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Découvrir le quotidien des professeur·e·s‑chercheur·se·s

Discussion avec Brendan Szendro et Barry Eidlin.

Stu Doré | Le Délit

Trouver un équilibre entre l’enseignement et la recherche est un défi quotidien pour les professeur·e·s‑chercheur·se·s. Ces deux vocations, souvent guidées par les intérêts individuels et les habitudes de travail des professeur·e·s, demandent une gestion rigoureuse de leur temps et des différentes tâches. Comment ces professionnel·le·s parviennent-ils·elles à jongler avec leurs multiples responsabilités ? Grâce à deux témoignages de professeurs en sciences sociales et politiques, menant leurs propres projets de recherche, j’ai pu avoir un aperçu des routines, des défis, et des stratégies qu’ils adoptent pour concilier leur double métier. J’ai discuté avec le professeur Brendan Szendro, intéressé en recherche comparative sur les gouvernements et la politique, et le professeur Barry Eidlin, sociologue de recherche historique comparative sur les sujets de classes, inégalités, et changements sociaux. 

Au quotidien

Le quotidien du domaine varie beaucoup en fonction de l’horaire et des responsabilités de chacun. Par exemple, combien de cours donnent-ils durant le semestre, combien d’étudiant·e·s ont-ils par classe, ont-ils des assistant·e·s, etc. Szendro explique : « Ce semestre, j’enseigne trois cours, donc, à la place de travailler sur la recherche tous les jours, j’y dédie quelques jours entièrement. Les étés sont plus productifs, parce qu’il y a moins d’obligations liées à l’enseignement (tdlr) ». De plus, relayer les tâches à une équipe de recherche, comme le fait Eidlin, allège sa charge de travail, lui permettant de travailler sur plusieurs projets et de trouver un équilibre avec ses responsabilités de professeur. 

Eidlin explique : « Il y a un rythme à la recherche. Il y a l’étape où on conçoit le projet, on développe les idées, on récolte les données, puis il y a l’analyse et la rédaction… mais en vérité, ce n’est pas aussi linéaire. Chaque projet a son propre rythme et chacun a ses contraintes. » La collecte de données qualitative – c’est-à-dire des entrevues individuelles ou en groupe, des questionnaires, et autres – est la méthode la plus courante en sociologie. « Je ne m’assois pas devant l’ordinateur pour faire des calculs et des analyses statistiques, c’est plutôt de la lecture, de la réflexion, de l’analyse des documents, de la recherche des tendances, faire la comparaison entres différentes perspectives. » Tout ce processus demande plus de temps et d’efforts que la collecte de données quantitatives, qui consiste à recueillir des nombres et les codifier pour en faire des statistiques.

Pour mieux séparer travail et vie personnelle, Szendro fréquente un café de son quartier. « Certains jours durant l’été ou le congé d’hiver, je commence la journée en allant à un café prendre quelques notes, ce qui est super relaxant », dit-il. On pourrait définir le café de third space – soit un endroit qui n’est ni la maison (first space), ni le bureau (second space), mais un troisième espace consacré aux loisirs, au social, et dans ce cas-ci, à la recherche. Ce déplacement physique permet au cerveau d’associer chaque lieu avec un état d’esprit spécifique et d’être plus productif. 

Être professeur et chercheur 

Szendro partage : « Pour certaines personnes, [être professeur et chercheur] s’agit de choses largement distinctes, mais pour d’autres – et c’est l’approche que j’utilise – la recherche constitue la base de ce que nous enseignons. À ce stade, cela devient une question de traduction », afin de rendre la matière accessible autant aux sphères de chercheur·se·s qu’aux étudiant·e·s. Il ajoute que les recherches demandent une approche plus technique et spécialisée, tandis que l’enseignement demande une forme plus éloquente afin de captiver un auditoire.

Pour les nouveaux·lles diplômé·e·s, faire de la recherche permet d’élargir les possibilités de carrière au delà de l’enseignement. Szendro développe que les possibilités d’avancement varie selon ses objectifs personnels et cela l’accorde plus d’indépendance dans la sélection de ses projets. Autant d’indépendance peut être source de stress au début, donc l’enseignement donne une structure sur laquelle se reposer. Finalement, les modes de travail pour les recherches et la structure de l’enseignement s’équilibrent mutuellement. 

« C’est comme si on escalade une montagne, et on arrive à ce qu’on pense être le sommet, mais à travers les nuages on voit qu’il y a encore du chemin à faire »
Barry Eidlin, professeur-chercheur de sociologie

Les hauts et les bas

Eidlin partage les craintes des nouveaux·lles diplômé·e·s, qui ont souvent peur de ne pas parvenir à trouver un sujet de recherche, qui ne savent pas où commencer et qui se perdent dans la foule de chercheur·se·s. Il avoue : « J’avais des craintes de ne pas savoir quoi faire, et maintenant j’ai trop à faire. Ça fait en sorte que c’est difficile de poursuivre [les projets] tous en même temps, alors il faut faire des sacrifices. » Il ajoute qu’il faut prioriser quel projet et à quel moment le commencer en fonction de sa pertinence et de sa spécialisation professionnelle. En tant qu’étudiant·e, rendre sa thèse de doctorat semble être l’aboutissement. « C’est comme si on escalade une montagne, et on arrive à ce qu’on pense être le sommet, mais à travers les nuages on voit qu’il y a encore du chemin à faire », décrit Eidlin. Szendro, pour sa part, atteste : « Lorsque vous êtes fier d’un résultat, vous avez vraiment le sentiment d’avoir contribué à l’évolution des connaissances et vous avez le sentiment d’avoir découvert quelque chose d’unique. Cela semble profondément important. »

Tandis que ses recherches portent souvent davantage sur l’histoire, un de ses projets traite d’événements actuels. Je me demandais si, à cause du temps que prend le processus de publication, il est possible que la recherche ne semble pas aussi pertinente une fois publiée. Eidlin explique : « J’ai confiance que les événements que j’étudie actuellement seront toujours importants dans 5 à 10 ans. Je dois faire les recherches en ce moment, mais les trouvailles seront pertinentes dans le futur. »

Le processus d’évaluation par les pairs (peer-review)

Dans certains secteurs de recherche, les revues sont davantage spécialisées. Par exemple, en sociologie, il existe des revues sur la sociologie politique, la sociologie de la famille, des mouvements sociaux, de la vie urbaine, la criminologie, la culture, etc. Il est important pour les chercheur·euse·s de considérer leur auditoire lorsqu’ils·elles établissent leur projet. Cependant, il est possible que la revue rejette leur projet, donc il est préférable d’en sélectionner plusieurs, au cas où. Comme le dit Eidlin : « Une partie intégrale de la vie académique, c’est le rejet. » Un appel aux critiques, qui ont la possibilité d’accepter ou de rejeter la demande. Il ajoute qu’il faut prendre en compte que les chercheur·se·s prennent de leur temps pour donner des évaluations à d’autres projets et ne sont pas rémunéré·e·s pour ce travail.

L’équilibre entre passion et défis 

Pour tout dire, l’équilibre entre l’enseignement et la recherche est un défi constant pour les professeur·e·s‑chercheur·se·s. Entre les exigences de collecte de données, la rédaction, l’évaluation par les pairs, et les multiples révisions, ces professionnel·le·s jonglent entre de nombreuses responsabilités qui demandent beaucoup d’organisation et de motivation dans leurs quotidien. Malgré les obstacles et les rejets, le rôle de chercheur·se contribue de manière significative à l’avancement des connaissances et à l’enrichissement des enseignements. Ces efforts, bien que souvent invisibles, façonnent les disciplines académiques et la société en général.


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