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Overthinking : la tourmente des étudiants

Peut-on faire taire ses pensées négatives ?

Stu Doré | Le Délit

Que ce soit les notifications Outlook de myCourses, celles d’un message Instagram ou d’une nouvelle publication sur LinkedIn, les avertissements sonores nous rappelant nos obligations et préoccupations sont omniprésents. Toutefois, il arrive qu’un brouillard tapageur, encore plus désagréable, les recouvre tous pour envahir notre esprit trop souvent stimulé. Ce bourdonnement est provoqué par la rumination de nos pensées, impossibles à faire taire, qui nous rongent de l’intérieur.

Il m’a fallu des années pour finalement réussir à plonger dans une piscine. Chaque été, alors que je me retrouvais face à l’eau, prête à m’élancer, fléchissant les jambes pour me propulser, je coupais soudainement mon élan, assaillie par un flot de pensées paralysant. Et si je me cognais contre le fond de la piscine ? Ou que je faisais un plat ? En proie au doute, je finissais toujours par faire un saut en bouteille. Ce n’est qu’une fois où j’ai décidé de me précipiter du plongeoir sans réfléchir que j’ai réussi à effectuer mon premier plongeon. Dans la vie, la rumination mentale nous empêche parfois de faire le premier pas lorsqu’on est amoureux, ou d’oser saisir les opportunités quand elles se présentent, laissant place au regret. Et si trop penser nuisait à notre santé mentale ? 

Pour mieux comprendre le fonctionnement de la rumination mentale, aussi connue sous le terme anglais overthinking, et ses effets sur les étudiants, je me suis entretenue avec la psychologue Mélanie Bourdette, membre de l’Ordre des psychologues du Québec (OPQ).

Performer à tout prix

« Penser, c’est plutôt une bonne chose », rappelle Mélanie Bourdette, car « cela signifie que notre cerveau fonctionne bien ». Néanmoins, si la rumination mentale a un côté désagréable, c’est qu’elle prend la forme d’une « pensée à connotation négative qui va tourner en boucle et se répéter ».

‚Michaela, étudiante à McGill, m’a avoué ruminer constamment : « À propos de l’école, pas vraiment des relations. Juste la performance académique (tdlr) ». Son témoignage confirme les observations de Mélanie, qui a constaté parmi sa clientèle étudiante la prévalence de pensées négatives reliées à la performance, telles que : « Je ne vais pas y arriver, je ne suis pas assez bonne. »

Christina, une autre étudiante mcgilloise, remarque qu’il lui arrive souvent de ruminer par rapport au passé ou à ses choix de vie. La psychologue explique que les pensées négatives sont souvent disproportionnées par rapport à la situation actuelle, lorsqu’elles sont associées à un sentiment de regret ou de culpabilité, par exemple : « On n’a pas de machine à remonter dans le temps. Or, on continue à penser à une situation qui s’est produite il y a une heure ou trois ans, alors même qu’on ne peut pas y revenir ».

Qu’est-ce qui provoque la rumination ? 

« La rumination est associée à l’anxiété », explique la psychologue, « ainsi, tous les facteurs déclencheurs de l’anxiété peuvent favoriser ou nous rendre beaucoup plus sensibles au fait de ruminer ». Ce sentiment, qui apparaît dans le nouveau volet du film d’animation Sens dessus dessous (ou Vice-versa), est bien connu des étudiants. En effet, pendant les périodes d’examen, leurs nerfs sont mis à rude épreuve. L’anxiété est alimentée par diverses peurs : « la peur de s’être trompé, la peur qu’il y ait des conséquences, la peur de ne pas performer. » L’anxiété est également corrélée à l’humeur, c’est pourquoi Mélanie Bourdette explique que « parfois, lorsqu’on a une humeur un peu plus basse, typiquement lors des déprimes saisonnières, les circonstances sont plus propices à ruminer ». Christina l’a remarqué, car bien qu’il lui arrive de ressasser des pensées négatives à n’importe quelle période de l’année, elle est toujours surprise « quand le printemps arrive et que le soleil sort, je me sens comme, “wow” », alors qu’elle se rend compte combien l’hiver l’a rendue morose.

« Ce qui cause de l’anxiété et amène à ruminer, c’est lorsque l’image que l’on a de soi s’est détériorée »

La fatigue peut aussi être une cause indirecte de la rumination : « Bien qu’un manque de fer ne génère pas de la rumination, il entraîne de la fatigue physique, donc une sensibilité plus accrue aux émotions, notamment la peur qui provoque l’anxiété », indique la psychologue. La fatigue rend plus difficile la gestion de nos émotions, d’où l’importance de maintenir une alimentation saine et équilibrée, un bon sommeil, et la pratique d’une activité physique, non seulement pour se sentir bien dans son corps, mais aussi dans sa tête.

On pourrait penser qu’un manque de confiance en soi puisse faciliter le développement de pensées négatives, mais c’est plutôt l’estime de soi qui influence la rumination. Mélanie Bourdette explique la différence entre les deux termes : « En psychologie, on différencie la confiance en soi de l’estime de soi. Parce que la confiance en soi, c’est notre capacité à faire quelque chose. J’ai confiance en moi, ça veut dire que je sais que je peux faire quelque chose. L’estime de soi correspond à l’image que l’on a de soi, qui n’a rien à voir avec notre capacité de faire. » Ce qui cause de l’anxiété et amène à ruminer, c’est lorsque l’image que l’on a de soi s’est détériorée. « Parce que si on sait qu’on ne sait pas faire, on ne va pas ruminer. Je sais que je ne sais pas piloter, donc je n’ai aucune confiance en ma capacité à piloter un avion », illustre-t-elle. Mélanie Bourdette explique que le rôle du cerveau est d’enregistrer des informations et de les répéter en boucle pour qu’on les retienne. Ainsi, un environnement académique stimulant, combiné à des attentes personnelles ambitieuses, nourrit parfois la rumination.

Modeler plutôt que contrôler 

« Je ne dirais jamais que cela m’empêche vraiment de me mettre en avant. C’est juste que j’ai l’impression que c’est un obstacle mental », reconnaît Michaela sur la rumination. Selon Mélanie Bourdette, la rumination mentale peut créer « une réelle souffrance ». Elle continue : « Lorsqu’on est trop stressé par quelque chose, on perd en performance, on n’est plus capable de faire les choses. »

« Il est impossible d’arrêter de penser parce qu’il n’y a qu’une seule situation où on arrête de penser, c’est lorsqu’on est mort »

La rumination mentale touche aussi bien les hommes que les femmes. Toutefois, la psychologue observe que « les femmes ont plus tendance à extérioriser l’anxiété et la rumination, contrairement aux hommes qui, même pour plein d’autres troubles mentaux, vont plutôt l’intérioriser ». Alors, peut-on contrôler ses pensées négatives ? Selon Mélanie, il est plus juste de dire que l’on peut gérer ses pensées plutôt que les contrôler : « Contrôler une émotion, c’est lui mettre des barrières et pouvoir la faire taire. » Or, il est impossible d’arrêter de penser « parce qu’il n’y a qu’une seule situation où on arrête de penser, c’est lorsqu’on est mort ». En revanche, en thérapie de psychologie, « on essaye plutôt de reformuler nos phrases avec une structure positive ». Aussi, on remplace « je ne suis pas compétente » par « je suis compétente sur un élément, mais peut-être que je pourrais m’améliorer sur autre chose ». Lorsque l’on se force à ne pas penser à un ours blanc pendant vingt secondes, ce dernier s’impose à notre esprit. Cela montre que notre cerveau ne « comprend pas la négation » et qu’il vaut mieux « lui dire ce qu’on a envie de penser ».

Cependant, il est parfois difficile de croire en de belles phrases positives pour s’échapper des pensées négatives. Une autre stratégie pour extérioriser nos pensées consiste à leur associer un aspect comportemental, comme en les mettant par écrit. C’est une méthode d’évitement positif contrairement aux distractions qui font culpabiliser comme lorsque l’on fait défiler son fil d’actualités sur Instagram. Christina nous partage son astuce : « Je pense qu’il faut mettre les choses en perspective, se rendre compte que ce n’est pas la fin du monde, quelle que soit la décision prise. » Après tout, elle n’a pas tort, mieux vaut se jeter dans le bain que d’avoir des regrets.


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