Avez-vous déjà imaginé que votre projet de fin de semestre soit plus qu’une présentation PowerPoint et devienne une véritable entreprise ? Aujourd’hui, de plus en plus d’étudiants sautent le pas et se lancent dans leur propre aventure entrepreneuriale, et ce, depuis les bancs de l’université. L’entrepreneuriat, aussi stimulant qu’incertain, séduit particulièrement la génération Z, prête à travailler d’arrache-pied pour donner vie à ses idées.
Entre ambitions personnelles, mise à l’épreuve, et soutien institutionnel des incubateurs, nous nous penchons sur le mode de vie et les ressources des étudiants-entrepreneurs sur la voie du succès. Afin de plonger dans la réalité qui se cache derrière les paillettes et les slogans inspirants des start-ups, je suis allée à la rencontre d’étudiants-entrepreneurs et de responsables de l’incubateur Dobson de McGill.
Tremplin ou simple coup de pouce ?
Face aux incertitudes de l’entrepreneuriat, de nombreuses universités canadiennes telles que HEC Montréal, l’ÉTS, ou encore Concordia ont créé des incubateurs pour offrir un cadre structuré et maximiser les chances de réussite de leurs étudiants-entrepreneurs. Bien que ces structures jouent un rôle clé dans l’écosystème entrepreneurial, leur efficacité demeure un sujet de débat.
Le Centre Dobson pour l’entrepreneuriat de McGill, actif depuis maintenant 30 ans, incarne bien ce modèle. Ouvert à l’ensemble de la communauté mcgilloise, il propose des programmes structurés et progressifs allant de la conception d’une idée à des tournées internationales. Fonctionnant presque comme un cours, cet incubateur enseigne aux étudiants les étapes clés de la création et de la croissance d’une entreprise, tel que l’art du pitch devant des investisseurs.
« L’outil clé : adopter une posture introspective, se poser des questions sans relâche et accepter que l’échec, loin
d’être une finalité, est une opportunité d’apprentissage »
Selon Marianne Khalil, gestionnaire principale du Dobson Center, l’incubation universitaire présente deux atouts majeurs : un réseau facilitant les connexions avec des investisseurs et des acteurs du secteur, ainsi qu’une réduction des risques grâce à la crédibilité académique. Lors d’une entrevue, elle m’explique que de faire partie d’un incubateur permet avant tout d’avoir un accès direct vers l’industrie visée : « C’est un peu comme du match-making. » En agissant comme un sceau de qualité, l’incubateur rassure les investisseurs et offre aux étudiants un environnement propice à l’innovation. Ces avantages s’illustrent dans l’aventure de l’entreprise Arravon, cofondée par deux étudiants de McGill, qui m’ont expliqué que leur incubation leur a permis de franchir une étape importante. L’un d’eux m’a d’ailleurs confié : « Grâce au centre, j’ai pu rencontrer des investisseurs et des experts qui ont contribué à faire progresser mon projet. »
Rejoindre un incubateur est un atout non négligeable face à toutes les difficultés rencontrées lors d’une aventure entrepreneuriale. Cependant, cela ne garantit pas pour autant le succès. Bien que ces structures offrent un cadre et des conseils précieux, une grande majorité des start-ups incubées finissent tout de même par disparaître. L’entrepreneuriat reste un domaine incertain, où la persévérance et l’agilité sont essentielles. Au-delà du coup de pouce des incubateurs universitaires, la réussite dépend surtout de la capacité des entrepreneurs à s’adapter, à se démarquer et à évoluer dans un milieu de plus en plus compétitif. Pour les étudiants en particulier, réussir à créer une entreprise implique de repenser leur mode de vie afin de trouver un équilibre.
Un mode de vie à double casquette
Le quotidien des étudiants-entrepreneurs repose sur un équilibre délicat entre études et projets professionnels. En effet, bien que beaucoup se lancent initialement pour occuper leur temps libre, rapidement, leurs priorités se réorganisent : leur cursus académique est adapté, presque contraint de répondre aux exigences de leur entreprise. À l’unanimité, on constate que l’entrepreneuriat prend le pas sur les études. « Officieusement, l’entrepreneuriat, c’est mon activité principale, mais il ne faut pas le dire à voix haute », souligne une étudiante anonyme et fondatrice d’une start-up incubée. La gestion de ce double engagement demande une organisation rigoureuse. Il apparaît que les étudiants-entrepreneurs s’accordent à dire qu’il s’agit d’un projet exigeant, nécessitant un engagement total, qui finit par transformer le rapport au temps et aux responsabilités.
Mais dans ce cas pourquoi ne pas attendre pour se lancer ? Pour les trois étudiants interrogés, c’est avant tout la recherche de renouveau et de défis qui les motive. L’université représente le terrain de jeu idéal pour expérimenter et faire des erreurs. Cette période de vie, où l’entrepreneuriat ne constitue pas encore une source de revenu principal, limite les risques financiers et les aide à se lancer. Comme le souligne Xavier Niel, fondateur de la station F – un incubateur de start-ups lors d’entrevues : « le moment idéal pour lancer une start-up, c’est celui qui vous met le moins en danger, soit le confort douillet des études. » Il ajoute que « quand vous commencez [votre entreprise] à 19 ans, le risque est faible car c’est la continuité de vos études, que la start-up marche ou non. »
Au-delà des risques, l’ambition joue un rôle clé au sein des étudiants qui choisissent de se lancer : « C’est le plus gros projet sur lequel je pouvais mettre la main », explique Cyril, un étudiant en anthropologie à Concordia ayant lancé deux start-ups dans son temps libre. Cela traduit l’idée que cette opportunité représente un projet d’envergure, qui valorise pleinement leurs capacités et leurs ressources. Cependant, cette valorisation peut être mise à rude épreuve lorsque confrontée à l’échec.
Une jeunesse ambitieuse face aux échecs en entrepreneuriat
Dans le monde de l’entrepreneuriat, les échecs sont non seulement acceptés – quatre idées sur cinq n’aboutissent jamais -, mais sont considérés comme une étape essentielle du processus. Plus que des idées souvent volatiles, c’est la personnalité de l’entrepreneur et la capacité à incarner une vision dans un secteur maîtrisé qui font la différence auprès des investisseurs. « Avoir une idée, ça s’apprend. Ce que tu vends lors d’un pitch, c’est ton ambition », m’explique l’un des cofondateurs d’Arravon Technologie, présentement étudiant à McGill.
Carole Stromboni, autrice du livre Innover en pratique, explique que l’idée représente seulement 10% de l’innovation. Les 90% du chemin restant prennent une dimension profondément personnelle, incluant les premiers grands échecs. Contrairement à l’école ou au monde de l’entreprise, où l’échec peut être dilué parmi les autres, en entrepreneuriat, il semble sans excuses, ni filet de sécurité : ce que l’on crée, c’est soi-même. Cette idée met l’estime de soi à rude épreuve, imposant une capacité à prendre de la distance et se détacher progressivement des échecs. Cyril s’est lancé dans l’entrepreneuriat en fondant Meoria et Jeuno, deux start-ups dédiées à la jeunesse, connaissant à la fois des réussites et des échecs. Il m’explique que la gestion émotionnelle de ces échecs s’avère un long apprentissage, mais demeure essentiel au succès sur le long terme : « Ce n’est pas parce que ça ne fonctionne pas que je ne suis pas fait pour ça. »
Même si l’entrepreneuriat attire une large foule séduite par le prestige, seuls quelques-uns, armés de résilience, parviennent à se démarquer. L’outil clé : adopter une posture introspective, se poser des questions sans relâche et accepter que l’échec, loin d’être une finalité, est une opportunité d’apprentissage. Ainsi, la frontière entre succès et échec se floute, les hauts comme les bas apportant de précieuses leçons.