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La femme qui refuse

Le TNM nous fait connaître la vie de Suzanne Meloche.

Stu Doré | Le Délit

La Femme qui fuit marquait la première pièce présentée au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) sous son sixième directorat. Après plus de 30 ans à la direction de l’une des institutions théâtrales les plus respectées en Amérique du Nord, Lorraine Pintal a cédé sa place à la relève en début septembre en nous offrant en héritage trois derniers spectacles auxquels elle aura ajouté un peu de sa magie (La femme qui fuit, Je t’écris au milieu d’un bel orage, Kukum). Le premier de ces derniers reprend le succès littéraire éponyme d’Anaïs Barbeau-Lavalette, paru en 2015, et s’annonce être une oeuvre profondément féminine avec l’adaptation théâtrale sous la plume de Sarah Berthiaume et une mise en scène d’Alexia Bürger.

Le récit d’Anaïs Barbeau-Lavalette est à la fois un travail de recherche et d’imagination qui romance la vie de sa grand-mère, Suzanne Meloche, faute de l’avoir connue. Sarah Berthiaume et Alexia Bürger affrontent ici un défi de taille en faisant l’adaptation théâtrale d’un tel roman, dont l’essence est évanescente, sur laquelle on ne peut mettre la main ; qui fuit. S’ajoute à ce défi la pression de mettre en scène une histoire dont la popularité est encore actuelle : le public a l’image de Suzanne telle qu’évoquée par le roman encore présente dans son esprit. C’est donc par une adaptation très proche du texte original — qu’une grande partie des répliques reprennent mot pour mot — que Sarah Berthiaume approche la reprise théâtrale.

La narration à la deuxième personne s’adapte merveilleusement au théâtre, et l’habileté avec laquelle la voix de la narratrice, interprétée par Catherine de Léan, se fond dans le récit, tient autant de la diction de la comédienne que du choix de l’agencement des répliques. 

De son côté, Alexia Bürger vient chercher la dualité fuite/recherche par une mise en scène qui surplombe le spectateur : d’énormes marches s’élèvent à partir de la scène en s’éloignant du public, l’appelant à poursuivre celle qui se trouve au sommet. De plus, la distance et la séparation entre ce que nous apercevons de Suzanne et qui elle est réellement se veut explicité par un immense cadre que la narratrice chevauche : c’est par sa lentille seule qu’il nous est permis de découvrir celle qui fuit. Outre cet escalier colossal, le décor simple n’est rehaussé que par des changements de lumière, laissant le récit être porté par les 18 acteurs qui, en toute harmonie, s’échangent autant la parole que le rôle de Suzanne. Cette simplicité des décors est parfois au détriment de la pièce, alors que les acteurs ont recours à des caricatures pour rappeler au public leur personnage. Parfois inutile, comme dans le cas de Paul-Émile Borduas, et d’autres fois une banalisation excessive qui relève du kitsch, comme pour l’archevêque ; ces raccourcis minent les personnages et les tableaux dont ils font part en les rejetant comme des farces tandis qu’ils sont formateurs. La vigueur du jeu d’acteur sur lequel repose donc l’histoire surcompense et le public devient quasiment intime avec Suzanne : ce n’est plus la femme qui fuit, mais bien la femme qui refuse. Proche de Suzanne, le spectateur n’a plus l’impression d’être à la poursuite de la poète, mais bien d’être à ses côtés, de l’accompagner. Son abandon de François et de Mousse n’est plus une fuite pour la liberté, mais un refus d’en prendre soin ; ses départs pour l’Europe ou l’Amérique non plus des échappatoires de chagrin, mais bien des refus de le confronter. Cette femme que l’on cherche tout au long du roman d’Anaïs Barbeau-Lavalette n’est plus lointaine, ni effacée, ni même en fugue par rapport à l’auditoire. Elle est là, sous nos yeux, et nous l’accompagnons dans sa fuite.

L’adaptation théâtrale de La Femme qui fuit du Théâtre du Nouveau Monde échoue à nous faire ressentir la fugacité propre de l’oeuvre littéraire, mais ce n’était peut-être pas son objectif. Par cette représentation, le public a l’impression de mieux connaître Suzanne, d’être plus près d’elle qu’à travers la lecture du roman. Qu’en penser alors ? Si vous voulez savoir qui était Suzanne Meloche, allez voir la pièce. Si vous voulez savoir qui était la femme qui fuit, lisez le roman.

La Femme qui fuit est présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 13 octobre 2024. Pour plus de renseignements, consultez le site internet du TNM.


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