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Concours d’écriture de chroniques journalistiques

Cette semaine, Le Délit vous présente le fruit de la deuxième édition de son projet collaboratif avec le Centre d’enseignement du français à McGill (CEF). Dans le cadre du cours « FRSL 449 – Le français des médias », les étudiant·e·s en apprentissage du français comme langue seconde ont été invité·e·s à soumettre des chroniques qui portent sur des faits marquants de l’actualité, culturelle ou politique, d’ici ou d’ailleurs. Ayant pour thème commun « Une image vaut mille mots », les chroniques développent les points de vue personnels des auteur·rice·s sur les enjeux sociaux illustrés dans des œuvres d’art ou des photos journalistiques qui ont attiré leur attention. Ces textes, préalablement révisés dans un contexte académique par la professeure Élisabeth Veilleux, ont par la suite été sélectionnés pour être publiés dans Le Délit. Nous vous présentons donc notre sélection des quatre meilleures chroniques.


Khudadadi : une réfugiée qui incarne l’esprit des Jeux
Jacob Shannon, Contributeur

Voilà bien une image qui illustre la joie immense d’un rêve enfin réalisé. C’est Zakia Khudadadi, la paralympienne qui a marqué l’histoire en remportant la première médaille de l’équipe des réfugiés à Paris, en taekwondo. À ses côtés, son entraîneuse Haby Niare, la porte triomphalement. Lorsque la nouvelle de sa médaille de bronze a été annoncée, Niare a soulevé la championne dans un geste de soutien qui a fait le tour des réseaux sociaux.

Pour l’équipe olympique des réfugiés, ce podium est un premier, mais pour Khudadadi, il représente une plateforme de visibilité qu’elle peut utiliser pour sensibiliser à la situation des femmes afghanes opprimées. Les Jeux ont fait de Khudadadi une icône paralympique, et à juste titre : elle incarne l’esprit de persévérance de ces femmes en luttant à la fois pour elle-même et pour leur droit à l’égalité.

Devenir paralympienne était un rêve pour Khudadadi, mais à l’origine, elle voulait représenter son pays natal, l’Afghanistan. Elle s’était préparée à Kaboul pour les Jeux de 2021, mais elle a dû fuir le pays lors de la prise de pouvoir des Talibans. Désormais en sécurité en France, elle concourt pour l’équipe des réfugiés tout en restant engagée dans la cause des femmes afghanes. Alvin Koualef, journaliste pour Ouest France, souligne que Khudadadi est une inspiration non seulement pour les personnes en situation de handicap, mais aussi pour les réfugiés. En effet, son accomplissement est déjà porteur d’une grande signification pour cette nouvelle équipe.

Eileen Davidson | Le Délit

Ceci étant dit, la vie n’est pas toujours idyllique pour une réfugiée. Sophie Hienard, journaliste pour Le Point, explique que Khudadadi a risqué non seulement sa vie, mais aussi sa participation aux Jeux de Tokyo en fuyant l’Afghanistan. Soutenue dans sa fuite par plusieurs pays, elle n’a pu rester en France que deux semaines avant de devoir repartir pour les Jeux de Tokyo. Même face à une situation nécessitant du repos, le choix de Khudadadi de participer souligne un dilemme pour les athlètes réfugiés qui doivent trouver l’équilibre entre leur bien-être et la reconnaissance du public.

Aujourd’hui, l’athlète profite de sa liberté pour vivre pleinement et pour s’exprimer sur la situation en Afghanistan. Dans une entrevue accordée à France 24, la paralympienne a déclaré croire que sa notoriété découlait de son histoire unique, dans laquelle ses sympathisants se reconnaissaient. En effet, son parcours atypique s’inscrit dans les valeurs des Jeux : elle est admirée pour avoir surmonté des difficultés considérables afin d’obtenir une vie meilleure. Ses supporteurs n’acclament pas qu’elle : ils soutiennent toutes les femmes afghanes qui ne connaîtront peut-être jamais une telle liberté.

Les Jeux paralympiques nous émeuvent parce qu’ils nous rappellent l’importance de persévérer. La réponse du public à la victoire de Khudadadi démontre la nécessité d’avoir une équipe de réfugiés et démontre que ses athlètes incarnent véritablement l’esprit des Jeux. Le handicap de Khudadadi la définit comme paralympienne, mais c’est sa capacité à devenir un phare d’espoir qui fait d’elle un symbole si puissant des Jeux paralympiques.


Votre cinquième tasse Stanley ne protège pas la planète
Claire Ambrozic, Contributrice

En décembre 2023, une vidéo publiée sur TikTok a récolté des millions de mentions « j’aime » et des centaines de milliers de partages, tout en attirant l’attention des journaux. La vidéo montrait l’agitation provoquée par la mise en vente des fameuses bouteilles d’eau réutilisables de la marque Stanley dans un magasin Target. La collection vendue exclusivement dans cette chaîne de grande surface a disparu en moins de quatre minutes. Selon Statista, les ventes annuelles de la compagnie Stanley ont atteint 750 millions de dollars américains en 2023. Ce succès s’explique par une véritable frénésie pour ces produits réutilisables, publicisés comme « écologiques ». Pourtant, il semble que les bouteilles Stanley font plus de mal que de bien : l’obsession qu’elles ont suscité chez les acheteurs illustre notre société de surconsommation.

La surconsommation

Selon Jessica Katz, journaliste d’Analyst News, l’engouement face aux bouteilles Stanley provient de l’incitation à collectionner plusieurs couleurs et styles différents. Les fanatiques de la marque accumulent des dizaines de bouteilles même s’ils n’en utilisent véritablement qu’une seule à la fois. Ceci démontre une tendance à choisir le plaisir immédiat d’avoir ce qui est à la mode et ce que l’on considère beau, plutôt que de considérer l’utilité du produit à long terme. De plus, bien que les bouteilles soient composées à 90% d’acier inoxydable recyclé, une entrevue publiée dans un article de Radio-Canada a révélé que Stanley n’a pas de programme de reprise ou d’options de recyclage en fin de vie pour ses propres produits. La production d’un si grand nombre de bouteilles réutilisables en acier inoxydable détruit la planète de sa propre manière, ce qui remet en question les véritables motifs de ceux qui achètent une cinquième Stanley « pour la planète ».

Eileen Davidson | Le Délit

Une bouteille en vogue

La bouteille réutilisable est devenue un accessoire de mode, ce qui indique que son usager la remplacera un jour par une bouteille considérée plus tendance. Une journaliste de Radio-Canada remarque que ce qu’on observe actuellement avec les Stanleys s’est déjà produit plusieurs fois avec d’autres marques, notamment Yeti, Hydro flask, S’well, Nalgene, et Owala. Ainsi, les Stanley accumuleront de la poussière au fond de nos placards, pour qu’on puisse les remplacer par la prochaine bouteille attrayante.

Un discours d’écoblanchiment

La vidéo virale contraste avec le discours d’écoblanchiment de la compagnie Stanley. Selon ses dirigeants, la compagnie se veut construire un monde plus durable, adoptant le slogan « Built for Life » (Conçu pour la vie, tdlr). Cependant, un article du Frontier Group révèle qu’en janvier dernier, la compagnie a sorti 17 nouvelles couleurs, encourageant les fans de la marque à acheter plus d’une bouteille. De plus, les bouteilles d’eau sont vendues en édition limitée, créant un sentiment de rareté qui incite les consommateurs à acheter une nouvelle couleur avant qu’elle ne soit plus disponible. « Stanley » est une entreprise et conséquemment, sa priorité est le profit et l’efficacité de production. Malgré son slogan, les produits de Stanley sont principalement fabriqués en Chine et au Brésil, ce qui entraîne un transport sur de longues distances, contribuant ainsi à une empreinte carbone importante avant d’atteindre leur principal marché en Amérique du Nord. Même si son produit est « écologique », le fonctionnement de l’entreprise ne l’est pas.

En somme, la vidéo nous oblige à réévaluer notre perception des bouteilles d’eau Stanley, ainsi que les produits « réutilisables » en général. Acheter une autre bouteille simplement parce qu’elle est à la mode perpétue un cycle de surconsommation. Enfin, en dépit des belles promesses écologiques de Stanley, l’entreprise est bien consciente du fait que son succès dépend de notre surconsommation. Aussi faudra-t-il se satisfaire des belles bouteilles d’eau qui se trouvent déjà chez nous.


Quand la liberté d’expression artistique suscite l’indignation de l’Église
Emilie Fry, Contributrice

Madonna, Lady Gaga, Lil Nas X, Sabrina Carpenter : chacun de ces artistes a choqué l’Église avec son choix de clip vidéo. Les démonstrations sexuelles dans les espaces sacrés et les représentations irrespectueuses des figures religieuses dans ces clips ont suscité une réaction brutale de la part des communautés religieuses. Cela dit, les critiques sont-elles justifiées, ou devrions-nous reconnaître la liberté d’expression artistique de ces chanteurs ?

Un clip vidéo controversé

Le 31 octobre 2023, la chanteuse pop américaine Sabrina Carpenter a sorti un clip pour sa chanson « Feather », dans laquelle elle marque la fin d’une relation amoureuse toxique en chantant qu’elle se sent « légère comme une plume, (tdlr) ». Dans la scène qui a fait réagir, la chanteuse porte une robe noire aguichante et danse de manière provocatrice sur l’autel d’une église, en évoquant la métaphore de l’enterrement de sa relation toxique. Suite à ce clip vidéo, la communauté chrétienne a critiqué l’utilisation inappropriée d’un lieu de culte allant à l’encontre des valeurs catholiques de chasteté et de pureté. En dépit des critiques, le clip a été visionné plus d’un million de fois en moins de 24 heures suivant sa publication et, depuis lors, ce nombre a augmenté à 88 millions. De plus, la chanteuse continue à gagner en popularité avec son nouvel album « Short n’ Sweet » et sa tournée internationale qui vient de passer à Montréal le 11 octobre.

Eileen Davidson | Le Délit

En plus des critiques qui ciblent Sabrina Carpenter, l’Église catholique a démis de ses fonctions le pasteur Monseigneur Jamie Gigantiello comme administrateur de l’Église Annunciation of the Blessed Virgin Mary à New York, qui a permis le tournage du clip à cet endroit. Dans une lettre d’excuses, Gigantiello a expliqué que, faute de détails communiqués par les réalisateurs du clip, il a donné son aval au projet en vue de renforcer les liens entre l’Église et la communauté artistique. De façon à se faire pardonner, les 5 000 dollars reçus par l’église pour le tournage du clip seront donnés à la fondation Bridge to Life, qui offre des services aux femmes vivant des grossesses non planifiées.

Liberté d’expression

En explorant l’histoire de clips controversés, on découvre qu’il en existe plusieurs qui ont suscité une réaction comparable à celle de la vidéo de Sabrina Carpenter. Le mélange d’érotisme et de religion dans le clip « Like a Prayer » de Madonna a suscité la même polémique, et continue de le faire encore 25 ans après sa sortie. En 2011, Lady Gaga a scandalisé l’Église avec son titre « Judas », de façon similaire au clip de Lil Nas X sorti cette année dans lequel il incarne Jésus Christ. Les motivations de ces artistes varient : elles vont de messages sur les enjeux sociaux, comme le racisme abordé dans le clip de « Like a Prayer », aux critiques des normes religieuses, en particulier concernant l’exclusion des personnes LGBTQIA+. Mais les artistes font aussi appel à l’illustration métaphorique de leurs expériences, comme celle employée par Lil Nas X à travers la réincarnation de Jésus pour approfondir son message de retour sur la scène musicale. Bien qu’ils aient été parfois condamnés, ces artistes ont conservé leur popularité, puisque leurs admirateurs se reconnaissent dans leurs messages. On pourrait donc penser que Sabrina Carpenter, à travers ses clips, tente de critiquer la sensibilité religieuse de la société ou de se distancer de ses débuts plus innocents de façon à développer sa carrière.

Quelles que soient les motivations des artistes qui attisent ce type de controverse, cela remet en question les limites de la liberté d’expression à laquelle les artistes ont droit. Les clips vidéos permettent aux membres de la société d’exprimer leurs opinions de manière créative sous forme artistique. L’encadrement du contenu artistique, sous prétexte d’éviter les offenses ou les critiques, s’avère fâcheux, puisqu’il contreviendrait à la liberté d’expression. Voilà pourquoi, plutôt que d’établir des contraintes aux sujets sur lesquels portent les arts, il vaudrait mieux comprendre les motivations des artistes afin d’apprécier leur art sans y trouver offense.


La laïcité française est-elle en contradiction avec l’esprit des JO ?
Momoka Chosa, Contributrice

Alors que le monde entier se prépare à célébrer la diversité aux Jeux Olympiques (JO), une controverse éclate : l’interdiction du port du hijab pour les athlètes françaises. Cette décision, perçue par certains comme une atteinte à la liberté religieuse, a rapidement enflammé le public. Elle a également mis en lumière le fossé entre les idéaux du pays et la diversité de sa société. En mettant en place cette interdiction, la France défend sa conception de la laïcité, mais à quel prix ? Est-ce une mesure nécessaire à la mise en œuvre de la laïcité ou est-ce une exclusion injuste qui travestit l’esprit des JO ? En tant que pays qui valorise l’égalité, la liberté et la fraternité, l’imposition de cette règle pose une question fondamentale : la France est-elle en train de compromettre ses propres valeurs au nom d’une laïcité inflexible ? Cette interdiction repose sur un plan rigide de la laïcité, concept hérité de la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905.

Comme événement international, les JO représentent un espace dans lequel le respect des valeurs universelles doit prévaloir. En ce sens, la France va à contre-courant de l’esprit-même des JO. Bien qu’il soit légal et compatible avec les règles du Comité International Olympique d’imposer un code vestimentaire aux JO selon un article du Figaro (2023) : « JO 2024 : l’interdiction de porter le hijab pour les Françaises est compatible avec les règles olympiques », le pays risque de marginaliser les athlètes musulmanes qui ne devraient pas avoir à choisir entre leur foi et leur passion pour le sport. D’un autre côté, certains soutiennent cette interdiction, car elle promeut la neutralité religieuse des athlètes. Cependant, je pense qu’il ne faut pas que la neutralité devienne un synonyme de l’uniformité imposée où chacun est obligé de sacrifier son identité pour se conformer.

Eileen Davidson | Le Délit

Le sport est un vecteur puissant pour l’intégration sociale. Notamment, les athlètes voilées sont des modèles pour de nombreuses jeunes filles à travers le monde, qui montrent qu’il est possible de concilier la foi et le sport. En les excluant, nous envoyons un message de rejet à toute une génération. Par exemple, un incident lors de la cérémonie d’ouverture a créé une vive polémique. Sounkamba Sylla, coureuse de relais de l’équipe française, a participé à la cérémonie en portant une casquette après que le port de son voile ait été interdit. Cet acte, perçu comme une forme de défiance par la société, a capté l’attention de divers médias et souligné l’absurdité de l’interdiction. Par exemple, Amnistie internationale, une organisation pour la défense des droits humains, dénonce la discrimination flagrante à l’égard des athlètes musulmanes. Pour les athlètes voilées, cette interdiction représente non seulement une violation de la liberté religieuse, mais aussi une exclusion injustifiée qui vise à effacer une partie de leur identité.

Selon moi, cette interdiction est une manière de contrôler l’expression de la foi sous le prétexte de neutralité. Il n’est donc plus seulement question de sport, mais plutôt d’un débat sur l’acceptation de la diversité dans les espaces publics. En empêchant les athlètes voilées de participer aux JO, la France rate une opportunité unique de montrer que la laïcité peut être un cadre d’inclusion et non d’exclusion. Si l’objectif est de maintenir un environnement où chacun se sens respecté dans ses croyances personnelles, ne devrions-nous pas accepter les croyances des athlètes, quelles qu’elles soient ? Il faut que nous réfléchissions à la manière dont nous appliquons nos principes, car une société tolérante doit faire place à tous et toutes, sans exception.


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