Dans les 70 bâtiments fréquentés par plus de 40 000 étudiant·e·s et employé·e·s, les poubelles se remplissent au même rythme que les têtes « forgées par McGill » : des emballages de nourriture, de café, des papiers, des maquettes d’architecture, des chaises cassées ou encore des matières de laboratoire. « Qui n’a pas retrouvé une tasse de café dans les trois poubelles de tri?! », ironise le Dr Grant Clark, professeur du cours de Gestion des détritus organiques au campus Macdonald. Selon un sondage mené par le Bureau de développement durable de McGill et communiqué au Délit par sa directrice, seulement 33% des étudiant·e·s sont au courant des objectifs du projet Zéro Déchet 2035 et de neutralité carbone 2040 de l’Université. Ce pourcentage n’est pas totalement alarmant, mais les objectifs sont ambitieux et les erreurs de tri et le manque de bennes de compost dans les bâtiments y sont des freins. Continuer la mise en place de mesures infrastructurelles sans éduquer les cerveaux qui devront les utiliser ne permettra pas d’atteindre ces objectifs. À l’échelle d’une communauté diversifiée regroupant étudiant·e·s et employé·e·s, tant locaux·les qu’étranger·ère·s, faire avancer tout le monde d’un même geste peut s’avérer être un casse-tête.
En s’entretenant avec la directrice du Bureau de Durabilité de McGill, Shona Watt, le professeur de sciences environnementales, Dr Grant Clark, ainsi que la conseillère d’orientation du Département de géographie, Michelle Maillet, Le Délit tente de démystifier les freins aux pratiques de recyclage à McGill.
« Les déchets organiques, qui représentent 40% des déchets résiduels, se décomposent dans les décharges et deviennent une source importante de méthane »
Dr. Grant Clark, professeur en Gestion des déchets organiques à McGill
Le compost comme angle d’attaque pour le zéro déchet
Contrairement à ce que suggère son nom, le zéro déchet ne signifie pas que l’on ne pourra plus rien jeter à McGill. La certification internationale du zéro déchet est attribuée aux entreprises et communautés qui réacheminent 90% de leurs déchets hors des décharges et des incinérateurs – en éduquant la population et en offrant des solutions de recyclage et de compost. L’enfouissement des déchets ou leur combustion étant une source importante de méthane, un gaz à effet de serre 30 fois plus polluant que le dioxyde de carbone, ce but s’inscrit dans l’objectif de McGill d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2040.
Le Dr Grant Clark explique l’importance du compost pour réduire la quantité de déchets dans les décharges et l’impact de leurs émissions. « Lorsqu’ils sont acheminés dans les décharges, comme celle de Terrebonne pour l’agglomération de Montréal, les déchets sont entassés en montagne que l’on recouvre d’argile. Les déchets organiques, qui représentent 40% des déchets résiduels, se décomposent sous l’argile et deviennent une source importante de méthane. Pour diminuer son émission, ils doivent être séparés du reste des déchets et traités en contact avec l’oxygène (tdlr). » Le méthane étant un gaz à effet de serre que la plupart des gouvernements, dont celui du Canada, visent à réduire, le compost est une alternative privilégiée qui est graduellement mise en place par d’autres institutions et municipalités du pays. Le Dr Clark explique les enjeux liés au mélange des déchets organiques et généraux : « Nous avons besoin d’une séparation claire entre les flux de déchets organiques et autres déchets, car ils se contaminent l’un et l’autre lorsqu’ils sont en contact. Si des déchets généraux se retrouvent dans le bac de compost, celui-ci sera contaminé de déchets qui ne se décomposent pas, et, à l’échelle microscopique, pourra être contaminé de plastiques qui se retrouveront dans les sols fertilisés par le compost. Si les déchets généraux sont contaminés par des déchets organiques, ils produiront plus de méthane, comme expliqué plus tôt ».
« Encourager des milliers d’étudiant·e·s, de professeur·e·s et de membres du personnel très occupé·e·s à réduire et à trier de manière réfléchie leurs déchets quotidiens sur le campus est un véritable défi »
Shona Watt, Directrice du Bureau de développement durable à McGill
Pratiquer ce que l’on prêche
En 2024, McGill réachemine 45% de ses déchets hors des décharges, via son système de recyclage et de compost. L’installation de stations de triage dans plusieurs bâtiments et sites extérieurs du campus a été le mandat principal de sa stratégie de réduction et de réacheminement des matières résiduelles 2018 – 2025. Shona Watt, directrice associée au Bureau de la durabilité de McGill, informe des actions entreprises ces cinq dernières années : « Depuis 2018, nous avons installé plus de 715 stations de tri des déchets à flux multiples dans des emplacements centraux à travers 27 bâtiments universitaires majeurs. Depuis l’introduction du flux de compostage, la quantité de déchets organiques collectés est passée de 0% des déchets collectés en 2015 à 7% en 2022 ».
Cependant, l’installation de poubelles de tri prend du temps et certains bâtiments en sont encore dépourvus. Michelle Maillet, conseillère d’orientation du Département de géographie, déplore le manque de compost dans le pavillon Burnside, qui accueille pourtant des étudiant·e·s en programme de Développement durable, sciences et société. « On est une institution qui fait de la recherche de haut niveau sur ces enjeux-là, c’est frustrant de ne pas pouvoir pratiquer ce que l’on prêche. » Le Dr Grant Clark ajoute que face à une poubelle à deux flux (général et recyclage, sans compost), il est préférable de jeter les ustensiles « compostables » dans le bac général, car ils ne sont pas faits de matériaux recyclables. « S’ils sont mis dans la poubelle de recyclage, ils seront simplement triés à nouveau, ou ils contamineront le matériau recyclable et diminueront sa qualité globale ou conduiront à son rejet ».
Michelle Maillet ne se sentirait pas légitime de promouvoir son programme en Développement durable, sciences et société sans participer à son échelle à une transition vers le zéro déchet. Faute de poubelles compost dans le pavillon Burnside, elle a elle même créé et imprimé des affiches pour renseigner sur les endroits où trouver les bennes de compost sur le campus.
Lors de l’événement d’orientation de son département, elle a dû également elle-même repasser derrière le tri des déchets mené par les étudiant·e·s. « On a été certifié événement durable par le bureau de développement durable de McGill, on m’a donné des bacs de compost, mais les déchets étaient mélangés dans chaque bac », raconte ‑t-elle. Cela soulève une autre problématique : celle du manque d’éducation et de renseignements immédiatement disponibles proche des flux de tri.
Enjeux d’une communauté étudiante diversifiée
« Encourager des milliers d’étudiant·e·s, de professeur·e·s et de membres du personnel très occupé·e·s à réduire et à trier de manière réfléchie leurs déchets quotidiens sur le campus est un véritable défi » confie Shona Watt. Le site de McGill offre une base de connaissance sur le gaspillage qui permet d’apprendre les pratiques de séparation des déchets, et de mettre à l’épreuve ses capacités avec un test. On peut facilement se rendre compte, par nos propres erreurs, qu’il y a encore un fossé dans les connaissances. « Personne ne va sur le site web de McGill chaque fois qu’il a besoin de jeter quelque chose à la poubelle » soulève Michelle Maillet. McGill offre pourtant de nombreuses ressources d’apprentissage et de renseignement sur ses pratiques de tri de déchets. Shona Watt mentionne le module étudiant de durabilité, un cours qui « inclut une étude de cas sur les déchets et une activité sur comment faire des choix réfléchis sur le rejet de ses déchets ». Ce module permet d’avoir des crédits extra-curriculum, qui peuvent être mis en avant sur le CV. Shona Watt mentionne également les ressources médiatiques mises en place par le Bureau de développement durable de McGill, dont l’application Ça va Où et le compte Instagram @sustainmcgill, qui publie dans ses stories à la une des conseils pour trier les différentes composantes des tasses de bubble tea, de café, de contenants de repas à emporter ou encore d’agrafes dans le papier.
« Il y a des fonds qui sont disponibles pour faire bouger les choses, notamment le FPD qui pourrait financer des affiches plus claires au-dessus des poubelles »
Michelle Maillet, conseillère d’orientation du Département de géographie
Une communauté aussi diversifiée que celle de McGill peut également devenir un enjeu à la participation active de tous. « Les gens à McGill sont originaires de pleins d’endroits et de cultures dans le monde, et ne savent pas nécessairement comment trier à Montréal », rappelle Michelle Maillet. « Il y a beaucoup de monde à McGill : est-ce que tout le monde se soucie des enjeux du zéro déchet, ou plus largement, de la durabilité ? » questionne le Dr Grant Clark. « L’éducation est une grande partie de la solution, et la mise en application de règles aussi. McGill devra dépenser beaucoup de temps et d’argent pour motiver l’ensemble de sa communauté, investir dans ses établissements et poser des instructions claires. » Le professeur mentionne un des problèmes qui peut survenir lorsqu’on essaye de changer les habitudes de vie d’une communauté aussi large : « Des villes ont déjà mis en place des amendes aux ménages qui ne respectent pas les tris de poubelles. Comment savoir à McGill qui a fait quoi ? » Il mentionne aussi qu’il serait idéal mais bien futuriste de reposer sur une technologie qui ouvre les poubelles en fonction du déchet scanné.
Des solutions pour s’engager
Michelle Maillet rappelle que le Fonds des projets durables (FPD) est accessible et disponible pour que les étudiant·e·s entreprennent des projets pour le campus, là où ils sentent qu’il manque d’alignement avec les objectifs de durabilité. « Il y a des fonds qui sont disponibles pour faire bouger les choses, notamment le FPD qui pourrait financer des affiches plus claires au-dessus des poubelles. », dit-elle. Le Fonds des projets de durabilité est un des plus grands fonds de son genre au Canada, estimé à un million de dollars. Financé au moyen de 55 cents par crédit par étudiant·e, il a permis le développement du projet Zéro Déchet 2035 dans les salles à manger de résidences à hauteur de 100 000$, transformant leurs formules pour des buffets « à volonté » et le nouveau projet de 400 000$ de gestion des déchets de laboratoires. Le Dr Clark mentionne également qu’il est impératif d’uniformiser le type de matériaux des emballages distribués. « On devrait regarder en amont dans la chaîne de consommation et changer les produits utilisés. Si tous les contenants et ustensiles étaient compostables, il y aurait moins d’erreurs au moment du tri ! » s’engoue-t-il.
Une enquête difficile à mener
Un des objectifs du plan d’action 2020–2025 de la neutralité carbone 2040 est de renseigner la communauté et son gouvernement sur les pratiques responsables. Cependant, l’Université manque parfois de transparence sur les problèmes liés au développement de ses stratégies. Lors de son enquête sur la réalisation des objectifs de chacune des unités responsables, Le Délit s’est fait redirigé à de nombreuses reprises. Le Département des bâtiments et terrains, responsable de la collecte des déchets, ainsi que le Service de logement étudiant et hôtellerie n’ont pas voulu se prononcer autrement que par le biais du Bureau du développement durable – et ce dernier a rassemblé des informations disponibles sur le site. Aucune réponse n’a été apportée à la question de comment les erreurs de contamination sont gérées par le Département des bâtiments et terrains.
L’Université est avant tout un espace où chacun·e peut trouver sa place pour essayer de construire son monde idéal, pour ensuite le traduire dans ses gestes du quotidien. Instaurer ces bonnes habitudes sur des jeunes adultes entraînera leur conscientisation pour la vie et « forgera » des acteurs qui dirigeront entreprises et municipalités. La mise en oeuvre de l’objectif zéro déchet peut être améliorée, notamment avec des affiches plus claires sur toutes les stations de poubelles et des modules obligatoires de test des connaissances sur le tri. Le Dr Clarke salue néanmoins les initiatives : « Bien qu’ils ne seront probablement pas respectés, les objectifs de 2035 ne sont pas inutiles. C’est important de se les fixer pour commencer quelque part ». Cela n’empêche pas l’Université de devoir montrer plus de transparence à sa communauté quant aux lacunes de ses avancements, et à la façon dont ses déchets sont triés au quotidien.