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Les gardiens de la démocratie

Démystifier la pratique et l’encadrement du lobbyisme québécois.

Eileen Davidson

Le lobbyisme a un problème de personnalité. L’évocation seule du terme rappelle une pléthore de scandales pharmaceutiques (Purdue Pharma), financiers (Crise financière de 2008) ou tabagiques (Affaire Dalli) ; il est, dans l’imaginaire commun, une gangrène sociale cupide. Les reportages sensationnalistes qui vilipendent cet instrument démocratique se concentrent sur un marché dérégulé, voire anarchique – celui des ÉtatsUnis. La mondialisation à laquelle la sphère médiatique est soumise place donc l’ensemble des lobbys et leurs représentants dans une catégorie artificiellement homogénéisée, ignorant les efforts des différents régimes pour l’encadrement de la pratique. Au sein d’une société majoritairement méfiante de la légalité et l’intégrité du lobbyisme et des titulaires de charges publiques (TCP), comment scinder le Québec de l’exemple américain ? Présenter le cadre réglementaire québécois – en opposant ses modalités à la perception négative de jeunes universitaires – peut permettre de mettre en lumière le paysage du lobbyisme d’ici. Ainsi, nous saurons si la haine viscérale envers le lobbyisme est justifiée.

Comprendre le système québécois

Si l’on se penche sur les statistiques avancées québécoises, il va sans dire que ce marché parapolitique représente un paradis du plus offrant de par sa nature purement entrepreneuriale. Il ne faut pourtant pas confondre cette flagrante iniquité pour un abus de pouvoir, de confiance ou bien un manquement des élus à leur promesse d’intégrité. L’industrie du lobbyisme est rigoureusement encadrée par Lobbyisme Québec (LQ) – sous-division de l’Assemblée nationale – depuis 2002. Le mot d’ordre : transparence. S’il se révèle sociétalement impossible de combler l’écart des richesses et son influence dans l’accès aux élus, LQ s’assure d’une divulgation complète de toutes les tentatives de lobbyisme effectuées dans la province. Le commissaire au lobbyisme, Jean-François Routhier, œuvre sans cesse pour mettre à jour, réformer, populariser et perfectionner la Loi sur la transparence et l’intégrité en matière de lobbyisme (LTEML). La plateforme de divulgation Carrefour Lobby Québec est primée, moderne, facile d’accès, mais honteusement inconnue. Il semble donc que le problème ne repose pas dans un laxisme législatif, mais plutôt dans une méconnaissance des mécanismes mis en place pour la protection de l’État de droit québécois. Il s’agit donc de comprendre si les jeunes universitaires impliqués en politique sont insatisfaits et trouvent l’effort législatif trop faible ou bien s’ils basent leurs jugements du lobbyisme sur des perceptions injustifiées et externes au Québec.

« La tendance universitaire identifie non pas un manque de transparence, mais plutôt un partage imparfait des pouvoirs et une méconnaissance des ressources de divulgations comme étant la problématique principale »

L’encadrement législatif

La transparence n’est-elle donc que factice si son existence reste inconnue par les masses ? À quoi bon la divulgation du moindre murmure d’un lobbyiste envers un élu si personne ne sait comment l’entendre ? Selon Eloïse, étudiante en développement international et en environnement à McGill, le problème est bifocal : l’accès à l’information est imparfait et les visées du lobbyisme ne mènent pas à une amélioration des conditions sociales de la population générale. Elle avance que « même si des mécanismes de contrôle existent, le fait même qu’ils soient inconnus du public rend leur efficacité risible », affirmant elle même n’avoir jamais consulté les ressources de transparence telles que CLQ. De plus, « des milieux sous-subventionnés ou moins financés, comme les organisations non gouvernementales et autres organisations environnementales, sociales, communautaires » voient leur accès aux élus complexifié à cause de lobbyistes qui accaparent l’agenda démocratique. Bogdan, étudiant en sciences politiques à McGill, soulève le problème suivant face au lobbyisme : « l’influence des lobbys [américains, ndlr] ne cesse d’augmenter depuis l’arrêt Citizens United v. FEC (2010) et a pris des proportions hallucinantes dans les dernières années. »

Il supporte ainsi l’idée que le lobbyisme américain est endémique au système, parfois à son détriment. Cependant, il note une lueur d’espoir pour le Québec, alors qu’il explique que la province se débrouille assez bien, citant des outils comme « un registre public assez complet […] et un système de vérification rigoureux. » 

La tendance universitaire identifie non pas un manque de transparence, mais plutôt un partage imparfait des pouvoirs et une méconnaissance des ressources de divulgations comme étant la problématique principale. Bien que le modèle législatif québécois soit incroyablement avancé et muni de multiples organes de vérification de la conformité du lobbyisme, ce dernier garde sa réputation négative en raison des objectifs qu’il poursuit. Il paraît impossible d’enrayer l’attitude négative face au lobbyisme – même auprès de jeunes universitaires dont les intérêts académiques s’alignent avec des questions d’administration gouvernementale. Sachant que, comme le dit Eloïse : « le lobbyisme est inhérent, et dans une certaine mesure souhaitable dans le démocratie ; le réel problème, ce sont les manigances et autres actes frauduleux », il faut se pencher sur des façons de rendre le processus toujours plus paritaire et transparent. 

Le futur d’un lobbyisme transparent

L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) – organisme œuvrant dans l’avancement dans la recherche socio-économique et la compilation statistique – recommande une multitude d’ajustements réglementaires qui pourraient faire toute la différence pour ce qui est de la confiance envers le processus démocratique. Ils proposent un meilleur encadrement des normes d’après-mandat – empêchant l’effet des « portes tournantes » chez les TCP et les abus de pouvoir et d’influence. L’organisation fait également la promotion de l’empreinte législative, qui divulgue publiquement et au sein de chaque projet de loi l’influence exacte de chaque groupe de représentation d’intérêts. Après avoir été informée de ces recommandations, Eloïse a semblé plus réceptive, affirmant que : « la meilleure visibilité et transparence ne peut qu’être bénéfique, » ajoutant qu’il fallait rester le plus loin possible du « modèle américain ».

Des leçons à tirer ?

Que faut-il donc retenir de cette consultation étudiante ? Il semblerait que le lobbyisme soit craint non pas pour sa seule pratique, mais pour les écarts éthiques qui y sont souvent attribués. En renforçant le cadre normatif et législatif actuel, il serait possible de rassurer la population sans pour autant que cette dernière ait l’impression d’être dupée. Malgré l’effritement de la confiance envers les institutions démocratiques, force est de constater que tout n’est pas perdu. Bien que le lobbyisme souffre d’un problème de personnalité, on le tolère, on le comprend et éventuellement on l’adoptera pleinement. Le Québec est sur la bonne voie en ce qui a trait à sa réforme de la LTEML : il doit continuer de surveiller et punir les contrevenants ainsi que s’assurer de divulguer de manière accessible et beaucoup plus publique les activités de lobbyisme. La méfiance est un problème d’accès. Il suffira de donner aux Québécois ce qu’ils désirent, ce qui les aidera à comprendre le côté essentiel du lobbyisme et la représentation d’intérêts. Les étudiants ont parlé : c’est au tour du Québec de se rendre digne de son titre de démocratie fonctionnelle et véritablement transparente !


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