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Tết loin de chez soi

Entre nostalgie, adaptation et redécouverte.

Vu Thien An (Thea) Nguyen

C’est ma quatrième année à célébrer le Tết loin de chez moi. Vivre le temps du Tết, plutôt que de le fêter. Une étrange indifférence s’installe en moi et elle me fait peur : étreinte oppressante à l’idée de me perdre. L’excitation usuelle qui m’habite est désormais inexistante. Je repense au Nouvel An 2021 célébré à Hanoï, quand je suis rentrée dans la maison après avoir « franchi son seuil ». Selon cette coutume, la première personne à le faire, le premier jour de la nouvelle année, doit être choisie à l’avance, en fonction des signes du zodiaque porteurs de chance. Je crois que c’était mon frère qui était le premier à entrer. Chez nous, on achetait aussi des thés aux perles. Une tradition simple et familiale, en raison de mon anniversaire et de celui de mon frère qui tombaient étrangement – deux années de suite – le jour du Nouvel An. Mon père me serre dans ses bras, me souhaitant la santé et le bonheur. Je me souviens vivement lui avoir dit que ce serait la dernière fois, pour très longtemps, que je fêterais le Nouvel An à la maison.

Tous les objets, parfums et sensations me reviennent tendrement. Lì xì, enveloppe d’argent porte-bonheur. La rue Hàng Mã, ornée de décorations festives. Occasionnellement, les gens vêtus de áo dài [robe traditionelle vietnamienne, ndlr]. Il m’est difficile de décrire cette excitation palpable suspendue dans l’air frais, comme si tout autour était baigné dans une atmosphère festive. Chez nous, il y a toujours un kumquat, un petit abricotier, et mon favori : un grand pêcher forestier, rose pâle et non rose vif, qui occupe toute l’entrée menant au salon. Sur la table du salon, une multitude de grignotines : des fruits confits (ô mai), des bonbons, des chocolats et des biscuits, mais mes préférés ont toujours été les graines de citrouille et les pistaches. Une théière, constamment maintenue au chaud, car la maison ne cesse de recevoir des visiteurs. Pour le repas, on mange des rouleaux impériaux (nem), du poulet bouilli, et surtout du bánh chưng, un gâteau fait de riz gluant, rempli de haricots mungo et de viande. Chez nous, le bánh chưng se mange avec du chè kho, un pudding sucré à base de ces mêmes haricots, spécialité de ma grand-mère. Il y a des chansons de fête qui résonnent partout : à la télé, dans la voiture de mon père, dans la rue, dans les cafés et les restaurants. Pourtant, le matin du Nouvel An, toute la ville se plonge dans un silence paisible et tellement doux. On sort pour rendre visite à la famille. Le deuxième jour, on part à la campagne pour brûler des encens en l’honneur de nos ancêtres.

Présentement, à Montréal, cette excitation et cette joie vibrante sont absentes. Je sors de l’école à 19 heures, la nuit étincelée de cristaux de neige. Il ne fait pas froid, du moins pas ce froid qui giflait comme au Vietnam, même si la température là-bas ne descendait que rarement en dessous de 10°C. Ici, tout est blanc.

Dans mes souvenirs, tout était rouge.

Une nostalgie amère s’empare de moi. Il est difficile de parler des expériences qu’on a vécues lorsqu’elles ne sont plus que des souvenirs. Des souvenirs teintés de mélancolie. Du regret de ne pas avoir vécu pleinement ces moments, de ne pas les avoir appréciés lorsque j’en avais l’occasion. D’une envie persistante de revenir en arrière, de redevenir enfant au temps des fêtes, innocente et insouciante. De jouer des pièces de piano pour ceux qui nous rendent visite, de cueillir les pétales de mon arbre fruitier préféré tombés au sol. De manger des plats de Tết tous les jours durant le temps des fêtes.

L’hiver montréalais m’a été pénible. Pourtant, cette année, je le trouve bienveillant. Le froid me caresse. Je pense aux travaux qui m’attendent. Ils me rappellent pourquoi tout cela en vaut la peine. Il est temps pour moi de créer mes propres traditions, loin de mon pays natal, loin de ma famille. Mais une partie en moi craint cet élan. Je m’accroche à mes souvenirs, je mets des chansons que j’écoutais autrefois. Je casse mes pistaches. Elles n’ont plus le même goût qu’à l’époque où j’étais enfant. Les moments de ma jeunesse se transforment en un rêve lointain, auquel je reviens sans cesse, tentant de revivre ce que j’étais. J’essaye de revoir ma maison pendant le Tết, encore et encore, espérant qu’elle y reste à jamais si j’y songe assez longtemps.

Comme Verlaine qui dit,
« Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure »


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