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Alléger son empreinte sans faire de choix

Quand nos biais nous aident à mener des comportements pro-environnementaux.

Stu Doré | Le Délit

On est souvent en faveur des options vertes, des actions qui minimisent notre impact sur l’environnement : recycler, privilégier les transports en communs, moins prendre l’avion, et ainsi de suite. Pourtant, les actions que l’on mène réellement sont souvent moindres que nos intentions. De nombreuses barrières psychologiques, comme des biais inconscients, ralentissent ou empêchent notre passage à l’action. Ces barrières nous amènent à adopter la mentalité « qu’il est déjà trop tard ». Certains finissent par se retirer de cette lutte sous prétexte que « ça ne sert à rien de continuer ». Pourtant, cet état d’esprit ne fait que nuire à l’environnement et à ceux qui font des efforts.

Et si une façon d’alléger à la fois sa charge mentale et son empreinte environnementale n’était pas de se battre contre les biais freinants, mais de réduire le nombre de situations où ils pourraient nous influencer ?

Ai-je un impact ?

L’impact des actions pro-environnementales que l’on entreprend au quotidien n’est pas évident à visualiser. À moins que la décision ne soit de jeter l’emballage de notre bonbon d’Halloween sur le trottoir ou dans la poubelle, il est difficile de voir et de réellement comprendre les conséquences de nos gestes. Dr Ross Otto, chercheur en psychologie à McGill, étudie les différentes influences de notre milieu sur nos décisions : « Les gens pensent-ils vraiment que l’on peut changer les choses de manière appréciable ? Je pense que c’est l’une des choses les plus difficiles pour amener les gens à changer leurs comportements. (tdlr) »

Chaque individu a des biais cognitifs, qui sont des déviations de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité. Le chercheur en psychologie environnementale Robert Gifford, de l’Université Victoria, a regroupé les biais qui régissent l’inaction climatique sous forme de liste de « Dragons », à comprendre comme des forces puissantes et destructrices. Un de ces biais est la perception de notre manque de contrôle et d’efficacité personnelle dans les actions individuelles pour l’environnement. Est-ce qu’un régime végétarien va vraiment changer le monde ? Bien que ses impacts soient connus et sous-estimés, un régime végétarien à lui seul demande beaucoup de maîtrise de soi au quotidien (par exemple, refuser de la viande à un repas ou au restaurant). Les inconvénients et les bénéfices à court terme semblent peser plus que ceux à long terme. C’est un des problèmes avec la crise climatique : on avance dans le flou, on sait quelles actions sont bonnes à poser mais on ne peut pas en voir les conséquences positives.

Une loi, moins de choix

Un autre « Dragon de l’inaction climatique » important est celui de l’incertitude : « Quand on n’est pas sûr des actions à entreprendre, on hésite, et l’hésitation c’est de l’inaction. » En politique, lorsque la crise n’est pas immédiate, beaucoup de facteurs viennent freiner une prise de décision radicale. Le Dr Ross Otto soulève que l’hésitation politique à agir pour préserver l’environnement est la plus néfaste. « Pourquoi le gouvernement fédéral hésiterait-il, par exemple, à essayer de réduire les activités liées aux combustibles fossiles ou à l’extraction en Alberta ? Les politiciens sont élus, et le passage à l’action pour l’environnement peut être dangereux politiquement. » soulève Dr Otto. « Imaginez que le gouvernement du Québec dise : “Plus de camions à diesel.” Ce serait incommode et dispendieux pour beaucoup de monde, et ce serait un grand risque politique. C’est selon moi le type d’hésitation qui a le plus de conséquences. Je pense que le mieux qu’on puisse faire, c’est adopter des lois pour que l’on n’ait plus que le choix d’agir tous dans le même sens. » Les lois, les règles et les guides sont des manières d’éviter d’être confronté à un choix. Le fait d’adopter une façon de faire régulière peut alléger la charge mentale associée à l’action environnementale. Un exemple de règle à appliquer dans sa vie quotidienne pourrait être de privilégier la marche au lieu de prendre la voiture si le temps de trajet pour arriver à une destination est de moins de 30 minutes à pied.

Surcharge et abstraction

Robert Gifford aborde aussi le sujet de l’engourdissement environnemental par l’un de ses « Dragons ». C’est un dragon à deux têtes. D’une part, un engourdissement peut se produire lorsque nous recevons des messages très fréquents sur le changement climatique ou l’environnement, et qu’on s’habitue au message plutôt que de l’écouter activement. D’autre part, cet engourdissement peut se manifester par une abstraction des aspects lointains du changement climatique qu’on ne peut pas identifier ou qui n’ont pas d’impact immédiat. Pour illustrer la première « tête », on pourrait prendre l’exemple des catastrophes naturelles. Le sujet revient souvent dans les nouvelles, que ce soit à cause d’événements récents (comme les ouragans ayant eu lieu cet automne sur la côte est des États-Unis) ou de prédictions environnementales. La surcharge d’informations et leur similarité peut nous habituer à celles-ci, et on finit par ne plus accorder la même attention aux informations. Pour illustrer la deuxième « tête », on pourrait encore une fois reprendre l’exemple des catastrophes naturelles de plus en plus intenses. Au Québec, on a la chance d’être moins affectés par ces événements qu’ailleurs dans le monde. Pourtant, on sait qu’éventuellement, dans un avenir relativement proche, on le sera. Puisqu’on ne sait pas exactement à quoi s’attendre ni quand cela va se produire, on s’engourdit.

Stu Doré | Le Délit

Les mesures COVID

En politique, ne pas donner le choix semble garantir la prise d’action. La pandémie fut révélatrice de la rapidité à laquelle les changements de comportements peuvent s’opérer à grande échelle : le couvre-feu à 20h, ne plus se retrouver en groupe, porter un masque dans tous les espaces intérieurs. Le professeur souligne que la situation du « ici et maintenant » a poussé les gouvernements à agir. Bien que la crise était incertaine et que l’efficacité des mesures n’était pas connue, les gouvernements sont passés à l’action. « La différence avec la prise d’action climatique, c’est que le gouvernement a dit : “Voilà ce que nous devons faire maintenant”. Il n’y avait plus de choix. Dans une large mesure, les gens y ont adhéré. Je pense que les effets obtenus [la baisse des cas, ndlr] étaient observables à court terme. » Le professeur Otto souligne que les crises porteuses d’action nous montrent que les politiciens sont capables d’agir quand ils y mettent les moyens : « Je pense que le côté optimiste de la chose est que si l’on confronte des organisations, des gouvernements ou des personnes à une crise suffisamment importante, cela montre qu’ils sont capables d’agir. »

« L’inaction est plutôt due au fait que ces actions ne sont pas encore des habitudes de vie »
Ross Otto, professeur en psychologie à McGill

Réglages « par défaut »

Et si l’on acceptait que nous sommes des êtres qui agissent majoritairement par habitude, souvent paresseux, et qui acceptent largement les conditions qui leur sont imposées ? Peut-on changer les réglages « par défaut » des fournisseurs d’énergie par des options plus vertes pour éviter l’effort du choix ? Une étude menée en Allemagne a trouvé que la présentation de l’information a un grand impact sur la perception du choix et la prise d’action environnementale. Bien que la plupart des citoyens se disaient en faveur de l’électricité verte, les foyers étaient automatiquement alimentés par le fournisseur conventionnel en Allemagne, qui utilise du charbon et des centrales nucléaires. Lorsque le fournisseur a prodigué de l’électricité verte « par défaut », très peu de foyers s’y sont opposés. Ces résultats ont été justifiés par ce que représente un réglage « par défaut » : il peut être interprété comme une recommandation des fournisseurs, et soulage les gens d’un choix malaisant au vu de sa connotation morale (faire quelque chose de « bien » pour l’environnement).

Le pouvoir de l’habitude

« Dans le cas des actions pour l’environnement, ce n’est pas que les gens ont trop de choix entre les actions à poser, l’inaction est plutôt due au fait que ces actions ne sont pas encore des habitudes de vie », remarque le Dr Otto. Prendre l’habitude de toujours se déplacer en vélo (ou en Bixi) pour aller à ses cours évite de se demander si on veut prendre la voiture.

« Selon les théories d’apprentissage de base, ajuster un comportement nécessite de se débarrasser des déclencheurs de la situation qu’on veut changer. C’est une manière de changer les habitudes d’addiction, par exemple. Prenez quelqu’un qui a l’habitude de conduire alors qu’il [serait mieux pour l’environnement, ndlr] de ne pas le faire. Je pense que si vous modifiez tout son environnement, il sera forcé de réévaluer les actions et les résultats associés aux options. Les changements peuvent s’opérer à petite échelle, comme mettre ses clés de voiture dans un endroit ennuyeux qui se trouve de l’autre côté de la maison. Quand vous partez, c’est peut-être un exemple tiré par les cheveux, mais vous pourriez être enclin à penser : “Ok, maintenant, quelle est la séquence d’actions que je dois prendre pour aller au travail?” » Cela permet, selon le Dr Otto, de ralentir les actions qui ne sont pas bénéfiques pour l’environnement, de les rendre légèrement pénibles, jusqu’à ce que le comportement change. On pourrait imaginer un café où il faille faire la file pour demander une boisson dans une tasse à usage unique, et en faire encore une autre pour payer. Si l’on y apportait sa propre tasse, on n’aurait à faire la file qu’une seule fois !

Par exemple, dans le cadre de la diminution des déchets afin d’atteindre le Zéro Déchet à McGill d’ici 2030, il sera nécessaire de changer nos habitudes de consommation. Chaque tasse de café jetable qui peut être évitée est une avancée vers cet objectif commun. Même si ce n’est pas facile de devoir penser tous les jours à prendre une tasse réutilisable, c’est en se conditionnant qu’on arrive à transformer cela en une habitude au quotidien. Les habitudes sont difficiles à bâtir, et difficiles à défaire. Si chaque jour on se « programme » à prendre sa tasse réutilisable avant de partir et qu’on l’apporte au café pour qu’elle soit remplie, on n’aura plus besoin de tasses jetables. Lorsqu’on ne se crée pas d’habitudes, ces petites choses, qui s’accumulent rapidement, deviennent trop difficiles à mettre en œuvre au quotidien. Il y a une forte efficacité dans le fait de mettre en place des habitudes. Il existe également des barrières : aller acheter une de ces tasses sur son temps libre, et ensuite se souvenir à chaque fois du geste de la mettre dans son sac, jusqu’à ce que l’habitude se crée. Il y a toujours un coût initial à l’établissement d’une habitude, mais c’est toujours un excellent investissement, qui rapporte des bénéfices dont on profite à long terme.

Ne pas faire de choix revient essentiellement à choisir de toujours vivre de la meilleure manière possible pour ne pas nuire à l’environnement. Cela peut paraître difficile à atteindre et à maintenir, mais si l’on décortique le mode de vie environnemental idéal, on remarque que c’est une accumulation d’habitudes qui le bâtissent. Ces habitudes s’apprennent avec le temps et l’expérience, et il ne faut pas s’attendre à changer son mode de vie en quelques jours seulement.


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