Aller au contenu

Un double hommage dans un climat tendu

McGill commémore l’Holocauste et l’attentat de la grande mosquée de Québec.

Vincent Maraval | Le Délit

L a semaine dernière, l’Université McGill a souligné deux anniversaires tragiques : les 80 ans de la libération du camp de concentration d’Auschwitz, le 27 janvier, et les huit ans de l’attentat islamophobe contre le Centre Culturel Islamique de Québec (CCIQ), le 29 janvier. Pour l’occasion, les docteures Joanna Sliwa et Nadia Hasan ont animé des conférences destinées à la communauté universitaire et au grand public.

Les deux conférences se sont déroulées dans un climat tendu à l’Université McGill, devenue un foyer de tensions depuis les attentats du 7 octobre 2023. Des manifestations fréquentes opposent des groupes pro-palestiniens et pro-israéliens, tandis que l’islamophobie et l’antisémitisme connaissent une recrudescence, suscitant l’inquiétude des étudiants. Ce contexte chargé transparaissait lors des deux événements.

Dès l’ouverture des cérémonies, Angela Campbell, première vice-provost intérimaire aux études et à la vie étudiante, a insisté sur l’importance du dialogue et du respect mutuel, dans une formule prudente et identique pour les deux événements : « La commémoration de 2025 se déroule dans un climat d’agitation. Notre propre communauté a connu une période difficile. Il est important de donner la priorité à la démocratie, au dialogue et à la dignité (tdlr). »

Souvenirs de l’Holocauste : un devoir de mémoire

Le 27 janvier, la salle de bal du bâtiment Thompson était pleine à craquer pour la conférence de Joanna Sliwa, historienne de l’Holocauste. Angela Campbell a ouvert la cérémonie en réaffirmant son « engagement inébranlable à préserver la mémoire des victimes, à faire entendre leurs récits ainsi que ceux de leurs descendants et alliés, et à faire perdurer leur héritage ».

La commémoration a été l’occasion de mettre un visage sur les atrocités de l’Holocauste, à travers le témoignage d’Elizabeth Pranov, étudiante en 3e année. Pour cette dernière, dont la grand-mère et l’arrière-grand-mère sont toutes deux survivantes de l’Holocauste, la tragédie reste bien vivante. Elizabeth a rappelé l’importance de l’éducation à ce sujet, qui nous pousse « à affronter des vérités dérangeantes, à écouter les récits de ceux qui ont survécu et de ceux qui n’ont pas survécu, ainsi qu’à amplifier les voix de ceux que nous n’avons peut-être jamais entendus auparavant ».

« Les balles de fusil ne font pas de distinction. Elles ne demandent pas si vous êtes un médecin, un intellectuel, un enseignant ou un père. Les balles ne demandent pas s’il y a un enfant qui vous attend à la maison »

Un autre visage mis en lumière lors de la cérémonie était celui de Josephine Janina Mehlberg, figure centrale du livre The Counterfeit Countess de Joanna Sliwa, publié en 2024. Cette Juive polonaise a usurpé l’identité d’une aristocrate chrétienne entre 1941 et 1945, sauvant des milliers de vies en fournissant nourriture, médicaments et lettres clandestines aux détenus du camp de Majdanek. Comme l’explique Sliwa, « Janina n’a jamais accepté un refus comme une réponse définitive ; lorsqu’on accédait à ses demandes, elle y voyait une invitation à en demander encore davantage ». Selon son mari Henri Mehlberg, Janina a toujours été guidée par une formule mathématique très simple : « Une vie a moins de valeur que plusieurs vies. Et sa propre vie n’aurait aucune valeur si elle ne l’utilisait pas pour sauver celles des autres. »

La période de questions qui a suivi l’intervention de Silwa a donné lieu à des échanges particulièrement vifs. Une étudiante a notamment interrogé la conférencière sur la possibilité d’un nouvel Holocauste à notre époque, tandis qu’un homme arborant un keffiyeh, symbole de la résistance palestinienne, a critiqué ce qu’il a décrit comme un « projet politique visant à particulariser l’Holocauste », estimant qu’un tel traitement était inapproprié. Face à ces interventions, Silwa a tenu à rappeler l’importance d’analyser chaque événement dans son propre contexte, mettant en garde contre les parallèles hâtifs et réducteurs.

Hommage aux victimes de l’attentat de Québec

Le 29 janvier, une atmosphère de recueillement régnait dans le bâtiment Leacock, où la communauté mcgilloise s’est rassemblée pour honorer les six victimes de l’attaque dans la grande mosquée de Québec en 2017. Un verset du Coran portant sur la compassion, chanté par le professeur Aimen Moussaddy, a ouvert la cérémonie. Les participants portaient un carré de tissu vert, couleur du tapis de la mosquée de Québec, en signe de solidarité. 

Khadijatu-Dimalya Ibrahim, récipiendaire de la bourse commémorative du Centre Culturel Islamique de Québec, a exprimé ses craintes persistantes face à l’islamophobie au Québec. « Cela aurait pu être n’importe lequel de nos pères, de nos mères ou de nos frères. Les balles de fusil ne font pas de distinction. Elles ne demandent pas si vous êtes un médecin, un intellectuel, un enseignant ou un père. Les balles ne demandent pas s’il y a un enfant qui vous attend à la maison », a déclaré Ibrahim.

La professeure Nadia Hasan, de l’Université York, a dénoncé la persistance de l’islamophobie et souligné l’importance des commémorations : « elles sont si importantes et ont un tel potentiel de changement. Elles sont essentielles pour les personnes qui cherchent à guérir du traumatisme causé par des attaques islamophobes comme celles qui ont eu lieu à Québec. »

La commémoration s’est conclue par une procession des élèves jusqu’au Pavillon Dawson, où ils ont déposé six roses sur la plaque honorant les victimes de l’attentat du CCIQ.

Un engagement contre l’intolérance

Ces deux conférences s’inscrivent dans le cadre du Programme de prévention de l’islamophobie et de l’antisémitisme (PPIA), lancé par McGill en 2022, en réponse à l’augmentation d’étudiants et d’employés se disant victimes de marginalisation ou de discrimination religieuse sur le campus. Un rapport publié la même année par Angela Campbell et Fabrice Labeau, vice-recteur de l’administration et des finances, recommandait que l’Université mette en place des mesures concrètes pour améliorer la compréhension des traditions juives et musulmanes, dans le but de lutter contre les préjugés et l’intolérance religieuse. L’organisation de ces conférences commémoratives s’inscrit donc pleinement dans cette démarche éducative.


Dans la même édition