Aller au contenu

Inondations en Espagne : entre colère et solidarité

Retour sur un épisode meurtrier.

Eileen Davidson | Le Délit

Les 29 et 30 octobre derniers, plusieurs régions espagnoles, notamment Valence, Castille-La Manche et l’Andalousie, ont été touchées par des pluies torrentielles provoquant de violentes inondations. En date du 5 novembre, ces dernières avaient causé la mort de 219 personnes, ainsi que la disparition de 89 autres individus, un bilan encore provisoire. Cette catastrophe a entraîné de très lourds dégâts matériels dans l’ensemble de la région, dont la destruction de nombreux logements et infrastructures. Dans la région valencienne, ce sont principalement les villages de la banlieue de Valence qui ont été touchés et ravagés par les inondations.

Selon une première étude du World Weather Attribution, le réchauffement climatique serait une des causes principales de ces pluies diluviennes associées au phénomène DANA (Dépression Isolée à Niveau Élevé). Ce phénomène est un système météorologique destructeur et fréquent dans le bassin méditerranéen, dans lequel l’air froid et l’air chaud se rencontrent et produisent de puissants nuages de pluie. Néanmoins, cet épisode d’inondation constitue, selon le premier ministre Pedro Sánchez, « le plus grave que [l’Europe] ait connu depuis le début du siècle (tdlr) ». Selon l’analyse, les pluies qui ont frappé l’Espagne ont été 12% plus importantes que si le climat ne s’était pas réchauffé. De nombreux spécialistes ont aussi pointé du doigt « l’urbanisation incontrôlée » de la région, qui a accru l’imperméabilité des sols, provoquant une augmentation des risques d’inondation et de sécheresse.

« À 20h seulement, l’alerte d’urgence que l’on reçoit sur les téléphones portables s’est déclenchée. Mais à ce stade, tout s’était déjà produit : dès 18h, les gens étaient en train de se noyer dans tous ces villages »

Vanessa Verde, enseignante

À la suite des inondations, les habitants des zones sinistrées se sont mobilisés afin de commencer à réorganiser les villes, de retrouver les personnes disparues, et de venir en aide aux plus nécessiteux. Le gouvernement espagnol a également mobilisé l’armée et débloqué des fonds d’urgence pour venir en aide aux victimes ; cependant, beaucoup ont jugé cette réponse trop lente et inadaptée, et ont exprimé leur mécontentement. Afin de mieux comprendre la situation, Le Délit s’est entretenu avec Vanessa Verde, une enseignante vivant à Valence et qui, avec sa famille, s’est mobilisée pour venir en aide aux sinistrés.

Une colère grandissante

Plus de 10 jours après les inondations, la colère des habitants des communes touchées ne diminue pas. Le 9 novembre dernier, des centaines de milliers de personnes ont défilé dans Valence pour protester contre la gestion défaillante des institutions du pays. Dans les rues de la ville, les pancartes des manifestants illustrent la colère des survivants : « Nous sommes couverts de boue, vous avez du sang sur les mains. » En chœur, ils demandent la démission du président de la région autonome, Carlos Mazón. Celui-ci avait attendu plusieurs heures avant de lancer l’alerte à la communauté. Vanessa affirme en effet que le soir du 29 octobre, « à 20h seulement, l’alerte d’urgence que l’on reçoit sur les téléphones portables s’est déclenchée. Mais à ce stade, tout s’était déjà produit : dès 18h, les gens étaient en train de se noyer dans tous ces villages ». L’agence météorologique espagnole Aemet avait de son côté communiqué les risques d’inondations plusieurs jours auparavant, et sonné l’alerte rouge dès le mardi 29 octobre au matin.

Selon Vanessa, la révolte se fait ressentir au sein de la communauté espagnole au niveau régional comme national : « Nous sommes en colère contre tout le monde. » En effet, beaucoup reprochent également au gouvernement du premier ministre Pedro Sánchez d’avoir été passif. En effet, celui-ci attendait la demande du président de la région autonome pour envoyer de l’aide militaire supplémentaire. Néanmoins, « selon la loi espagnole, lorsque plus d’une communauté est en danger, le gouvernement [central, ndlr] doit prendre les commandes. Et dans ce cas-ci, il y avait trois communautés particulièrement affectées : Valence, Castille-La Manche et l’Andalousie ». L’opinion publique concernant le Roi, quant à elle, est divisée. Si certains admirent sa venue dans les villages touchés et son soutien aux habitants dans les jours suivant la catastrophe, d’autres ont exprimé leur colère en l’accueillant avec des jets de boue lors de son passage à Paiporta, l’épicentre des inondations.

Élan de solidarité

Les inondations ont marqué une élan de solidarité importante au sein de la population, et à travers toute l’Espagne. Dans la région de Valence, des foules impressionnantes de bénévoles se sont rendues dans les villages dans l’espoir d’aider les habitants à la reconstruction de leurs communautés. Vanessa et sa famille se sont rendus dans un village près de Valence, Picaña, pour prêter main forte aux sinistrés. « C’était comme une zone de guerre », explique-t-elle. Avec émotion, elle loue les efforts de tous, mais particulièrement ceux des jeunes : « Tous ces gens ont commencé à traverser les ponts, et c’était émouvant, tous ces jeunes qui aidaient : ils les appellent maintenant la “génération cristal”. C’était impressionnant. » Sa fille Bianca, étudiante en orthodontie, s’est elle aussi rendue dans plusieurs villages pour aider les personnes dans l’incapacité de se déplacer en besoin de services médicaux. « Il y avait des personnes qui, par exemple, avaient des points de suture parce qu’elles avaient subi une opération dentaire, alors [Bianca, ndlr] est allée les retirer à leur domicile. »

Lors du nettoyage des communes, les citoyens continuent de reprocher aux gouvernements locaux et nationaux d’avoir été cruellement absents dans l’aide aux survivants et à la gestion des dégâts matériels. Dans les jours suivant le 29 octobre, l’arrivée tardive des secours et les moyens insuffisants pour reconstruire les villes ont laissé les habitants hors d’eux : « On ne voyait pas de pompiers, pas de militaires, rien ; juste des bénévoles. Juste des citoyens, comme moi, comme ma fille, comme tous les amis de ma fille, qui sont allés aider. » Selon Vanessa, le peuple se sent abandonné par son gouvernement. « C’est de là qu’est née l’expression : “Le peuple sauve le peuple” : les seuls à pouvoir vous sauver, ce sont vos voisins. »

Et maintenant ?

L’éducation est aussi directement touchée par les événements. De nombreux écoles, collèges et lycées ont été entièrement détruits par le passage de l’eau, laissant enfants, parents et enseignants désemparés. Certaines communautés tentent de trouver des solutions pour que les élèves bénéficient d’une éducation d’une manière ou d’une autre : « Il y a des endroits où des centres sportifs ont été sauvés parce qu’ils se trouvaient dans une zone plus élevée », permettant ainsi aux enseignants de les transformer temporairement en salles de classe, explique Vanessa. Mais cette initiative ne suffira probablement pas à reloger l’entièreté des nombreux élèves sinistrés.

À la suite des inondations, le premier ministre espagnol Pedro Sánchez a annoncé une aide d’urgence de plus de 10 milliards d’euros pour soutenir les victimes et les entreprises de la région. Cette aide a pour but premier de permettre la remise en état des grandes infrastructures affectées, ainsi que la restauration des logements. Bien que le premier ministre n’ait pas fait appel à l’aide des autres pays de l’Union européenne pendant les inondations (notamment aux propositions d’envoi de pompiers et d’équipes d’assistances), il a annoncé avoir pris contact avec la Commission européenne pour demander de l’aide financière auprès du Fond de solidarité européen. Vanessa soupçonne néanmoins que les aides ne soient pas aussi rapides que l’affirme le gouvernement : « Ils ont dit qu’il n’y aurait pas de bureaucratie, espérons que ce soit le cas, mais j’en doute. » Au cours des prochaines semaines, les yeux seront donc rivés sur les actions du gouvernement, et sa capacité à mettre en œuvre ses promesses aux espagnols. 


Dans la même édition