un Québécois se démarque dans le palmarès des lauréats avec la photo du pompier Thomas Dagnaud, capturée lors des incendies forestiers de l’été 2023. Retour sur une exposition loin des notifications et des breaking news.
REPENSER NOTRE BOULIMIE MÉDIATIQUE
L’exposition World Press Photo est une occasion de se détacher de l’urgence médiatique pour accéder à une compréhension approfondie de l’actualité. Les journalistes lauréats sont pour la plupart des photographes locaux, qui assurent la couverture des événements marquants de leur pays ou de leur région. Ils retranscrivent par leur art leur culture et ses dynamiques, tout en partageant une réalité « sous-jacente » à l’actualité dépêchée dans les grands médias. Ainsi, le photographe Eddie Jim dépeint la montée des eaux dans le Pacifique à l’échelle d’une vie humaine : celle d’un grand-père et son petit-fils submergés dans l’eau, à l’endroit-même du littoral où ce premier pouvait marcher quarante ans plus tôt.
REPLACER L’INDIVIDU AU COEUR DE L’ACTUALITÉ
Chaque portrait invite son spectateur à entamer une relation avec l’individu qu’il représente : c’est un lien intime, unique, curieux, qui suscite une profonde empathie. Le photographe est le médiateur d’une rencontre, celle du spectateur « privilégié » avec le « héros » de la photo. L’essence des photos de l’exposition semble reposer dans la transmission des émotions universelles du deuil, de la douleur, du courage et de l’émerveillement – bien au-delà de la simple transmission des faits. C’est dans l’humanité que l’on trouvera de l’empathie, et c’est avec celle-ci que les photographes semblent appréhender la réalité qui les entourent. La photo de l’année de l’exposition représente une femme palestinienne qui tient le corps de sa nièce de cinq ans, décédée après la frappe d’un missile israélien à Gaza le 17 octobre 2023. Cette photo donne une autre dimension aux chiffres de victimes transmis dans la presse. Parfois, un seul regard suffit pour comprendre l’ampleur de la catastrophe.
Ailleurs, Mesut Hancer, un père de famille turc, ne lâche pas la main de sa fille à la suite du tremblement de terre dans le sud de la Turquie en février 2023. Victime de l’effondrement de la maison de sa grand-mère, elle est décédée à l’âge de 15 ans. Le contexte socio-politique, explicité sur l’affiche à côté de chaque photo de l’exposition, appuie l’injustice de la situation : le nombre démesuré de victimes est en partie dû aux immeubles construits avec des matériaux de piètre qualité au profit d’entrepreneurs frauduleux.
UN JOURNALISME MILITANT ET COURAGEUX
Les photos lauréates sont le fruit du travail laborieux et risqué de journalistes qui se détachent de la transmission de faits d’actualité en épousant le quotidien de ceux qui les vivent. Certains projets à long terme permettent de capturer une réalité vécue sous différents angles. Alejandro Cegarra a choisi de documenter le parcours de migrants illégaux à bord de La Bête, un train qui traverse le Mexique pour rejoindre les États-Unis. Ce dernier, réputé dangereux, compte de nombreuses victimes tombées du train ou kidnappées par des cartels. Le photographe humanise ainsi ceux qui subissent au premier rang les diverses crises mondiales qui les amènent à fuir leur pays. La photo à gauche représente Ruben et Rosa, migrants vénézuéliens et du Honduras, tombés amoureux lors de leur voyage migratoire pour les États-Unis. Les projets, au-delà de faits d’actualité, saluent aussi la résilience et la persévérance humaine.
UN PRIX POUR LES FEUX QUÉBÉCOIS
Le photographe Charles-Frederick Ouellet a capturé ce cliché du pompier Theo Dagnaud scrutant l’horizon pour s’assurer que les patrouilles de pompiers ont quitté les lieux, et qu’il peut délimiter cette zone comme étant « contrôlée », en juillet 2023. Cet été-là, la saison des incendies a brûlé trois fois plus de terres que d’habitude. Le jury a précisé avoir été impacté par la représentation d’une bataille impuissante contre les changements climatiques, avec la composition de la photo qui paraît représenter un monument. C’est la première fois en 25 ans qu’un Québécois gagne le prix prestigieux du World Press Photo.
Plus qu’une expo, le World Press Photo influence le regard de quatre millions de visiteurs dans 60 villes chaque année. Cette capacité de représentation humaine peut également être saluée dans le documentaire Human du photojournaliste français Yann-Arthus Bertrand, qui permet de plonger nos yeux dans ceux du reste du monde.