Au Délit, nous tenons nos promesses envers nos lecteur·rice·s. Bien que la section Environnement appartienne désormais au passé, et que la nouvelle section Bien-être fasse son entrée, quoi de mieux qu’un article sur l’éco-anxiété pour les relier.
Être étudiant·e à l’Université McGill n’est pas de tout repos et les sources d’anxiété sont nombreuses. Que ce soit le stress généré par la charge de travail académique, l’incertitude quant au choix d’une maîtrise, les contraintes d’un travail étudiant chronophage, ou encore l’anxiété sociale lors des prises de parole en public et des soirées étudiantes, il est parfois difficile de ne pas se laisser submerger par les pensées négatives. À toutes ces angoisses s’ajoute celle de l’éco-anxiété, définie comme un sentiment d’appréhension ressenti par une personne devant les bouleversements causés par les changements climatiques et leurs conséquences. Si ce sentiment est souvent associé aux jeunes générations, j’ai cherché à mieux comprendre comment il affectait la communauté étudiante de McGill.
Dans son livre, Under the Sky We Make, Kimberly Nicholas, professeure à l’Université de Lund en Suède, décrit cinq étapes de sentiments climatiques : l’ignorance (ignorance), l’évitement (avoidance), le pessimisme (doom), tous les sentiments (all the feels), la raison d’être (purpose). J’ai interrogé plusieurs étudiant·e·s, afin de voir si cette évolution élaborée par la scientifique du climat pouvait réellement s’appliquer aux expériences vécues par la communauté mcgilloise.
« Agir, c’est donner un sens à son existence et se sentir maître de son avenir plutôt que de le subir »
Faire l’autruche
Selon Nicholas, la première étape du processus d’éco-anxiété consiste à ignorer l’existence du réchauffement climatique et de ses conséquences sur nos sociétés. À l’ère de l’hypermédiatisation et des réseaux sociaux, il semble pourtant impossible de ne pas être conscient·e du dérèglement du climat, qui donne lieu à des images spectaculaires et toujours plus effrayantes des catastrophes naturelles extrêmes qu’il provoque. C’est pourquoi cette catégorie me semble désormais dépassée. Toutefois, il existe encore de nombreuses personnes qui décident de fuir la réalité et préfèrent ne pas en entendre parler. Anna*, étudiante que j’ai rencontrée dans un couloir du bâtiment McConnell, m’a confessé « faire l’autruche (tdlr) » quand il est question du sujet climatique.
« On m’a diagnostiqué un trouble d’anxiété, alors je suis anxieuse à propos de tout », m’a‑t-elle expliqué. Ce qu’elle lit dans les nouvelles ne l’aide pas à calmer son angoisse : « Chaque année, les catastrophes mondiales semblent s’aggraver. En ce moment, la Californie est en feu, comme c’est le cas depuis quelques années à beaucoup d’autres endroits. Il y a beaucoup plus d’ouragans. »
Elle n’est pas la seule à partager ces craintes ; Gabrielle, étudiante en psychologie, reconnaît être souvent en proie à ce sentiment : « Ça fait peur de voir les désastres naturels qui se déroulent en ce moment, et ce, de plus en plus souvent. C’est encore plus inquiétant de voir comment les politiciens à travers le monde ne font vraiment, mais vraiment pas assez pour prévenir et réduire les conséquences des changements climatiques. » Pour Anna aussi, le manque d’initiative politique laisse peu d’espoir : « Donald Trump vient d’être réélu, et je sais très bien que le changement climatique ne sera pas l’une de ses priorités. »
D’autres étudiant·e·s déplorent la passivité générale et l’attitude de certain·e·s qui préfèrent faire comme si de rien n’était. Pour Sean, étudiant en sciences politiques, « c’est un peu inquiétant de voir à quel point on est tous “cool” et détendus, comme si chaque jour n’était qu’un nouveau jour comme les autres et qu’on continuait simplement d’aller de l’avant. » Shreya, une autre étudiante en arts, reconnaît se sentir de temps en temps éco-anxieuse : « Parce que notre monde est en train de mourir lentement et qu’on ne fait rien de concret pour vraiment y remédier ».
Du pessimisme à l’action
Si certain·e·s préfèrent éviter le doom scrolling (le fait de faire défiler de manière compulsive des publications au caractère négatif sur un fil d’actualité) ou se couper entièrement des médias, d’autres considèrent que s’informer sur ce sujet est primordial. C’est le cas de Fiona, étudiante en environnement et membre du club McGill Energy Association : « Dans mes cours, j’apprends à quel point tout va mal, mais j’apprends aussi beaucoup de choses positives, alors j’essaie de trouver un équilibre. »
Selon la professeure Nicholas, il est nécessaire de ne pas rester bloqué·e à l’étape du « pessimisme » qui se traduit en un sentiment d’impuissance et de désespoir face à l’ampleur du problème. L’étape « tous les sentiments » permet d’en sortir en se rappelant de vivre dans le moment présent et ne pas sombrer dans les perspectives sombres de l’avenir. Cela permet d’accéder à l’ultime palier de l’échelle de l’éco-anxiété, à savoir le passage à l’action. Agir, c’est donner un sens à son existence et se sentir maître de son avenir plutôt que de le subir. Pour Fiona, c’est cette dernière phase de son éco-anxiété qui va déterminer son choix de carrière : « C’est ma dernière année, et même quand je pense à ma maîtrise, je ne veux pas attendre un an de plus parce que je sais à quel point il est urgent de commencer à faire des choses ». Elle considère qu’agir est nécessaire à sa santé mentale : « Je sens que si je ne fais rien, que je ne fais qu’en apprendre sur le sujet, je serais super déprimée. »
Tous·toutes les étudiant·e·s que j’ai interrogé·e·s sont d’accord pour dire que le meilleur remède à leur éco-anxiété est d’adopter des gestes quotidiens plus écoresponsables pour retrouver un élan de positivité. Gabrielle donne son astuce : « Pour faire face à l’éco-anxiété, je pense qu’il faut essayer de rester positif, parce qu’une attitude trop pessimiste risque juste de nous décourager et de ne mener à rien. Il faut essayer de faire sa part tout en tenant responsables les industries polluantes et les politiciens. » Sean achète presque tous ses vêtements en friperie, « ce qui me fait me sentir beaucoup mieux de ne pas contribuer à la mode jetable », m’a-t-il expliqué. Anna a également modifié son comportement : « J’essaie de faire ce que je peux, recycler, composter, et obtenir des produits issus de sources éthiques, mais c’est à peu près tout ce que je peux faire ».
Une responsabilité partagée
J’ai moi aussi longtemps été rongée par la culpabilité quant à mon mode de vie énergivore, mais j’ai réussi aujourd’hui à dépasser ce sentiment en me concentrant sur les choses de mon quotidien que je peux contrôler, comme le suggère la philosophie stoïcienne. Il est aussi important de reconnaître que notre capacité d’agir est limitée. Alejandra, étudiante à Desautels, admet ne plus connaître le sentiment d’éco-anxiété qu’elle connaissait avant : « Je comprends maintenant que la responsabilité est partagée et que les individus ont une petite part à jouer. Je peux faire de mon mieux pour aider à résoudre le problème global, mais si d’autres ne veulent pas changer, ce n’est pas ma responsabilité ». Shreya est du même avis : « J’ai surtout accepté que, à moins que la majorité du monde n’opère un changement, ce que je fais n’aura pas le plus grand impact sur l’environnement ». Pour l’heure, il faut encore attendre que chacun·e évolue à son rythme à travers le processus d’éco-anxiété, jusqu’à ce que tout le monde atteigne la dernière étape et qu’un mouvement collectif fasse ressentir ses effets.
Le programme Climate Wayfinding, proposant des ateliers pour former les étudiant·e·s à la maîtrise et des professeur·e·s à transformer l’éco-anxiété en action concrète, sera proposé à McGill ce semestre d’hiver.
*Nom fictif