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Étudier en anglais comme francophone

Travestir sa francophonie.

Stu Doré | Le Délit

N ous n’étudierons plus en anglais. Voilà où, après trois années à suivre des cours dans la prestigieuse université qu’est la nôtre, nos pensées s’arrêtent lorsqu’il s’agit d’envisager la suite. Que ce soit pour la maîtrise ou pour se lancer dans le monde professionnel, il est certain (ou presque) que nous chercherons désormais un environnement qui fait place à notre langue maternelle. Malgré tous les efforts que McGill puisse entreprendre afin de valoriser la langue française, choisir une université anglophone en tant que francophone nous apparaît aujourd’hui comme un travestissement d’une part intégrale de notre identité. Nous sommes avant tout francophones, et nous espérons ne pas l’oublier.

L’expérience d’une française à McGill

Éloïse : Venue de France comme un bon nombre de mes compatriotes afin de profiter d’une expérience internationale et d’une certaine renommée universitaire, j’ai laissé derrière moi ma langue maternelle lors de mes heures de cours. J’avais en effet décidé d’étudier à McGill car elle me permettait à la fois de conserver mon français en dehors de l’enceinte de l’université, ainsi que de remettre mes devoirs dans la langue qui me chantait (comprendre en français ou en anglais).

Finalement, la langue, avant même les frais universitaires — les universités hollandaises, plus abordables pour les Européens, ayant également été dans mon viseur —, a été le facteur déterminant de mon choix d’établissement. J’y voyais l’opportunité de confirmer un niveau d’anglais universitaire tout en gardant un pied dans une communauté francophone qui m’est chère.

À l’instar des communautés latines ou chinoises qui peuplent Montréal, il me semble que le français ne m’a jamais tant paru agir comme un ciment entre les habitants, une marque de nos origines respectives mais aussi un sujet à débat brûlant. En effet, tant pour les questions de protection de la francophonie, que pour ceux qui s’aventurent à mettre le doigt sur la bonne façon de parler le français, la francophonie est un sujet qui exalte le Québec et qui me paraît vivre à travers tout un chacun, bien davantage encore que dans la France que j’ai quittée depuis maintenant quelques années.

Seulement, aussi reconnaissante que je puisse être d’étudier ici et de pouvoir y pratiquer mon anglais, chaque conférence à laquelle j’assiste ou chaque publication scientifique que j’ai à lire m’apparaît comme un effort me distançant jour après jour d’un plaisir que j’avais jadis à étudier. Je ne sais pas entièrement quelle est l’origine de ce sentiment, s’il repose sur la frustration de ne pas pouvoir m’exprimer et élaborer ma pensée avec la même facilité qu’en français, sur la manière de réfléchir et d’enseigner, inévitablement influencée par la langue, ou encore sur le simple manque du plaisir de lire et d’entendre ma langue. Je sais néanmoins que ce sentiment est loin de m’être propre.

Et les Québécois ?

Jeanne : Je ne prétends en rien parler au nom de tous les Québécois, mais je crois juste d’affirmer que pour une majorité d’entre nous, le français est un pilier identitaire indéniable.

Ayant grandi dans une famille francophone où j’ai toujours parlé le français à la maison, le choix d’une université anglophone en a surpris plus d’un. Certains amis de mes parents l’ont même perçu comme une insulte à mes racines francophones, estimant ce choix comme une forme de trahison, voire un quasi-blasphème, réaction largement plus dramatique qu’elle n’aurait dû l’être.

En toute franchise, choisir d’étudier en anglais était avant tout un choix pratique. J’en avais marre qu’on ridiculise mon accent, et je me disais que l’immersion dans un milieu anglophone serait la meilleure stratégie pour ne plus me sentir limitée. Après quelques années à remettre mes travaux en anglais, à me mettre au défi de prendre la parole en public dans cette langue, je ne ressens plus la même angoisse qu’autrefois à la simple pensée de devoir m’exprimer en anglais.

Pourtant, aujourd’hui, c’est un tout autre sentiment qui m’habite quand je pense à l’anglais : celui d’un certain détachement de ma langue natale.

Le paradoxe de la francophonie québécoise, c’est d’évoluer dans un environnement où le bilinguisme est omniprésent, mais continuellement critiqué de part et d’autre. Comme francophone, c’est dès l’enfance qu’on nous apprend que notre langue est fragile, qu’il faut la défendre, qu’il faut surveiller l’utilisation d’anglicismes et qu’il faut résister à l’attrait du bilinguisme. Pourtant, parler anglais est un atout, voire une nécessité, dans de nombreux domaines professionnels, et il est difficile d’ignorer la pression qui nous pousse à maîtriser cette langue pour réussir. On est en quelque sorte tiraillé entre notre langue maternelle et l’anglais, cette langue qui représente souvent une ouverture vers un monde d’opportunités académiques et professionnelles autrement inaccessibles. Que ce soit pour travailler à l’étranger, poursuivre des études supérieures à l’international ou simplement élargir son réseau, l’anglais nous est présenté comme la clé du succès.

« L’anglais a certes ouvert mon horizon, multiplié mes chances et renforcé ma confiance. Mais en même temps, il a créé une distance insidieuse avec mon français natal, me laissant cette impression étrange de naviguer entre deux mondes sans totalement appartenir ni à l’un ni à l’autre »

Jeanne, étudiante à McGill

J’ai senti que l’anglais prenait peut-être une place trop grande dans ma vie lorsqu’une dame nous a interpellés dans la rue, un ami et moi, pendant que nous discutions en franglais. Nous parlions comme nous avons l’habitude de le faire, dans une langue hybride qui me semble propre à Montréal. Cette dame, bien que plaignarde et quelque peu effrontée, complètement désemparée par le fait que nous parlions un français tant influencé par l’anglais, tenait une part de vérité : notre langue évolue, et avec elle, notre manière de nous exprimer, mais à quel prix ? Cette interaction m’a fait prendre conscience que, sans m’en rendre compte, je m’éloignais peut-être de cette langue que j’avais pourtant toujours considérée comme acquise.

Bien que je chérisse ce franglais si propre à mon identité, j’ai parfois l’impression d’être coincée entre deux réalités. L’anglais a certes ouvert mon horizon, multiplié mes chances et renforcé ma confiance. Mais en même temps, il a créé une distance insidieuse avec mon français natal, me laissant cette impression étrange de naviguer entre deux mondes sans totalement appartenir ni à l’un ni à l’autre.

Retrouver sa langue

Que l’on soit Français, Québécois ou francophone d’ailleurs, il arrive un moment où l’on se rend compte que notre rapport à la langue s’étend au-delà de l’utile. C’est une part de nous, une façon de penser et d’exister. Après ces années, nous savons maintenant que nous n’étudierons plus en anglais, et qu’il nous faut désormais renouer pleinement avec le français pour nous retrouver.


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