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Trop beau pour être vrai

Critique d’Une fête d’enfants de Michel Marc Bouchard.

Louis Lacombe

Si vous êtes facilement impressionnés par des scènes qui évoquent la violence ou la sexualité, ou que vous souffrez de dépression hivernale, la pièce de théâtre dramatique Une fête d’enfants de Michel Marc Bouchard, mise en scène par Florent Siaud au Théâtre du Nouveau Monde, n’est pas faite pour vous. Par contre, si vous ne craignez pas d’être confrontés à la question de l’infidélité dans un couple, de la solitude, de la laideur morale et que vous savez apprécier la profondeur d’une métaphore, ou d’un message percutant, foncez pour vous laisser sublimer par le jeu sur les planches. 

Des personnages névrosés

Bien que le titre Une fête d’enfants sonne comme une invitation à un moment joyeux nous permettant de retomber dans l’enfance, détrompez-vous ; la pièce de Michel Marc Bouchard est l’antithèse d’un conte de fées. David et Nicolas forment un couple homosexuel marié en proie à la plus grande instabilité. Avec leurs deux filles, Adèle et Marie, ils donnent l’illusion d’une famille parfaite. Jusqu’à ce que l’on comprenne que David ne se rend pas à ses cours de chorale comme il le laisse entendre… 

Le troisième personnage, Claire, une dentiste retraitée qui comble ses longues journées de solitude par la réalisation de collages, semble malheureuse dans son mariage. Avec son caractère comique et son ton léger, elle apporte une touche de légèreté à l’intrigue et un contraste au cynisme lugubre du personnage de David. C’est chez elle que se déroule la fête d’anniversaire de son petit-fils, à laquelle Adèle et Marie sont invitées. 

Que ce soit par la musique ténébreuse en arrière fond, la douleur émanant du texte, ou la noirceur des décors, cette pièce vise à susciter un malaise chez son public. Il est difficile de ne pas avoir le cafard en étant plongé dans les esprits torturés des personnages. Les sons en écho de rires d’enfants appesantissent l’atmosphère par leur discordance avec les tourments des adultes. Néanmoins, le choix artistique d’une ambiance malplaisante est ce qui fait l’originalité de la pièce, et même si le langage, parfois trop cru, manque de subtilité, il n’empêche pas l’auteur de transmettre un message fort. 

Hypocrisie généralisée

Sous ce trompe l’œil d’une après-midi festive, où les sourires sont forcés sur les visages, la vérité qu’ils cherchent à dissimuler est bien plus cruelle. Très vite, la fête vire au cauchemar lorsqu’un crapaud hideux apparaît et qu’un miroir vole aux éclats. « Le sourire, c’est le gage d’une vie réussie », s’efforcent de répéter David et Claire. Bien qu’aucun des deux ne soit heureux dans sa vie sentimentale, et qu’une impression de vide les taraude, ils refusent d’admettre leur amertume et persistent à maintenir une fausse apparence. Un brouillard épais les entoure et l’addiction de Claire au parfum de la colle peut être interprétée comme sa tentative désespérée de recoller les morceaux de sa vie, qui comme le miroir, s’est brisée. 

Tous ces efforts sont vains, car la vérité finit toujours par être dévoilée. Progressivement, alors que les secrets sont révélés, tout s‘écroule. Si tout au long de la pièce, nous vivons indirectement la fête à travers le récit qu’en fait chaque personnage, nous assistons désormais aux scènes d’explications entre les protagonistes qui se déchirent. Alors que la vérité triomphe, les décors sont plus concrets : la cuisine très réaliste du couple gay a remplacé les images abstraites projetées sur un écran en toile. Or, il est trop tard pour empêcher lespersonnages de se noyer. Les pétales qui tombaient du plafond, l’eau de la piscine du jardin de Claire, le prince qui cachait le crapaud : tout annonçait la débâcle finale. 

Une fête d’enfants est à retrouver au Théâtre du Nouveau Monde du 14 janvier au 8 février 2025.


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