La semaine dernière, ma mère m’a forcée à faire un grand ménage de mon placard, me poussant à trier les vêtements que j’ai accumulés depuis déjà plusieurs années, mais dont j’avais refusé de me départir. J’ai fait trois piles : les « je garde absolument, je ne pourrais jamais les donner », les « bof, je sais pas trop », et les « ça, personne, pas même la personne la moins stylée sur Terre, ne voudrait le mettre ». Après quelques heures de tri, j’ai fini par constater que la vaste majorité de mes vêtements se retrouvaient inévitablement dans la pile « à garder » , et que la pile de dons demeurait obstinément assez modeste. Je me suis alors demandée si je n’étais pas, comme ma grande-tante l’avait été avant moi, une hoarder (syllogomaniaque).
« Ces objets, bien qu’ils aient pu avoir une place chère à notre cœur, évoquent aujourd’hui une signification émotionnelle disproportionnée, et les abandonner devient alors bien plus difficile que prévu »
Selon le dictionnaire Cambridge, un·e hoarder est « une personne qui souffre d’un trouble mental les menant à vouloir conserver un grand nombre d’objets qui ne sont pas nécessaires ou qui n’ont pas de valeur (tdlr) ». Traditionnellement associé aux personnes âgées, le terme hoarder est généralement péjoratif et sous-entend une tendance à l’excès, une dégénération, souvent caractérisée par une perte de contrôle totale de ses moyens face à l’accumulation impressionnante d’objets. Or, ce tri de ma garde-robe m’a fait comprendre que le hoarding n’est pas un phénomène réservé aux personnes âgées. Bien que ce soit à une échelle différente dans mon cas, j’en étais victime. Je crois d’ailleurs qu’il est beaucoup plus répandu chez les jeunes adultes qu’on ne le pense, en particulier chez celles et ceux de notre âge. Nous accumulons aussi, mais notre hoarding revêt une forme différente de celui qu’on associe aux personnes âgées vivant recluses avec pour seule compagnie leur panoplie d’objets inutiles. À notre niveau, ce sont souvent des objets de moindre valeur matérielle, auxquels on accorde toutefois une grande valeur émotionnelle. Pour moi, ce sont ces vêtements que je ne porte jamais, mais dont je n’arrive pas à me départir, parce que je les associe à des souvenirs ou à des moments marquants de ma vie, alors que pour d’autres, ce pourrait être la robe portée à leur graduation, le fameux t‑shirt Frosh, ou ce collier offert par un·e ex-partenaire. Ces objets, bien qu’ils aient pu avoir une place chère à notre cœur, évoquent aujourd’hui une signification émotionnelle disproportionnée, et les abandonner devient alors bien plus difficile que prévu.
Le hoarding émotionnel chez les jeunes adultes
Le hoarding chez les jeunes adultes, en particulier chez les étudiant·e·s, peut être alimenté par plusieurs facteurs, notamment le stress, la peur du changement, ou encore le désir d’occuper un espace qui leur est propre. L’université représente souvent un moment de transition, qui implique de nombreux départs, changements de vie et expériences qui forgent l’identité. Ainsi, les objets personnels, que ce soit des bibelots ou des vêtements, peuvent devenir des ancres, des repères émotionnels dans un monde en constante évolution. L’attachement à ces objets est souvent un moyen de préserver un lien avec des moments passés ou des relations anciennes.
Cette accumulation n’est pas forcément considérée comme problématique tant qu’elle ne dépasse pas des proportions excessives. On pourrait dire que beaucoup de jeunes adultes sont des « hoarders en devenir » : leur collection d’objets émotionnels augmentant discrètement avec le temps. Dans mon cas, c’est la quantité de vêtements que je possédais qui avait atteint une ampleur démesurée, et il a fallu que ma mère m’accule au pied du mur pour que je prenne conscience de l’état de mon placard.
Les applications de revente
Heureusement, l’ère numérique nous donne accès à des plateformes comme Depop, Vinted, ou Facebook Marketplace qui permettent à la fois de vendre et d’acheter des articles de seconde main. Mais, ces plateformes offrent-elles un soulagement pour les hoarders, leur permettant de se départir de leurs biens, ou sont-elles plutôt des outils faciliant leurs tendances pernicieuses ? Ces applications offrent une nouvelle perspective sur le processus de désencombrement : plutôt que de jeter ou donner, on peut vendre ses biens, leur permettant ainsi de circuler et d’avoir une seconde vie chez autrui, qui saura, on l’espère, les apprécier à leur juste valeur.
Cependant, ces plateformes ne permettent pas seulement de désencombrer ses placards, mais aussi de les renflouer. En effet, elles favorisent l’achat à bas prix, ce qui introduit une dynamique hautement contradictoire. Bien qu’elles offrent un moyen pratique de se débarrasser de vêtements, elles facilitent aussi l’accumulation en rendant l’achat de nouveaux articles presque aussi – voire plus – simple que la vente. Beaucoup de jeunes comme moi, en particulier dans un contexte universitaire où l’on doit jongler avec un budget serré, se voient tenté·e·s d’acheter à moindre coût. Cela crée un cycle où les placards se vident d’un côté, mais se remplissent de l’autre, sans qu’on ait réellement réduit la quantité d’objets possédés. Dans certains cas, se débarrasser de certains objets offre même le prétexte idéal pour racheter, menant à une accumulation perpétuelle.
« L’université représente souvent un moment de transition, qui implique de nombreux départs, changements de vie et expériences qui forgent l’identité. Ainsi, les objets personnels, que ce soit des bibelots ou des vêtements, peuvent devenir des ancres, des repères émotionnels dans un monde en constante évolution »
Ainsi, ces plateformes se situent à la croisée des chemins : elles peuvent être vues comme des outils pour réduire l’encombrement et la consommation excessive, mais elles peuvent tout aussi bien alimenter de nouvelles formes d’accumulation. À mon avis, la population universitaire est malheureusement victime de la facilité d’utilisation et des prix alléchants que ces plateformes offrent. Cela souligne à quel point le rapport aux objets dans la vingtaine est complexe : la tentation d’acheter reste toujours présente, même au milieu d’une démarche de désencombrement.
En somme, le hoarding dans la vingtaine est un phénomène souvent ignoré, mais, comme j’en témoigne, bien réel, particulièrement dans le milieu universitaire. Bien qu’il soit généralement perçu comme un problème affectant les personnes plus âgées, il est aussi important de souligner sa place chez les jeunes adultes. Les plateformes de revente comme Depop et Vinted offrent des solutions modernes à ce dilemme, permettant aux jeunes adultes de désencombrer sans se heurter à la difficulté émotionnelle de se débarrasser de leurs objets précieux. Dans ce processus de lâcher-prise souvent difficile à affronter, il est important de se rappeler que même si l’on peut ressentir un certain vide dans l’instant, les objets que l’on abandonne trouveront une nouvelle vie entre les mains d’un·e prochain·e, qui saura tout autant les apprécier.