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Consommer local, aussi en musique

Visibiliser la musique francophone grâce à MUSIQC.

L a guerre tarifaire des États-Unis a ravivé un discours déjà bien connu : l’importance de consommer local. Mais au-delà des produits manufacturés, cette nécessité s’étend aussi à la culture. Si la musique québécoise et francophone peine à exister sur les grandes plateformes de diffusion en continu, ce n’est pas faute de production, mais faute de visibilité. Marginalisée par des algorithmes qui favorisent l’anglais, reléguée à la périphérie des recommandations, elle se retrouve prisonnière d’un système qui ne la met pas en avant.

« Un projet qui ne se contente pas de dénoncer le problème, mais qui agit concrètement pour contrer, dans une démarche plus large de préservation linguistique et identitaire »

C’est précisément pour répondre à cette crise culturelle que MUSIQC a vu le jour. Espace numérique québécois, la plateforme agrège et met en valeur la musique francophone et instrumentale d’ici, tout en accueillant des artistes francophones d’ailleurs. Un projet qui ne se contente pas de dénoncer le problème, mais qui agit concrètement pour résoudre, dans une démarche plus large de préservation linguistique et identitaire.

J’ai eu la chance de m’entretenir avec Ariane Charbonneau, directrice de MUSIQC, qui m’a dressé un portrait sans complaisance de la situation actuelle de la musique francophone au Québec. Notre discussion a mis en lumière les défis existentiels auxquels fait face la musique d’ici – et les solutions audacieuses que propose MUSIQC pour y remédier.

Une crise de visibilité

« Le premier constat, c’est que les Québécois n’écoutent pas leur propre musique, surtout la musique francophone », me lance d’emblée Ariane Charbonneau. Les chiffres qu’elle avance donnent le vertige : selon l’Observatoire de la culture et des communications du Québec (OCCQ), en 2023, seulement 5 % des 10 000 chansons les plus écoutées étaient de la musique francophone québécoise. Si l’on élargit le spectre pour inclure la musique francophone européenne, ce chiffre grimpe à peine à 8,5 % – un pourcentage dérisoire pour une population qui représente pourtant 23 % du Canada et dont la langue officielle est le français. Plus alarmant encore, la musique francophone québécoise récente ne représente que 2 % des écoutes totales. « Clairement, il y a un problème de proportion », souligne Charbonneau.

« La raison pour laquelle les gens ne consomment pas cette musique, c’est qu’ils ne la voient pas […] Les artistes, en fait, ne sont simplement pas mis en valeur, ils ne sont pas recommandés »

Ariane Charbonneau

Ce n’est pas seulement un problème de chiffres, mais bien d’une érosion identitaire dont les conséquences dépassent largement le cadre strictement musical. L’OCCQ, branche de l’Institut de la statistique du Québec, dresse un portrait sans appel d’une musique francophone en voie de marginalisation sur son propre territoire – une sorte d’exil intérieur qui frappe de plein fouet les créateurs d’ici.

Ce premier constat s’accompagne d’un second, tout aussi préoccupant : la difficulté chronique pour les artistes québécois d’atteindre leur public. « La raison pour laquelle les gens ne consomment pas cette musique, c’est qu’ils ne la voient pas », m’explique-t-elle. « Les artistes, en fait, ne sont simplement pas mis en valeur, ils ne sont pas recommandés. […] Puis on a beaucoup de recommandations d’algorithmes qui poussent plutôt des contenus anglophones. »

Un troisième constat vient s’ajouter aux deux premiers : le soi-disant « déclin de la langue française » au Québec. « Il y a eu un plan pour la langue française construit avec six ministères différents pour freiner l’érosion de la langue dans toutes les sphères de la société québécoise », me rappelle Charbonneau. Or, la musique représente un vecteur particulièrement puissant pour la préservation du français dans toutes les sphères de la société québécoise. « Même dans ce plan, on reconnaît l’importance de la musique comme un véhicule clé pour préserver notre langue », souligne-t-elle avec conviction. Dès lors, comment agir concrètement pour favoriser la visibilité de cette musique qui porte en elle une part de notre identité collective ?

Le modèle MUSIQC

C’est en réponse à ces constats alarmants qu’est née MUSIQC, une initiative qui se distingue par son approche innovante. Contrairement à une plateforme de diffusion traditionnelle comme Spotify ou Apple Music, MUSIQC se définit comme un véritable « quartier général » de la musique francophone.

« L’idée, c’est de prendre la musique qui est déjà disponible en ligne, de la centraliser et de la remettre en circulation à travers des listes de lecture faites par des humains », m’explique Charbonneau. Elle précise : « Pour notre secteur, l’accessibilité à la musique, ce n’est pas un enjeu. Tout le monde met de la musique sur Spotify, tout le monde met de la musique sur YouTube. C’est impensable aujourd’hui qu’un artiste ne le fasse pas. La musique est déjà disponible. L’idée, c’est de recentraliser tous les contenus qui sont déjà disponibles, puis de les regrouper dans un lieu seul lieu central. »

Les propositions musicales y sont entièrement gratuites et ne requièrent aucun identifiant, supprimant ainsi toutes les barrières qui freinent habituellement la découverte des artistes locaux. Le fonctionnement de la plateforme se veut simple mais redoutablement efficace : chaque jour, le site propose de nouvelles recommandations, renouvelant constamment l’offre musicale. « On est constamment dans la mise en valeur, constamment dans la recommandation. Quand tu visites le site, on te propose toujours une nouvelle liste de lecture, un nouveau programmateur. […] Tu vas toujours trouver du contenu à découvrir », affirme Charbonneau. Et il semblerait que cette approche rencontre un écho favorable bien au-delà des frontières du Québec : « MUSIQC est déjà utilisé en ce moment dans 55 pays, dont la France, le Canada, les États-Unis et le Mexique, dans le top quatre. » Une preuve tangible que la musique francophone québécoise peut rayonner internationalement lorsqu’on lui donne les moyens de se faire entendre et apprécier.

L’adoption rapide de la plateforme dépasse même les attentes initiales de ses fondateurs : « On a eu une adoption très rapide de MUSIQC. On a même eu des écoles qui nous ont demandé de leur envoyer des posters, des trucs comme ça pour les faire circuler. » Les demandes ont été si nombreuses qu’ils ont dû mettre en place un formulaire pour les centraliser, signe indéniable que la plateforme répond à un besoin réel et pressant.

Encourager la découvrabilité

« Les artistes québécois francophones ne sont pas mis en avant sur les grandes plateformes », m’explique Charbonneau. Sur Spotify et Apple Music, la majorité des recommandations des algorithmes favorisent les artistes anglophones, qui génèrent plus d’écoutes. Cette marginalisation n’est pas qu’une simple conséquence des préférences individuelles des auditeurs – elle est le fruit d’un déséquilibre structurel ancré dans les modèles de recommandations numériques. Les grandes plateformes fonctionnent avec des algorithmes optimisés pour maximiser l’engagement et les écoutes répétées. Or, la musique anglophone dominant le marché mondial, cela crée un cercle vicieux où la visibilité entraîne plus d’écoutes, qui entraînent à leur tour plus de visibilité – un système qui s’auto-alimente et laisse peu de place à la diversité culturelle et linguistique. 


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