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Faire tomber le masque en chantant

Une critique de Joker : Folie à deux.

Eileen Davidson | Le Délit

Sorti au Canada le 4 octobre au cinéma, le Joker fait son retour anticipé sur le grand écran dans le nouveau film de Todd Philipps intitulé Joker : Folie à deux. Le rire d’Arthur Fleck, personnage principal interprété par Joaquin Phoenix, est toujours aussi infatigable, même dans les conditions sommaires de sa cellule à l’hôpital psychiatrique Arkham de Gotham City. Deux ans après s’être révélé au public sous l’identité du Joker, Arthur Fleck attend d’être jugé au tribunal pour ses crimes (voir Joker, 2019). Mais était-il vraiment lui-même au moment de l’acte ? Souffre-t-il de schizophrénie ou n’est-il qu’un criminel qui joue le rôle de l’acteur clownesque ?

Des airs de La La Land

Si l’on retrouve le personnage principal du premier film aux perspectives de bonheur toujours aussi maigres, la tonalité de ce deuxième volume n’est plus la même. La mélodie sombre et grinçante des violons qui sert
de thème est éclipsée par des sonorités de jazz qui rappellent la bande originale du film La La Land. Casting de Lady Gaga oblige, le drame psychologique prend une tournure de comédie musicale qui se prête à une mise en scène parfois dansante. La chanteuse-actrice américaine interprète le rôle de Lee Quinzel, une patiente avec qui Arthur peut partager sa folie. Ensemble, ils forment un couple extravagant et apportent une légèreté aux coulisses ténébreuses de l’intrigue. La scène de danse sur les toits offre un magnifique tableau romantique et semble être tout droit inspirée de celle de Mia et Sébastien sous les étoiles dans La La Land. Le réalisateur a pris de nombreux risques artistiques pour donner une nouvelle esthétique au long métrage : ombres chinoises, spectacle de claquettes, dessin animé… L’aspect musical ajoute une profondeur supplémentaire au film tout en apportant de la douceur à des images souvent empreintes de violence. Les scènes de performance musicale s’incorporent adéquatement à l’atmosphère de la ville insalubre, à l’inverse des dialogues chantés qui résonnent de manière discordante avec l’univers désenchanté.

Qui est le vrai coupable ?

Dans un jeu de cartes, il y a toujours un Joker et il a le pouvoir de faire ce qu’il veut. En se cachant derrière l’identité du Joker, Arthur cherche à se protéger de la société, qui a fait de lui un marginal. Sous ce masque aux traits grossièrement maquillés, il peut être quelqu’un d’autre et s’affranchir du statut de victime qui lui colle à la peau. Lorsqu’il adopte son costume burlesque, il attire soudain l’attention et devient une source de divertissement. Ainsi, depuis son arrestation, un dessin animé le mettant en vedette est diffusé à la télévision. Le drame d’Arthur Fleck est ainsi transformé en un élément de culture populaire, à consommer à volonté. Les criminels sont mis en porte-à-faux, servent de bouc émissaires et doivent porter les blâmes moraux de la société qui a fait d’eux des meurtriers. Dans le premier volet du Joker, Arthur est à l’origine un innocent qui « ne ferait pas de mal à une mouche (tdlr) » mais qui, poussé à bout au terme d’une série de persécutions, se transforme en assassin. Si au début de ce nouveau film, il semble être redevenu lui-même, soit un personnage pour lequel on éprouve de l’empathie, il finit par recouvrer l’identité terrifiante du clown meurtrier lors du procès, après des journées harassantes d’interrogatoire et de violences quotidiennes. Finalement, ne serait-ce pas la société qui l’a perverti ?

Tout le monde s’en fiche

Le film dépeint des conditions carcérales déshumanisantes. Les internés de l’hôpital ne sont pas traités comme des patients mais comme des prisonniers aux corps faméliques. Ils subissent en permanence des violences psychologiques et physiques. L’avocate d’Arthur Fleck déplore le manque d’accompagnement des services sociaux apporté aux personnes ayant vécu des traumatismes dans leur enfance, et dénonce les répercussions sur leur santé mentale en tant qu’adultes. Ce dont Arthur a vraiment besoin, c’est de voir un docteur pour pouvoir réintégrer la société. Le film finit comme il a commencé : Arthur est toujours dans sa cellule, où il est maltraité. La société ne lui a laissé aucune possibilité d’évolution, ni de seconde chance, si tant est qu’il ait jamais eu la première. Lee s’avère être en ce sens la métaphore de cette société qui abandonne ses marginaux ; une fois qu’Arthur a renoncé à l’identité du Joker, il n’a plus d’intérêt à ses yeux.


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