Aller au contenu

Ôde à la créativité en milieu académique

Rencontre avec le Building 21, incubateur d’idées créatives.

Margaux Thomas | Le Délit

Parfois nos idées nous paraissent « trop ». Trop grandes. Trop abstraites. Trop étranges. Elles ne rentrent pas dans les normes universitaires. Et face aux défis qui nous attendent, nous devons justement apprendre à nous défaire de ces cadres. Alors, en 2017, le professeur Ollivier Dyens a mis en place une initiative : il codirige avec Anita Palmar le Building 21. Cette organisation extérieure à McGill offre un cadre à tous ces étudiants désireux de s’impliquer dans la communauté et prêts à partager un projet personnel qu’ils souhaiteraient pouvoir réaliser. Son but ? Donner aux étudiants les clés pour sortir des sentiers battus, de manière à « enrichir notre parcours intellectuel », comme le souligne le codirecteur. Ce dernier m’a en effet confié s’être penché sur les questions suivantes : l’université est-elle assez créative pour le siècle qui nous attend ? Pour ceux encore à venir ? L’éducation permettra-t-elle d’obtenir des outils de résolution efficaces face aux problèmes qui nous attendent ? Sa réponse fut sans appel : non. 

Des idées inspirées par Google et MIT 

Ollivier Dyens s’est inspiré de deux modèles américains. D’une part, Google X, un laboratoire créatif de la multinationale, qui concrétise des idées ambitieuses et invraisemblables en projets technologiques réalisables. D’autre part, Building Twenty-One, au Massachussets Institute of Technology (MIT), fait office d’incubateur d’idées dont est sorti pas moins de neuf prix Nobel. Ainsi, Ollivier Dyens a fondé le Building 21, situé au 651 Sherbrooke Ouest, un bâtiment souvent méconnu de la communauté étudiante, qui offre pourtant des ressources créatives, de partage et d’imagination collective. Ce bâtiment à la porte verte accueille de nouveau les étudiants, après avoir été momentanément fermé lors des vacances d’été.

« Cette organisation extérieure à McGill offre un cadre à tous ces étudiants désireux de s’impliquer dans la communauté et prêts à partager un projet personnel qu’ils souhaiteraient pouvoir réaliser »

Pluridisciplinarité et humilité 

Le Building 21 accueille cette semaine sa première lighting session : un cercle de discussion au cours duquel chacun des étudiants présents parle de son projet ; on peut penser par exemple au projet de Rebecah Kaplun et de sa recherche sur ce qu’est la sagesse. Ils conversent pendant deux heures sur leurs idées, leurs doutes et leurs réussites. Ils partagent leur point de vue sur les projets des autres et reçoivent des pistes de réflexion sur le leur, qu’il soit artistique, axé sur la science, la sociologie, la phénoménologie ou encore pluridisciplinaire. Deux étudiants ont par exemple centré leur recherche sur la formule mathématique du sublime. 

Le professeur Dyens explique que nous sommes façonnés par notre éducation, on pense comme on a été formé à « penser ». Il peut nous arriver de manquer d’opportunités nouvelles d’exploration, comme les études académiques peuvent porter les étudiants à une réflexion scientifique uniforme. Le Building 21 aspire à ne pas laisser les étudiants manquer de pistes jusqu’alors inexplorées et invisibles. Ainsi, outre les lighting sessions, le Building 21 propose de nombreux ateliers tel que le catlab, mêlant poterie et art numérique. Selon le codirecteur, la pluridisciplinarité et le partage enseignent l’humilité. En effet, les étudiants sont constamment en contact avec des personnes aux compétences et connaissances variées. De ce fait, il y existe toujours quelqu’un « plus » informé qu’eux, de plus compétent concernant un domaine particulier. L’humilité se trouve alors dans l’acte d’avouer que l’on est ignorant sur tel ou tel sujet, d’oser demander, d’oser se tromper. 

Building 21 s’axe également sur « l’exploration libre des idées », notamment à travers un atelier qui se tient ce lundi 30 octobre intitulé : « discussion sur des sujets inhabituels ». Chaque idée mérite d’être réfléchie, chaque question mérite d’être posée et débattue. Par exemple : la sirène est-elle un mammifère ou un poisson ? Malgré l’apparente étrangeté de cette question, elle nous amène à réfléchir quant à notre perception du monde et la façon dont nous le catégorisons. 

« Les étudiants partagent leur point de vue sur les projets des autres et reçoivent des pistes de réflexion sur le leur, qu’il soit artistique, axé sur la science, la sociologie, la phénoménologie ou pluridisciplinaire »

Ancrer son imaginaire dans des rencontres

Le Building 21 offre des moments de rencontres avec des invités de tous les horizons, dont la politique, avec notamment une rencontre avec le délégué général du Québec, qui y a expliqué comment faire son entrée en diplomatie. Un des seuls résultats escomptés au Building 21 est un changement d’état d’esprit, de façon de penser. Dans ce lieu où les notes et l’obligation de fournir des résultats concrets et tangibles sont abolies, la seule attente véritable est l’apprentissage : l’apprentissage de soi-même, d’autrui, du monde qui nous entoure et du monde tel qu’il pourrait être. 

Collectifs étudiants : collaboration et engagement

Des collectifs étudiants sont également présents au Building 21 et tendent à s’y impliquer davantage. C’est notamment le cas de la Collation, le collectif de poésie francophone de McGill. Il est important de souligner que les membres des collectifs étudiants doivent s’impliquer dans la communauté du Building 21. C’est-à-dire participer à des lighting sessions une fois par semaine, entre autres. Un exemple de collaboration créative réalisée au Building 21 a été la traduction musicale et numérique d’un poème écrit dans le cadre d’un atelier de la Collation. Comme me l’indique André, coordinateur de la Collation, le Building 21 permet d’appuyer les collectifs à qui l’Université offre moins de soutien, en leur offrant de nouvelles opportunités, ainsi que la création d’un véritable réseau.

Bourses et soutien

Afin d’encourager les étudiants, le Building 21 a mis en place en 2018 la bourse BLUE (Beautiful Limitless Unconstrained Exploration, Belle Exploration Illimitée et Sans contraintes, tdlr). À hauteur de 3 000 dollars canadiens, elle est accordée aux étudiants montrant un fort engagement dans la communauté afin qu’ils puissent aller jusqu’au bout de leur processus de réflexion et de réalisation de leur projet sans contraintes financières. Cette dernière est ouverte à tous les étudiants membres du Building 21, peu importe leur nationalité. 

Un objectif d’expansion du projet

Les codirecteurs du Building 21 partagent des objectifs d’expansion, sans compromettre l’échelle humaine de la communauté. Ils souhaitent ainsi en préserver l’essence : l’attention personnelle qui est intimement liée au nombre restreint d’étudiants. L’idée est de multiplier le principe du Building 21 dans le monde, en conservant ses valeurs tout en l’adaptant aux conditions et aux préoccupations locales, et prévoir par la suite des mises en relation entre les diverses institutions. Des échanges entre universités sont également envisagés, notamment avec l’Université Catholique de Lille, avec qui le codirecteur est actuellement en contact. Chaque pays apporte en effet sa façon de percevoir le monde. En créant des échanges entre des instituts créatifs, c’est une collectivité qui se mettra en marche vers des solutions aux enjeux politiques, sociaux, économiques ou encore écologiques. L’objectif du Building 21 est de permettre aux étudiants de partager leurs connaissances, d’apprendre d’autres cultures. De ce fait, en rencontrant, en débattant, en acceptant l’inconnu, ils n’affrontent pas l’incertitude de l’avenir mais seront capables de le créer.

Un appel à la créativité

Cette semaine, des ateliers et événements ouverts à tous invitent chacun à découvrir ce « laboratoire inversé », qualifié de « home away from home » (second chez-soi, tdlr) par le Professeur Dyens. Si cela vous intéresse, passez la porte verte, laissez vos souliers à l’entrée et trouvez votre place dans cet espace d’innovation.


Dans la même édition