En matière de politique américaine, les consensus se sont fait rares au cours des deux dernières décennies. En effet, depuis le début des années 2000, la société américaine s’est fortement polarisée. De plus, n’importe qui s’intéressant un tant soit peu à ce qui se passe chez nos voisins du sud vous dira que cet été a été long, rempli de surprises et de rebondissements. Cette période aura certainement été insoutenable pour nos pauvres nerfs. En quatre mois seulement, on a été témoin des spéculations entourant Biden et de son pénible déclin, qui a culminé lors de sa désastreuse prestation au débat présidentiel. On a aussi connu deux tentatives d’assassinat contre Trump et l’avènement de la messe républicaine qui voyait déjà son candidat à la Maison-Blanche. Dans le camp démocrate, c’est l’abandon à a course présidentielle de Biden, la formation de l’unité démocrate autour de Kamala Harris et enfin l’espoir qui s’est établi lors de la convention démocrate. Bref, on en a vu beaucoup. Beaucoup à analyser, beaucoup à traiter, beaucoup à démystifier.
Une année électorale rocambolesque
Comme on le dit trop souvent, nous vivons des moments historiques sans précédent. Jamais auparavant un président en fonction n’avait décidé de se désister si tard dans le processus électoral. Jamais auparavant un délinquant criminel, maintes fois poursuivi en justice, n’avait obtenu la nomination de son parti. Jamais auparavant une femme de couleur n’avait été sélectionnée par la base partisane pour représenter son parti. Jamais une élection américaine s’est annoncée être si serrée.
Comme beaucoup, toutes ces nouvelles variables inconnues dans l’équation des présidentielles américaines m’ont fait peur. J’ai passé plus d’heures que j’aimerais admettre sur X à regarder les sondages, à analyser les mille et unes façon dont Harris pourrait atteindre le chiffre magique de 270 grands électeurs (le nombre requis pour gagner la présidence) le 5 novembre prochain et à écouter les rallyes des deux candidats. Pour moi, toute bribe d’information, tous les détails étaient importants et devaient être analysés. Ils me permettaient de prendre le pouls du peuple américain, de voir dans quelle direction on s’en allait. Pourtant, quand j’y pense, c’est futile. Je ne suis pas Américain. Je ne pourrai pas voter. Je ne pourrai pas faire de dons à la campagne démocrate.
Comme beaucoup des lecteurs du Délit, la seule chose que je puisse faire, c’est prendre une grande inspiration et attendre. Attendre. Par contre, la seule idée de revoir Trump à la tête de l’appareil américain me rend malade et je ne peux m’y résoudre. Et là, quelque chose de concret est arrivé ; le débat du 10 septembre. On y a découvert une nouvelle dynamique, une nouvelle candidate ; bref, une toute nouvelle campagne. On rebrasse les cartes et on recommence à zéro.
« Jamais auparavant un délinquant criminel, maintes fois poursuivi en justice, n’avait obtenu la nomination de son parti. Jamais auparavant une femme de couleur n’avait été sélectionnée par la base partisane pour représenter les couleurs du parti. Jamais une élection américaine s’est annoncée être si serrée »
Un débat réconfortant
J’ai écouté le débat avec mes deux meilleures amies à la soirée organisée par Democrats at McGill. J’avais le cœur serré et j’étais dans l’appréhension la plus totale. Un verre à la main, puis deux, pour calmer mon esprit, j’ai tout regardé. Le laid comme le plus beau. Après 90 longues minutes, pour la première fois depuis le début de l’été, j’ai soufflé. J’ai soufflé parce que Harris a été formidable et Trump, lui, a été pitoyable.
Bon, bon, bon… Je vous vois venir, me dire que je suis un maudit vendu, que je dirais n’importe quoi qui est dans le meilleur intérêt de Harris…Et moi je vous répondrais que ce que j’affirme ici, je tente de le dire au-delà de mon biais définitivement pro-démocrate. Je le dis parce que je tente de me mettre dans la peau d’un républicain et tout ce que je vois, c’est que Trump est mal paru. Ce n’est un secret pour personne, nous avons des attentes différentes pour les deux candidats. Pour Harris, on s’attend à ce qu’elle soit forte, qu’elle soit préparée, qu’elle soit intelligente, mais pas trop (elle ne doit pas faire comme Hillary Clinton), qu’elle soit souriante et qu’elle articule ses idées autour de projets rassembleurs pour faire avancer la démocratie américaine. Pour Trump, on veut qu’il soit un homme fort, on veut qu’il dise des petites folleries qui nous feront rire, qu’il dénonce le statu quo, qu’il nous fasse sortir du « vieux » modèle politique.
« Après 90 longues minutes, pour la première fois depuis le début de l’été, j’ai soufflé. J’ai soufflé parce que Harris a été formidable et Trump, lui, a été pitoyable »
Donc, quand on y pense, toute la pression était sur les épaules de la vice-présidente. Elle qui est moins connue que son adversaire devait prouver beaucoup plus à l’électorat que Trump. Dans cet esprit, on comprend que Harris a réussi à faire ce qu’elle avait à faire : elle est arrivée sur la scène en possession de ses moyens, lumineuse, ferme et préparée. Trump, lui, paraissait vieux, aigri et faible. Mais surtout, il n’a pas offert un spectacle drôle et original comme sa base en attendait de lui. Non, il était simplement ennuyeux et revanchard. Je pourrais vous dire toutes les choses folles qu’il s’est permis de dire, mais je m’y refuse. Je refuse de faire le messager, de continuer à lui donner de l’attention. Tout ce que je veux retenir de ce débat c’est que j’ai soufflé. Pas pour longtemps, juste un petit souffle ; mais tout de même un souffle de soulagement, d’encouragement pour ce qu’il y à venir.
En somme, le 5 novembre demeure encore loin aujourd’hui. Beaucoup de choses risquent de se passer d’ici là. Comme cet été nous l’aura appris, rien ne peut être tenu pour acquis. Si Harris veut gagner les clés de la Maison Blanche, elle devra travailler fort, elle devra bûcher, aller là où les démocrates ne sont pas allés depuis longtemps, visiter les sept états pivots (Caroline du Nord, Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin, Géorgie, Arizona et le Névada), montrer sa vision et serrer le plus de mains possible pour former la plus grande coalition possible. Trump, lui, s’il veut gagner, il devrait se taire un peu et se concentrer sur les faiblesses démocrates comme la frontière sud et l’économie chancelante, héritage de Biden, mais je crains pour lui que ce ne soit pas dans sa nature. Bien que je ne connaisse pas l’issue du 5 novembre, je me permets d’être résilient et quelque peu optimiste pour les chances de Kamala Harris. Elle n’est ni parfaite, ni ma politicienne favorite, mais elle n’est pas Donald Trump. Pour moi, c’est tout ce qui me faut. Juste assez pour souffler.