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L’abandon des travailleurs étrangers temporaires

Précariser pour mieux s’en laver les mains.

Stu Doré | Le Délit

L e ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale a annoncé le 23 janvier dernier qu’à compter du 1er février 2025, les travailleurs étrangers temporaires n’auraient plus accès aux services publics d’aide à l’emploi. Cette décision s’inscrit dans une vague plus importante de mesures restrictives sur l’immigration – on peut notamment penser aux mesures visant les étudiants étrangers annoncées en 2024 – qui cherchent visiblement à limiter l’afflux de résidents non permanents au Québec. Cette politique soulève de véritables questions sur la justice et la logique derrière les politiques d’immigration de la Coalition Avenir Québec (CAQ), qui continue de reléguer au second plan la population immigrante québécoise.

Contre-intuitive et injuste

Il semble absurde de refuser des services d’aide à l’emploi à des personnes dont le statut est défini par leur capacité à travailler. L’existence même des travailleurs étrangers temporaires repose sur leur contribution à l’économie du Québec. Pourquoi leur retirer un soutien qui les aiderait à mieux intégrer le marché du travail ? C’est une décision qui ne tient pas debout d’un point de vue économique ou social. Le gouvernement prétend favoriser l’emploi des résidents permanents et des citoyens, notant une hausse du taux de chômage au Québec. D’ailleurs, en ce qui concerne le taux de chômage au Québec, il se trouvait en janvier à 5,4%, demeurant largement inférieur au taux de chômage canadien de 6,6%. Il a même connu un recul depuis novembre dernier, alors qu’il atteignait les 5,9%.

Malgré tout, cette politique ne répond pas aux besoins réels du marché du travail. Au lieu d’encourager une intégration efficace des travailleurs temporaires, on leur complique l’accès à l’information et aux ressources essentielles. Les organismes mandatés d’offrir de l’aide en employabilité servent à faciliter l’intégration professionnelle des travailleurs temporaires en les outillant, en les informant sur les standards québécois et en les préparant au milieu de l’emploi spécifique au Québec. À mon avis, ce qui ressemble à une stratégie électoraliste populiste cache d’autres motifs : cette mesure se traduit plutôt par une précarisation forcée de travailleurs étrangers, ceux-ci représentant déjà une part vulnérable de la population.

Une stratégie d’usure calculée

Il ne faut pas voir cette décision comme un simple ajustement administratif, mais plutôt comme une tactique de fragilisation volontaire et consciente. La CAQ est connue pour ses mesures abusives, voire dérisoires quant à l’immigration : l’apprentissage du français en six mois ou une maîtrise préalable de la langue, restrictions accrues sur les domaines d’emploi prioritaires, et j’en passe.

Aujourd’hui, c’est l’exclusion des services publics d’aide à l’emploi pour les travailleurs temporaires. Demain, ce sera autre chose. Ces mesures ne font pas disparaître le besoin de main‑d’œuvre – le gouvernement estime qu’il y aura au-delà de 1,4 million de postes à combler d’ici 2030 – mais rendent le parcours plus difficile pour les étrangers souhaitant s’établir au Québec.

« Aux yeux de la CAQ, ils sont une population transitoire, au même titre que les étudiants étrangers, dont la pré- sence est tolérée tant qu’elle sert les intérêts économiques de la province, mais dont l’intégration durable n’est ni souhaitée ni encouragée »

J’irais même jusqu’à dire qu’on peut lire entre les lignes une volonté caquiste de pousser ces travailleurs à quitter la province, ou le pays, d’eux-mêmes. En rendant leur séjour au Québec plus complexe, la CAQ espère qu’ils repartiront plutôt que de s’accrocher à un système qui leur met constamment des bâtons dans les roues. Il s’agit d’un moyen de réduire la présence des travailleurs étrangers sans avoir à en interdire officiellement l’entrée. Aux yeux de la CAQ, ils sont une population transitoire, au même titre que les étudiants étrangers, dont la présence est tolérée tant qu’elle sert les intérêts économiques de la province, mais dont l’intégration durable n’est ni souhaitée ni encouragée.

Fragiliser l’économie québécoise

D’un point de vue purement pragmatique, cette décision me semble risquée pour l’économie québécoise. Je ne suis en rien économiste, mais, alors que la province fait face à une pénurie de main‑d’œuvre dans plusieurs secteurs, il me semble irrationnel de restreindre l’accès aux services qui facilitent l’employabilité des travailleurs déjà présents sur le territoire. Comment peut-on se permettre de renvoyer ces travailleurs alors que certains secteurs – pensons à l’agriculture, la santé, la restauration – dépendent grandement de la main‑d’œuvre immigrante ? En rendant l’accès à l’emploi plus difficile pour ces travailleurs, la CAQ ne fait qu’aggraver la pénurie et met en péril des chaînes de production et de services essentielles. On s’attendrait plutôt à des mesures facilitant l’accès à l’emploi, pas l’inverse.

Une dérive politique plus large

Cette restriction s’inscrit dans un mouvement plus large de fermeture à l’immigration, au Québec et ailleurs. Le gouvernement Legault, souvent critiqué pour sa gestion de l’immigration, semble pourtant s’insérer dans une tendance mondiale de durcissement des frontières et de rejet des populations immigrantes. Dans un contexte où les crises économiques poussent plusieurs pays à resserrer leurs politiques migratoires, la montée de l’extrême droite et de la xénophobie alimente des mesures qui fragilisent les tissus sociaux et s’attaquent aux populations les plus vulnérables. Ces politiques ne règlent en rien les défis structurels du marché du travail, mais répondent plutôt à aux pressions populistes qui cherchent des boucs émissaires plutôt que de véritables solutions.

Dans un climat de compressions budgétaires, les premières victimes de ces politiques sont toujours les plus précaires. Les coupures dans le domaine de la santé, par exemple, affecteront d’abord de manière disproportionnée les personnes à risque ayant un accès limité aux soins. De la même manière, les restrictions sur l’emploi visent un groupe déjà marginalisé, renforçant leur isolement et leur vulnérabilité. Si on regarde à l’échelle mcgilloise, les compressions budgétaires de 45 millions annoncées le 7 février dernier par l’administration impacteront en premier les plus fragiles, les étudiants.

Ce qui se cache derrière ces mesures, c’est une vision de l’immigration comme un fardeau plutôt qu’une ressource. Pourtant, dans un Québec confronté à un vieillissement de la population et à un manque de travailleurs, les travailleurs temporaires, et plus largement, la population immigrante, sont plus que jamais essentiels. L’immigration au Québec est ce qui fait sa beauté, sa richesse, pas le contraire.

Main dans la main

Plutôt que d’imaginer des stratégies pour exclure les travailleurs étrangers temporaires, le gouvernement Legault ferait mieux de reconnaître leur rôle crucial dans le tissu économique et social du Québec. Cette politique est non seulement injuste, mais aussi contre-productive. Elle affaiblit la main‑d’œuvre locale, exacerbe les pénuries et véhicule un message de rejet aux immigrants qui pourraient autrement choisir de s’installer de façon permanente au Québec. Face à ces enjeux, il est essentiel de résister à ces discours d’exclusion et de rappeler que l’immigration n’est pas une menace, mais une force. Les travailleurs étrangers méritent mieux qu’un système qui les pousse vers la sortie au lieu de leur offrir des opportunités.


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