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Quand l’amour devient poison

Retour sur la pièce Contre toi.

Eileen Davidson | Le Délit

Contre toi, la nouvelle pièce présentée au théâtre Duceppe, tirée du texte de Patrick Marber et traduite de l’anglais par Fanny Britt, plonge le spectateur dans un ballet amoureux aussi séduisant que toxique. Entre jeux de pouvoir, jalousie dévorante et désirs inassouvis, quatre personnages sont mis en scène dans un cercle amoureux aussi pervers qu’infernal.

La traduction lourde de sens du titre Closer par Contre toi donne le ton de la pièce : pendant deux heures sans entracte, le public est plongé dans le carrousel amoureux entre les personnages et leur labyrinthe d’émotions, et est vite amené à réaliser l’artificialité qui existe entre tous. Les personnages naviguent à travers jalousie, manipulation, trahison et rivalité, mais surtout, à travers un ennui profond de la vie. 

L’adaptation menée par Solène Paré joue brillamment avec la disposition de la scène, qui accueille deux plaques tournantes ajoutant à la tension charnelle régnant sur scène. Danielle, surnommée « Dan », journaliste nécrologique désabusée, est en quête d’émotions fortes dans son amour pour Alice, personnage incarnant l’archétype de la jeune hippie insouciante. Le médecin, Larry, réduit à sa libido, est lui aussi sensible aux charmes d’Alice, alors qu’il est déjà en couple avec Anna, photographe sentimentale, aux prises de ces liaisons dangereuses. 

Mention spéciale au rôle de Dan qui a été féminisé pour la pièce, et dont la profession ajoute une profondeur symbolique au récit sur scène. Reliée à la mort par sa simple occupation, Dan pose un regard blasé sur la vie pour échapper à l’ennui existentiel qui la ronge. Son lien avec la mort trouve un écho troublant dans le personnage d’Alice, et sa mystérieuse cicatrice, révélée dès les premiers moments de la pièce. Sa blessure, visible et centrale dans son discours et sa personne, devient un miroir des failles que tous tentent de masquer sous des comportements manipulateurs ou des apparences superficielles. 

« L’obsession des personnages pour leurs désirs charnels s’éternise sans véritables avancées émotionnelles »

La portée métaphorique de la pièce fait la force du dialogue qui intègre avec brio l’humour aux vérités cachées de ce drame aux frictions corrosives. Il est cependant regrettable que le personnage du médecin ait été enfermé dans le stéréotype de l’homme primaire, guidé uniquement par ses pulsions sexuelles. Réduit à son phallus, la profondeur de son rôle se voit considérablement limitée, surtout en tant que seul rôle masculin de la pièce. 

Plaques tournantes : entre bénédiction et malédiction 

Il aurait été intéressant de voir la pièce s’affranchir de la boucle répétitive où ces plaques tournantes qui font autant tourner les décors et les personnages physiquement que virevolter les dynamiques humaines dans une spirale sans fin, puisque l’histoire, bien que son intensité captive par ses premières explorations, peine à offrir de nouvelles perspectives. 

L’obsession des personnages pour leurs désirs charnels s’éternise sans véritables avancées émotionnelles. La stagnation de l’histoire, bien que pertinente pour refléter l’ironie de leur tango dansé à quatre qui se lie au décor mouvant qui tourne en rond, finit simplement par nuire à la progression dramatique et ennuyer par sa répétition. Véritable vecteur de l’illusion, le décor permet en revanche de réellement vivre l’intensité du moment, mais aussi d’y trouver une forme de liberté dans le vertige ressenti par les personnages. 

Contre toi est un tourbillon émotionnel captivant, qui réussit habilement à plonger le spectateur dans son univers de désir et de manipulation et où l’amour finit par devenir un poison corrosif dont sont victimes les protagonistes. 

Contre toi est présentée au Théâtre Duceppe jusqu’au 15 février 2025.


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