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L’évolution du conflit Israël-Hezbollah

Une surenchère de violence inarrêtable.

Titouan Paux | Le Délit

Depuis l’attaque aux bipeurs et talkies-walkies de la semaine dernière, l’armée israélienne a intensifié ses frappes de missiles, désormais quotidiennes, sur le territoire libanais. L’escalade du conflit a nécessité l’intervention plus affirmée de puissances étrangères comme l’Iran. Pour rappel, le mardi 17 et mercredi 18 septembre, des centaines d’appareils de communication appartenant à des membres du Hezbollah ont simultanément explosé. À Montréal, des manifestations ont été organisées mercredi et samedi en soutien aux populations palestinienne et libanaise.

Une escalade meurtrière

L’armée israélienne revendique l’explosion des bipeurs, et les offensives ont depuis redoublé d’intensité entre Israël et le Hezbollah. Un cap inédit a été atteint ce lundi 23 septembre, avec des bombardements faisant plus de 500 morts et 1 835 blessés sur le territoire libanais. Depuis le début du conflit, le 7 octobre 2023, cet épisode est le plus meurtrier parmi les affrontements impliquant le Liban. Autant de frappes de part et d’autre de la frontière israélo-libanaise n’avaient pas été observées depuis la guerre de 2006. Le conflit qui opposait Israël et le Hezbollah il y a maintenant 18 ans avait été déclenché par un raid transfrontalier du Hezbollah sur le territoire israélien et avait duré près de 30 jours, entraînant la mort d’environ 1 600 libanais. Le Hezbollah n’avait à l’époque pas été sanctionné, malgré l’intervention de la communauté internationale, menée par les États-Unis.

« Nous avons déjà affaire à deux guerres, une à Gaza et une au Liban. Mais ce à quoi les gens font généralement référence, c’est au conflit direct entre l’Iran et Israël. Les Iraniens ne le souhaitent pas, mais si le Hezbollah se porte très mal, il y aura une pression d’agir pour l’Iran »
- Rex Brynen, professeur de sciences politiques à McGill, expert du Moyen-Orient

Une obligation de désarmement du groupe islamiste à l’époque aurait-elle fait la différence aujourd’hui ? Pour répondre à cette question, j’ai interviewé Rex Brynen, professeur à McGill et spécialiste en politique du Moyen- Orient : « Sans le Hezbollah aujourd’hui, le Liban serait dans une situation très différente. Il est évident que le Hezbollah a été appelé à se désarmer, mais il n’y avait aucune perspective réaliste de désarmement du Hezbollah en 2006 compte tenu de sa position : c’était la seule milice armée au Liban, plus puissante que l’État libanais. (tdlr) »

Des explications ambiguës

Israël justifie l’opération de lundi par la détection d’une attaque planifiée par le Hezbollah sur son territoire. L’État affirme aussi que les tirs ne visaient que des cibles du Hezbollah, déclaration nuancée par l’organisation islamiste libanaise qui soutient que la plupart des victimes étaient des personnes non-armées qui se trouvaient dans leurs maisons. Mais quelles sont alors les réels objectifs d’Israël derrière cette escalade de conflits ? « Il est important de comprendre qu’Israël n’est pas un acteur unifié et que différentes parties du gouvernement israélien agissent avec des objectifs variés », explique Brynen. « L’argument avancé publiquement par Israël est lié aux attaques du Hezbollah dans le Nord d’Israël, jugées inacceptables au vu du nombre de personnes forcées de quitter leurs maisons, situation qu’ils comptent renverser en faisant monter la pression. Concernant l’argument spécifiquement lié aux attaques des bipeurs et talkies-walkies, il est rapporté que le Hezbollah était sur le point de découvrir qu’ils étaient piégés et qu’Israël a estimé qu’il devait faire un choix entre les déclencher ou les perdre. Enfin, une interprétation avancée pourrait être le souhait d’Israël de lancer une attaque terrestre. Mais ce qui est intéressant parmi toutes les explications possibles, c’est qu’elles renforcent la popularité de Netanyahou, qui est passé d’une position très impopulaire auprès du peuple israélien, à un regain de popularité politique en Israël. » En effet, le Hezbollah est considéré comme ennemi d’Israël depuis la fin de l’occupation israélienne du Sud-Liban en 2000, et malgré les accusations de corruption qui pèsent sur lui, le premier ministre a su user de sa position dite patriarcale face aux menaces extérieures afin de regagner la confiance du peuple israélien.

Entre fuite et contre-attaque

Selon l’ONU, environ 90 000 citoyens Libanais ont pris la fuite, cherchant notamment refuge dans le reste du Liban et en Syrie. Les écoles ont prolongé leur fermeture au Sud-Liban, zone particulièrement visée depuis le début de la semaine, et jugée trop dangereuse en raison des nombreux bombardements récents dans la région. Selon Brynen, la position des Libanais vis-à-vis du Hezbollah n’est pas uniforme : « Dans les sondages d’opinion précédant l’escalade la plus récente, le Hezbollah bénéficiait d’un fort soutien au sein de la communauté chiite, ce qui n’est pas surprenant, tandis que le soutien était très faible dans les communautés sunnites et chrétiennes. À la suite de ces attaques, je soupçonne que de nombreux Libanais sont très mécontents du Hezbollah et du début d’une guerre avec Israël. Certains Libanais pensent au contraire qu’il est important de soutenir les Palestiniens, tandis que d’autres pensent qu’Israël aurait attaqué dans tous les cas. »

Les altercations n’ont pas cessé dans la semaine, avec une riposte du Hezbollah mardi dernier, marquée par l’utilisation de 80 roquettes tournées vers l’une des bases militaires israéliennes située dans le Nord, près de Safed, ainsi que des tirs balistiques visant le service de renseignements extérieurs israéliens ce mercredi 25 septembre. Plus d’une centaine de drones militaires ont également été envoyés sur Israël ce jeudi.

L’échec d’un apaisement

L’ONU a demandé une suspension des conflits ce mercredi, pour une durée de 21 jours, proposition qui a déjà été rejetée par le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Brynen partage ses impressions concernant la proposition des Nations Unies : « Aucun des acteurs engagés dans le conflit ne souhaite un cessez-le-feu, puisque dans les deux cas, cela va à l’encontre de leurs objectifs politiques. Concernant le Hezbollah, l’organisation ne cesse depuis le 7 octobre de tirer des projectiles à travers les frontières en soutien au Hamas. Peut-être que cette démarche de médiation était une tentative pour faire bonne figure ou bien établir un cessez-le-feu à Gaza, mais cela fait des mois que les Nations Unies y travaillent sans aucun progrès, alors pourquoi penser que ce serait différent maintenant ? »

Israël déclare par ailleurs que l’armée continuera de frapper le Hezbollah, dans un objectif de renversement des rapports de force au nord d’Israël. Cette déclaration survient alors que le Hezbollah traverse une des situations les plus critiques depuis sa création en 1982. De plus, des informations récentes rapportent que le commandant du Tsahal (acronyme hébraïque signifiant Armée de défense d’Israël) prépare ses troupes à une offensive sur le sol libanais, alors que l’ambassadeur israélien à l’ONU nie toute possibilité d’invasion. Faudrait-il alors s’inquiéter d’un changement de position soudain, qui pourrait étendre le conflit et le transformer en guerre totale ? « Nous avons déjà affaire à deux guerres, une à Gaza et une au Liban. Mais ce à quoi les gens font généralement référence, c’est au conflit direct entre l’Iran et Israël. Les Iraniens ne le souhaitent pas, mais si le Hezbollah se porte très mal, il y aura une pression d’agir pour l’Iran. Une telle guerre se caractériserait par des tirs de roquettes à des centaines et des centaines de kilomètres de distance, puisque les deux États ne sont pas voisins, mais cela s’est déjà produit dans le passé. La situation pourrait donc certainement s’aggraver et, bien entendu, les choses deviendraient beaucoup plus intenses au Liban si Israël lançait une opération terrestre », affirme Brynen.

Malgré sa position jugée critique par les Nations Unies, le Hezbollah a promis de continuer les attaques vers Israël jusqu’à la libération de Gaza, engagement renforcé par la mort du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah à la suite d’une frappe israélienne ce samedi : « Le Hezbollah a subi des coups durs, notamment l’attaque des bipeurs et walkie-talkie qui a été assez humiliante pour une organisation qui s’enorgueillit de sa sécurité opérationnelle. Ils veulent vraiment montrer leur résilience et ne vont donc absolument pas reculer », conclut Brynen.

Les prochains jours s’annoncent décisifs en ce qui concerne la tournure des événements, bien que difficiles à prédire en raison des revirements de décisions, comme l’annonce de Netanyahou à prendre part aux discussions sur le cessez-le-feu, ce vendredi 27 septembre, après avoir refusé la proposition la veille.

Cet article a été mis en page le 30 septembre. Compte tenu de la situation, les faits qui y sont relatés sont susceptibles d’évoluer.


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