Cela fait un peu plus de trois mois que le militant écologiste Paul Watson est incarcéré dans la prison de Nuuk, au Groenland. Il a été arrêté le 21 juillet 2024, alors qu’il était en route pour intercepter un baleinier japonais et faisait escale sur le territoire autonome danois. La cause de son arrestation découle du mandat d’arrêt déposé en 2012 par le Japon à son égard, via l’Organisation internationale de police criminelle, Interpol. Le pays l’accuse de conspiration d’abordage et plus généralement de blocage volontaire des routes empruntées par leurs baleiniers. L’affaire reprend de l’ampleur après la demande de Watson d’obtenir le droit d’asile, puis la nationalité française au président Emmanuel Macron ce 24 octobre. À travers ces deux requêtes, l’activiste tente d’éviter l’extradition au Japon après la fin de son emprisonnement, prévue le 13 novembre.
Paul Watson, défenseur des baleines
L’activiste américano-canadien est connu pour avoir fondé l’association Sea Shepherd, une Organisation Non Gouvernementale (ONG) déployant des méthodes de lutte à grande échelle pour la protection des océans et de la vie marine. Depuis la création de l’association en 1977, Watson s’est battu pour dénoncer la chasse à la baleine, en s’interposant sur les lieux de pêche pour en empêcher l’activité, notamment face aux baleiniers japonais. Les tensions entre l’ONG et Tokyo ne font qu’augmenter depuis quelques années, particulièrement depuis la collision entre un navire nippon et un voilier Sea Shepherd en 2010, dont Watson est tenu responsable par les autorités japonaises. Depuis son lieu de détention, Paul Watson affirme que cette requête d’extradition sur le territoire japonais ressort plus du domaine politique que judiciaire, car le militant est devenu un symbole « gênant » pour les autorités japonaises et danoises.
Une extradition contestée
Le Japon est l’un des seuls pays qui pratique encore à ce jour la chasse aux baleines, avec la Norvège et l’Islande. Le pays avait pourtant adhéré à la Convention baleinière internationale créée en 1986, qui avait pour but d’interdire la chasse commerciale de la baleine, notamment par la création de deux sanctuaires dans les océans Indien et Austral. Cependant, après avoir contourné ces interdictions en justifiant la nécessité d’activités scientifiques, le Japon s’est finalement retiré de la Convention en 2019. De plus, les conditions d’extradition sont questionnées par la Fondation Captain Paul Watson (CPWF), puisque la notice rouge d’Interpol – l’avis international émis par le Japon aux autres pays membres afin d’appréhender Paul Watson plus facilement – a été rendue confidentielle par l’archipel nippon. Autrement dit, Paul Watson ne figurait plus visiblement sur la liste des notices rouges lorsqu’il a accosté au Groenland, lui faisant croire que le mandat d’arrêt contre lui n’était plus en vigueur. On parle ici d’instrumentalisation des notices rouges d’Interpol, une pratique contre laquelle le Parlement européen s’est positionné dans le passé en dénonçant cette dérive comme une violation des droits de l’Homme. De plus, selon Me (Maître) Juliette Chapelle, avocate au barreau de Paris, le fait que la notice ne soit plus visible pourrait représenter un motif d’annulation de la demande d’extradition formulée il y a plus de 10 ans.
« Selon Paul Watson, le vrai “pirate” demeure le Japon qui continue d’exercer la chasse à la baleine, pratique pourtant déclarée illégale par la Cour internationale de justice de la Haye en 2014 »
Deux bouteilles à la mer lancées à la France
Le 16 octobre 2024, l’activiste a fait une première demande de droit d’asile à la France, un choix qui n’a pas été fait au hasard. Étant donné que le pays possède la deuxième plus grande interface maritime mondiale, il a comme devoir de se présenter comme pilier dans la préservation des milieux marins, ce qui inclut indirectement la protection du fondateur de Sea Shepherd. Ce choix repose également sur le lien affectif que Paul Watson éprouve envers la France, qu’il considère comme « son port d’attache ». Cependant, comme l’explique la ministre française de la Transition écologique, la demande de droit d’asile en France ne peut être formulée que par des individus étant déjà situés sur le territoire français, condition que Watson est dans l’incapacité de remplir pour le moment. Si une exception pouvait être envisagée, les chances demeurent incertaines, étant donné l’issue de la demande de droit d’asile formulée par Julian Assange en 2021. La France avait rejeté la demande du lanceur d’alerte australien alors qu’il tentait d’éviter l’extradition aux États-Unis, après avoir libéré des informations confidentielles concernant des activités diplomatiques et militaires américaines sur son site WikiLeaks. Les circonstances de son incapacité à pouvoir se trouver sur le territoire français n’étaient, selon les autorités françaises, pas assez exceptionnelles pour faire entorse à la règle régissant le droit d’asile. Bien que le contexte entourant l’emprisonnement de Watson ne soit pas identique à celui d’Assange, le facteur clé reste sa libération.
En ce qui concerne la demande de nationalité française formulée huit jours plus tard, le 24 octobre, une disposition du code civil français permet qu’à titre exceptionnel, et seulement par décret du ministre de l’Intérieur, la nationalité française puisse être accordée à des personnes ayant des liens particuliers ou contribuant de manière significative à la société française. Dans le cas de Paul Watson, cette contribution est environnementale. Selon Me François Zimeray, l’un des avocats de Watson, la demande a des chances d’aboutir puisqu’elle est juridiquement possible. Pour le moment, la requête est toujours en révision.
Une position française délicate
Ayant le deuxième plus grand taux d’importation d’Asie, le Japon est un partenaire commercial essentiel pour la France, et revêt une importance stratégique dans la région indo-pacifique. Ce lien a été renforcé par la signature d’un pacte de sécurité et de défense ce 1er novembre, qui tente de consolider les domaines de sécurité et de défense entre le Japon et l’Union Européenne. Si la France décide de protéger le militant, il est probable que les relations entre les deux pays se refroidissent, et que des représailles soient attendues du côté japonais, que ce soit sur le plan diplomatique, ou plus indirectement, à travers des régulations commerciales.
En ce qui concerne l’opinion publique, son soutien envers Paul Watson est visiblement exprimé lors des manifestations organisées pour exiger la libération de l’activiste, notamment celle du 4 septembre 2024 sur la place de la République à Paris, avec un slogan scandé par tous et partout : « Sauver les baleines n’est pas un crime ». Une pétition a été signée par plus de 388 000 personnes, dont des écologistes et des figures politiques, et une musique a même été créée en soutien au militant, Le Dernier mot. Le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot affirme que la cause défendue par l’américano-canadien est « juste et noble », et qu’elle est partagée par la France.
Un avenir incertain
L’emprisonnement de Watson doit prendre fin le 13 novembre 2024, mais la suite reste pour le moment incertaine. En effet, si la nationalité française était acceptée, elle ne garantirait pas pour autant la non-extradition au Japon, ce qui laisse l’avenir de Paul Watson entre les mains des autorités danoises. « Il faut que les Danois se positionnent et comprennent que ce que cet homme subit est totalement disproportionné par rapport à ce qu’on l’accuse d’avoir fait, qu’il n’a pas commis », affirme Me Zimeray. Paul Watson a d’ailleurs déclaré que « si [la justice danoise] [l]’envoie au Japon, [il] y mourrait », compte tenu des conditions d’emprisonnement particulièrement sévères auxquelles il s’attend sur le territoire japonais. Me Zimeray estime qu’une décision d’extradition de la part du Danemark reviendrait à « violer leur propre Constitution ». Les avocats de Watson ont promis de saisir la Cour Suprême danoise, voire la Cour Européenne des Droits de l’Homme si l’extradition a lieu. Selon le militant, le vrai « pirate » demeure le Japon qui continue d’exercer la chasse à la baleine, pratique pourtant déclarée illégale par la Cour internationale de justice de la Haye en 2014. Comme le cite la chanson créée pour lui, si justice est accordée pour Paul Watson, « le dernier mot, c’est la mer qui l’aura ».