C’est en préparant le départ pour mon échange universitaire en Australie que j’ai découvert le cours Histoire du monde de l’Océan Indien à McGill (HIST206). Ce cours offre une autre façon d’étudier l’Histoire, en explorant les interactions entre les humains et le monde naturel au fil du temps, et en mettant en lumière les facteurs environnementaux qui ont façonné nos sociétés. Élaborée par Fernand Braudel, la théorie exposée dans le cours avance que les histoires et les cultures des régions sont largement déterminées par leurs environnements géographiques et climatiques. Braudel, né en 1902 en France, a enseigné en Algérie et noté que cette région, influencée par l’environnement méditerranéen, diffère profondément de la France. Cela l’a amené à élaborer une théorie, en collaboration avec l’École des Annales, soulignant l’importance des facteurs géographiques dans l’évolution des sociétés et des civilisations. Cette théorie admet comme prémisse que des événements significatifs pour l’humanité, tel que les famines et les migrations, peuvent avoir pour origine des facteurs environnementaux. Un autre exemple serait les changements climatiques comme des variations de températures causées par les éruptions volcaniques. Ainsi, il est véritablement surprenant de constater que ce concept, qui semble évident, est peu connu de la majorité des étudiants.
Histoire environnementale
La façon de naviguer à travers l’océan Indien dans ce cours remet au centre l’interconnexion indubitable entre notre histoire et environnement. Depuis les débuts de l’humanité, les écosystèmes ont connu des transformations qui ont influencé l’évolution des sociétés. Prendre en compte l’environnement est crucial pour obtenir une vue d’ensemble de notre histoire. Gwyn Campbell est un pionnier dans ce domaine, en tant qu’auteur de nombreuses études complètes et détaillées sur les droits humains, l’Histoire et l’économie en Asie et en Afrique. Né à Madagascar et élevé au pays de Galles, le professeur Campbell possède des diplômes en histoire économique des universités de Birmingham et du pays de Galles. Il a enseigné en Inde (avec le Service Volontaire Outre-mer) ainsi que dans des universités à Madagascar, en Grande-Bretagne, en Afrique du Sud, en Belgique et en France. De plus, il a été consultant académique pour le gouvernement sud-africain lors d’une série de réunions intergouvernementales qui ont conduit à la création d’une association régionale de l’océan Indien en 1997. Durant les premières années de sa carrière universitaire, le professeur Campbell s’est spécialisé dans l’histoire de Madagascar, où la population parle le malgache, une langue austronésienne originaire de l’Indonésie. Les Malgaches présentent des gènes à la fois africains et austronésiens, ce qui suppose des échanges séculaires anciens à travers l’océan Indien. Cette découverte l’a incité à explorer l’histoire globale des riverains de l’océan Indien, en se concentrant sur l’histoire économique et environnementale de la région. Ce projet, initié lors de son séjour en Afrique du Sud et en France, s’est concrétisé grâce à la Chaire de recherche financée par l’Université McGill, où il enseigne aujourd’hui.
« La façon de naviguer le monde de l’océan Indien dans ce cours remet au centre l’interconnexion entre notre histoire et notre environnement »
L’océan Indien à McGill
Le professeur Campbell est le directeur-fondateur de l’Indian Ocean World Centre (IOWC, Centre du monde de l’océan Indien, tdlr) à McGill. Fondé en 2007, le Centre a formé de nombreux étudiants devenus professeurs dans d’autres établissements. Il a pour mission de promouvoir l’étude de l’histoire, de l’économie et des cultures des terres et des peuples de l’océan Indien, qui s’étend entre le Moyen-Orient, l’Asie du sud-est et le sud de l’Afrique. Il a accueilli des chercheurs et professeurs invités du monde entier, et organisé des colloques sur des sujets tels que l’esclavage, les maladies, la monnaie et les échanges d’animaux dans cette région. « Dans trois ans, nous célébrerons le 20e anniversaire du Centre. Depuis sa création, il a su se distinguer comme le meilleur au monde pour les études sur l’océan Indien », affirme-t-il. Le Centre publie une revue universitaire : le Journal of Indian Ocean World Studies (JIOWS, Journal des études de l’Océan Indien), en collaboration avec la Presse universitaire Johns Hopkins. « [Le journal JIOWS, ndlr] publie des articles originaux évalués par des pairs et rédigés par des chercheurs établis et émergents dans les sciences sociales, les sciences humaines et les disciplines connexes qui contribuent à une compréhension du monde de l’océan Indien et de ses éléments constitutifs depuis les premiers temps. » Il ajoute que le journal a pour but de réexaminer les paradigmes spatiaux, temporels et thématiques eurocentrés qui ont dominé les perceptions académiques des régions et des sociétés non-européennes, que la plupart considèrent comme les principaux éléments déclencheurs de l’histoire. En effet, les travaux du journal contribuent à la compréhension du monde de l’océan Indien et de ses composantes, des temps anciens à aujourd’hui, selon les interactions humains-environnement.
Partager l’océan
En 2019, l’IOWF lance un balado éponyme intitulé « Indian Ocean World Podcast » (Le balado du monde de l’océan Indien, tdlr). Ce projet s’inscrit dans le partenariat actuel avec le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) nommé « Évaluation des risques », qui implique des partenaires et collaborateurs internationaux d’Amérique du Nord, d’Europe, d’Afrique, d’Asie et d’Australasie. Le Dr. Campbell affirme que la plupart des intervenants présentent des exposés sur divers aspects de l’histoire environnementale de l’océan Indien, abordant des sujets tels que les relations entre l’homme et l’animal aujourd’hui, les maladies et les voyages océaniques, la science météorologique coloniale du 19e siècle, ainsi que le patrimoine environnemental actuel et les perceptions du passé. « Ils utilisent également les méthodes des Systèmes d’Information Géographique (SIG) dans la gestion des catastrophes », soutient le professeur Campbell. Le Centre a publié un total de 53 épisodes, la plupart diffusés durant les semestres d’automne et d’hiver sur les plateformes de diffusions en ligne et sur le site Internet du centre.
L’influence et la reconnaissance internationale du Centre ont ainsi permis au professeur Campbell de proposer une nouvelle initiative : la Speaker Series. Cette série de conférences permet au centre de transmettre les connaissances de ses chercheurs. « Nous invitons des conférenciers de toutes disciplines et possédant un large éventail d’expériences : anglophones et francophones ; des universitaires et des étudiants établis ; et sur des sujets qui couvrent toutes les régions du monde de l’océan Indien, de l’Afrique de l’Est à la Chine, et sur des sujets divers », ajoute-t-il. Les intervenants de la Speaker Series présentent des versions préliminaires de leurs travaux afin d’obtenir des commentaires constructifs d’un public dynamique. Le professeur Campbell souligne : « Ce sont des discussions savantes, mais dans un environnement amical et solidaire ». Tel que l’indique le site Internet du IOWC, les conférences se tiennent généralement le mercredi après-midi à 15 heures dans le hall Peterson 116. Le programme complet est disponible sur le site du Centre pour tout le monde, dont les novices au sujet, curieux d’en apprendre sur l’océan Indien.