Aller au contenu

À la conquête de Trump

The Apprentice : oser révéler l’envers du décor.

Stu Doré | Le Délit

Depuis qu’il s’est lancé en politique, il y a presque dix ans, Donald Trump semble inébranlable. Malgré une défaite électorale en 2020, de multiples polémiques, et même une inculpation, il est indétrônable au sommet du parti républicain. Mais comment, en tant que témoins contraints, nous sommes-nous retrouvés face à cette tempête tonitruante qu’est Trump ? Le nouveau film d’Ali Abbasi, The Apprentice, cherche à répondre à cette question. 

Sorti en salle au Canada et aux États-Unis en octobre dernier, The Apprentice est un film biographique qui retrace les pas du jeune Donald Trump dans les années 1970. Interprété par Sebastian Stan, Trump gravit les échelons de la haute société new yorkaise. À travers le film, il forge ses repères et apprend la froideur et l’art de la manipulation. Nous retrouvons aussi son attitude déplaisante à l’égard de la gent féminine : le traitement minable qu’il réserve à sa première femme ne surprend plus personne. 

« Dans cette ville dirigée par la haute société, c’est le capitalisme pur qui règne, équipé d’un marteau piqueur qui écrase tout sur son passage »

Entre-temps, Stan incarne l’homme d’affaires avec une performance solide et subtile. Il nous prive (sans regret) de sa voix agaçante, mais il transpose avec brio ses gestes atypiques, si reconnaissables. The Apprentice ne se concentre pas seulement sur Trump, mais aussi sur le personnage crucial de son avocat, Roy Cohn. Le caractère moral abominable de Cohn est incarné par nul autre que Jeremy Strong, l’un des protagonistes de la série télé Succession. L’acteur transperce l’écran : ce rôle plus sérieux lui sied parfaitement. Assez vite, Cohn prend Trump sous son aile, et lui apprend les rouages du monde des affaires. Dans cette ville dirigée par la haute société, c’est le capitalisme pur qui règne, équipé d’un marteau piqueur qui écrase tout sur son passage. Le film sous-entend que, sans Roy Cohn, le Trump si imposant que nous connaissons aujourd’hui n’existerait pas. 

Si Abbasi expose sans compromis les vices des deux hommes, il n’hésite pas non plus à montrer leur côté humain. Chez Trump, nous découvrons l’importance qu’il accorde à la famille, un aspect qui a tendance à être oublié par les médias. Avec un frère alcoolique et un père très exigeant, sa jeunesse n’a pas toujours été facile. Abbasi prend soin de dévoiler une part de vulnérabilité, invitant les spectateurs à entrevoir une dimension plus profonde chez Trump. 

Ce qui rend ce film si percutant, c’est qu’il ne se revendique pas partisan. Abbasi évite ce piège : sans pour autant offrir une image louable, il se refuse également à la propagation d’un discours anti-Trump. C’est à noter qu’il n’est justement pas Américain. En effet, dans une entrevue avec Democracy Now ! Abbasi, souligne « je n’ai pas de parti pris dans cette lutte politique (tdlr) ». D’origine iranienne et actuellement installé au Danemark, il réussit à offrir une perspective externe et neutre sur ces dynamiques et ces personnalités si polarisantes. 

Évidemment, ce film n’est pourtant pas indemne de l’actualité politique. Depuis qu’il a été remarqué par le public à Cannes en mai dernier, Trump et sa campagne électorale n’ont cessé de discréditer et de menacer le producteur du film avec des mises en demeure. À l’occasion de sa sortie en salle au mois d’octobre, Trump n’a pas caché ses sentiments à l’égard du long-métrage : sur Truth Social, son propre réseau social, Trump a dénoncé le scénariste, Gabe Sherman, le qualifiant de charlatan (talentless hack), et a insulté tous ceux impliqués dans la production du film, les traitant de vermines (human scum).

The Apprentice ne changera probablement pas votre perception de l’homme qu’est Donald Trump. Rien de bien grandiose, mais cela reste une expérience de visionnement remplie d’humour et recommandable. Toutefois, lorsque défile le générique de fin, cette comédie dramatique d’une période lointaine devient une réalité imminente…


Dans la même édition